L'ANNEE 1915, MALEDICTION TURQUE
Publie le : 19-02-2015
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=85921
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Cengiz Aktar, intellectuel
turc, specialiste des questions europeennes, a publie en francais dans
Liberation une tribune intitulee "L'annee 1915, malediction turque".
Il s'interroge au sujet de la Turquie : "Sommes-nous frappes d'une
malediction couplee a un mensonge centenaire ?" L'auteur parle de
"degenerescence engendree par le genocide". Pour memoire, Cengiz
Aktar est l'un des 4 initiateurs de la petition turque lancee en
decembre 2008 afin d'adresser des excuses aux Armeniens pour la
"Grande Catastrophe" de 1915, ce terme etant destine - de l'aveu meme
de l'un des quatre intellectuels turcs - a jeter aux oubliettes la
qualification de >, adoptee par de nombreux
parlements a travers le monde. L'article de Cengiz Aktar a d'abord
ete publie fin decembre en anglais sur Today's Zaman, mais surtout,
et ce fait est essentiel, en turc dans Taraf. Un bon point pour Cengiz
Aktar qui a tendance d'ordinaire a tenir ce type de propos uniquement
a destination de l'Europe, pour montrer la "magnifique ouverture"
d'une certaine Turquie. Dommage que la traduction en francais soit
vraiment de piètre qualite. Une relecture du texte aurait ete d'autant
plus necessaire que le sujet ne supporte pas d'approximations.
Si les propos sont très forts, on aurait aime que Cengiz Aktar n'ait
pas pour seul objectif ce qui peut faire du bien aux Turcs (cette
fameuse >), mais qu'il parle egalement des
reparations dues aux Armeniens. La dimension de reconnaissance des
crimes enumeres et de denonciation du deni est irreprochable, mais
tout est uniquement axe sur le bien que cela ferait a la Turquie de
reconnaître ses crimes, et sur le mal que le genocide armenien a fait
a l'Anatolie. En somme, l'essentiel est que le meurtrier soit soulage.
La demande de justice de la victime n'est clairement pas l'angle
choisi.
Autre sujet d'inquietude : on ne sait pas comment cette mention
de la "malediction" des morts armeniens peut etre percue par des
ultra-nationalistes turcs. "Ah, ces Armeniens : meme morts, ils sont
toxiques. Quel lobby a eliminer d'urgence !"
Enfin, la relation de facto entre > est irrationnelle et partisane.
Pour etre credible, Cengiz Aktar aurait dû plutôt relier la > aux problèmes d'identite et de societe qui empoisonnent
la Turquie depuis un siècle.
Il serait bon de lire ou relire a cette occasion le texte du chercheur
turc Sait Cetinoglu, paru sur le site Repair (voir en fin d'article).
Cetinoglu y expose les raisons pour lesquelles les compensations et
indemnisations sont une necessite morale et explique pourquoi une
restitution sans condition des biens armeniens devenus propriete
d'Etat s'impose. Rappelant que . Nous allons suivre comment les
tenants actuels de l'Etat vont redoubler d'efforts, en Turquie
et a l'etranger, pour masquer cette honte. S'ils le pouvaient,
ils zapperaient l'an 2015 pour passer directement en 2016 ! La > negationniste, limitee a quatre thèses indignes -revolte,
collaboration avec l'ennemi, visees et provocations des imperialistes
et autovictimisation (>)- sera recitee dans de conferences encravatees. Nous
serons les seuls a ecouter cette chanson.
Et les 24 et 25 avril, des ceremonies officielles seront organisees
non a l'occasion du genocide, mais pour l'> aux
Dardanelles. Nous allons ecouter de nombreux contes heroïques sur
cette bataille, mais nous ne pourrons pas convaincre grand monde de
les entendre avec nous. Que faut-il qu'il nous arrive de plus pour
qu'on puisse regler nos comptes avec cette sanguinaire invention de
la nation ? Pour apprendre et commemorer l'extermination d'un peuple
travailleur et paisible par ses voisins martiaux et spoliateurs. Pour
pouvoir ressentir, ne serait-ce qu'un bref moment, l'ampleur de la
persecution au cours de ces sombres journees de l'ete 1915, aussi
glacial que la mort.
