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Decines, La Double Culture Des Armeniens

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    DECINES, LA DOUBLE CULTURE DES ARMENIENS

    La Croix, France
    19 fevr 2015

    Des Armeniens se sont installes dès les annees 1920 dans cette
    commune proche de Lyon. Leurs descendants se sentent francais mais
    entretiennent toujours des liens avec leur pays d'origine. Decines
    (Rhône). De notre envoyee speciale

    par ROTIVEL Agnès

    Edouard Mardirossian habite au 16 rue du 24-Avril-1915. Ce jour-la,
    la rafle des intellectuels armeniens de Constantinople marque le debut
    du genocide qui va faire disparaître environ 1,2 million d'Armeniens
    dans l'empire ottoman. À quelques mètres de chez lui se trouve le
    centre de la memoire armenienne. Impossible de rater ce bâtiment
    moderne et le memorial, sur le trottoir d'en face le premier a avoir
    ete bâti en Europe. Toujours dans la meme rue, les Armeniens ont leur
    maison de la culture et deux eglises, l'une evangelique, l'autre
    apostolique. On est a Decines, commune de la banlieue lyonnaise,
    " la petite Armenie " qui accueillit en 1920 les premiers refugies.

    Pourquoi Decines? " Maurice Cuzin, industriel lyonnais, avait
    construit une usine de soierie artificielle. Il avait besoin de
    main-d'oeuvre. Il a fait venir des orphelins armeniens de Grèce
    où ils avaient ete regroupes par des missionnaires americains ",
    explique Edouard Mardirossian, memoire de la communaute.

    Le Centre national de la memoire armenienne tente de garder intact ce
    passe. " Avec la memoire, on transmet le trauma, le deuil collectif,
    explique la directrice, Katia Boudoyan. Le centre de Decines en est
    le receptacle. Mais pour ne pas etre centre sur la seule douleur
    d'etre Armenien, et pour bien vivre, il faut s'etre approprie une
    autre culture. "

    Accomplir ce chemin demande du temps. " Les Armeniens issus de la
    première vague d'immigration, arrives dans les annees 1920, se sentent
    francais. Ils se sont assimiles et parlent moins l'armenien, explique
    Katia. La seconde vague, arrivee entre 1976 et 1985, est venue du
    Liban et de Syrie, fuyant la guerre civile. En Orient, ils vivaient
    entre eux, sans se melanger. Ils cultivaient l'entre soi jusqu'a ne
    pas parler l'arabe. Arrives en France, ils continuent a vivre entre
    eux , dans la douleur de l'exil. " Ils ont meme donne le nom de Bourj
    Hammoud, nom du quartier armenien de Beyrouth, aux immeubles dans
    lesquels ils vivent a Decines. " Petit a petit, ils vont s'integrer
    ", assure Katia.

    Les derniers arrivants la troisième vague , sont les Armeniens
    d'Armenie, venus dans la foulee de l'eclatement de l'Union sovietique.

    " Leur Armenie n'est pas la nôtre, observe Katia. Notre terre a nous,
    c'est l'Armenie ottomane, la leur, l'Armenie russe. "

    Cent ans plus tard, le lien des Armeniens avec leur pays d'origine
    reste encore très fort. Dans le salon d'Edouard Mardirossian, la carte
    de la Turquie est affichee au mur ainsi que des photos de famille
    prises lors de ses nombreux voyages a Kharpert où vivait sa famille.

    En 1970, cinquante-cinq ans après avoir fui, sa mère avait retrouve
    deux de ses frères dont elle avait ete separee. Depuis 2003, Edouard
    a fait six voyages et ecrit Le Monde de Kharpert, dans lequel il
    retrace, sous forme de dictionnaire, l'histoire armenienne de cette
    ville aujourd'hui turque et où il entretient toujours le contact avec
    sa famille.

    Les parents de Katia Boudoyan ont fait le voyage vers leur village
    d'origine proche de Van, dès les annees 1960. " Ils partaient en
    voiture pour sept jours de voyage a l'est de la Turquie. J'ai fait 20
    fois le trajet. " D'autres plus craintifs hesitent a aller en Turquie.

    Dans les familles, personne n'a oublie les difficultes d'integration
    de leurs grands-parents. " Ils ont ete victimes de racisme, insultes,
    exclus ", confie Edouard Mardirossian. Ils ne parlaient pas le
    francais, sont arrives en guenilles. " " Ils etaient très marques
    physiquement ", ajoute Katia Boudoyan qui, dans ses ateliers destines
    aux enfants, explique que " vivre ensemble, ca se travaille, ca n'est
    pas facile ".

    L'integration s'est faite après 1947, quand les Armeniens ont ete
    naturalises. Auparavant, ils etaient apatrides. Elle s'est faite
    aussi par l'attribution de prenoms francais. Dans les annees 1920,
    l'administration francaise n'enregistrait pas les prenoms armeniens.

    Et par la langue francaise. L'armenien, de moins en moins parle dans
    la communaute, n'est plus le seul vecteur de la culture.

    Elle s'est faite aussi par l'accession a des postes politiques.

    Georges Kepenekian, en est l'exemple. Premier adjoint au maire de Lyon
    et adjoint a la culture, il se defend d'etre " l'Armenien de service
    ". " En France, il est possible de s'inserer a la Nation ", dit-il. "
    On n'est plus communautariste, on ne donne plus de consigne de vote
    ", rencherit Edouard Mardirossian, qui ne veut pas etre represente
    comme une minorite.

    Aujourd'hui, tous se sentent francais. " Être armenien, ca ne se mesure
    pas. On le ressent en soi, precise Georges Kepenekian. Ma culture
    est une combinaison de tout. On peut etre quelque chose et une autre. "

    http://www.la-croix.com/Actualite/France/A-Decines-la-double-culture-des-Armeniens-2015-02-19-1282517

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