Pour laisser enfin de côte les devinettes stupides > et les mots croises sur >, et n'ecoutons que notre conscience : comment ce peuple armenien
de quelques millions d'âmes en 1915 a totalement disparu d'Anatolie,
comment les rares survivants doivent leur existence a la conversion
forcee et a une vie dissimulee.
Pour saisir, enfin, le genocide culturel parfait, selon les termes
du journaliste assassine Hrant Dink, et la perte immense d'une
civilisation.
Pour realiser que le genocide nomme a cette epoque par les Armeniens
la > n'a pas ete seulement la leur, mais aussi
celle de tout le pays.
Pour se rendre compte que le sort de nos citoyens non musulmans qui
ont ete tues, chasses et obliges a fuir est egalement une extermination
et une perte de culture et de civilisation.
Pour ressentir le blâme des enfants et petits-enfants après la
confiscation des biens et des proprietes. Pour s'impregner de
la sagesse de Yasar Kemal qui affirme : >
Meme ceux qui rejetteront, d'un revers de la main, toutes ces
verites, ne le feront qu'a cause de la degenerescence engendree
par le genocide. Le genocide armenien, la Grande Catastrophe
de l'Anatolie, est la mère de tous les tabous sur ces terres. Sa
malediction continuera de nous frapper aussi longtemps qu'on refusera
d'en parler, de la dechiffrer, de faire face. Son centenaire est
une occasion historique de laisser de côte tout ce qu'on a appris
par coeur, d'entendre et de comprendre l'Autre et de commencer la
therapie collective.
Lire aussi :
1915, Le peuple turc doit regarder la verite en face
Source/Lien : Liberation
From: A. Papazian
Publie le : 19-02-2015
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=85921
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Cengiz Aktar, intellectuel
turc, specialiste des questions europeennes, a publie en francais dans
Liberation une tribune intitulee "L'annee 1915, malediction turque".
Il s'interroge au sujet de la Turquie : "Sommes-nous frappes d'une
malediction couplee a un mensonge centenaire ?" L'auteur parle de
"degenerescence engendree par le genocide". Pour memoire, Cengiz
Aktar est l'un des 4 initiateurs de la petition turque lancee en
decembre 2008 afin d'adresser des excuses aux Armeniens pour la
"Grande Catastrophe" de 1915, ce terme etant destine - de l'aveu meme
de l'un des quatre intellectuels turcs - a jeter aux oubliettes la
qualification de >, adoptee par de nombreux
parlements a travers le monde. L'article de Cengiz Aktar a d'abord
ete publie fin decembre en anglais sur Today's Zaman, mais surtout,
et ce fait est essentiel, en turc dans Taraf. Un bon point pour Cengiz
Aktar qui a tendance d'ordinaire a tenir ce type de propos uniquement
a destination de l'Europe, pour montrer la "magnifique ouverture"
d'une certaine Turquie. Dommage que la traduction en francais soit
vraiment de piètre qualite. Une relecture du texte aurait ete d'autant
plus necessaire que le sujet ne supporte pas d'approximations.
Si les propos sont très forts, on aurait aime que Cengiz Aktar n'ait
pas pour seul objectif ce qui peut faire du bien aux Turcs (cette
fameuse >), mais qu'il parle egalement des
reparations dues aux Armeniens. La dimension de reconnaissance des
crimes enumeres et de denonciation du deni est irreprochable, mais
tout est uniquement axe sur le bien que cela ferait a la Turquie de
reconnaître ses crimes, et sur le mal que le genocide armenien a fait
a l'Anatolie. En somme, l'essentiel est que le meurtrier soit soulage.
La demande de justice de la victime n'est clairement pas l'angle
choisi.
Autre sujet d'inquietude : on ne sait pas comment cette mention
de la "malediction" des morts armeniens peut etre percue par des
ultra-nationalistes turcs. "Ah, ces Armeniens : meme morts, ils sont
toxiques. Quel lobby a eliminer d'urgence !"
Enfin, la relation de facto entre > est irrationnelle et partisane.
Pour etre credible, Cengiz Aktar aurait dû plutôt relier la > aux problèmes d'identite et de societe qui empoisonnent
la Turquie depuis un siècle.
Il serait bon de lire ou relire a cette occasion le texte du chercheur
turc Sait Cetinoglu, paru sur le site Repair (voir en fin d'article).
Cetinoglu y expose les raisons pour lesquelles les compensations et
indemnisations sont une necessite morale et explique pourquoi une
restitution sans condition des biens armeniens devenus propriete
d'Etat s'impose. Rappelant que . Nous allons suivre comment les
tenants actuels de l'Etat vont redoubler d'efforts, en Turquie
et a l'etranger, pour masquer cette honte. S'ils le pouvaient,
ils zapperaient l'an 2015 pour passer directement en 2016 ! La > negationniste, limitee a quatre thèses indignes -revolte,
collaboration avec l'ennemi, visees et provocations des imperialistes
et autovictimisation (>)- sera recitee dans de conferences encravatees. Nous
serons les seuls a ecouter cette chanson.
Et les 24 et 25 avril, des ceremonies officielles seront organisees
non a l'occasion du genocide, mais pour l'> aux
Dardanelles. Nous allons ecouter de nombreux contes heroïques sur
cette bataille, mais nous ne pourrons pas convaincre grand monde de
les entendre avec nous. Que faut-il qu'il nous arrive de plus pour
qu'on puisse regler nos comptes avec cette sanguinaire invention de
la nation ? Pour apprendre et commemorer l'extermination d'un peuple
travailleur et paisible par ses voisins martiaux et spoliateurs. Pour
pouvoir ressentir, ne serait-ce qu'un bref moment, l'ampleur de la
persecution au cours de ces sombres journees de l'ete 1915, aussi
glacial que la mort.
Pour laisser enfin de côte les devinettes stupides > et les mots croises sur >, et n'ecoutons que notre conscience : comment ce peuple armenien
de quelques millions d'âmes en 1915 a totalement disparu d'Anatolie,
comment les rares survivants doivent leur existence a la conversion
forcee et a une vie dissimulee.
Pour saisir, enfin, le genocide culturel parfait, selon les termes
du journaliste assassine Hrant Dink, et la perte immense d'une
civilisation.
Pour realiser que le genocide nomme a cette epoque par les Armeniens
la > n'a pas ete seulement la leur, mais aussi
celle de tout le pays.
Pour se rendre compte que le sort de nos citoyens non musulmans qui
ont ete tues, chasses et obliges a fuir est egalement une extermination
et une perte de culture et de civilisation.
Pour ressentir le blâme des enfants et petits-enfants après la
confiscation des biens et des proprietes. Pour s'impregner de
la sagesse de Yasar Kemal qui affirme : >
Meme ceux qui rejetteront, d'un revers de la main, toutes ces
verites, ne le feront qu'a cause de la degenerescence engendree
par le genocide. Le genocide armenien, la Grande Catastrophe
de l'Anatolie, est la mère de tous les tabous sur ces terres. Sa
malediction continuera de nous frapper aussi longtemps qu'on refusera
d'en parler, de la dechiffrer, de faire face. Son centenaire est
une occasion historique de laisser de côte tout ce qu'on a appris
par coeur, d'entendre et de comprendre l'Autre et de commencer la
therapie collective.
Lire aussi :
1915, Le peuple turc doit regarder la verite en face
Source/Lien : Liberation
From: A. Papazian