" IL N'Y A PAS UN PLAN D'ERADICATION CONCERTEE DES CHRETIENS D'ORIENT "
REVUE DE PRESSE
ENTRETIEN avec Bernard Heyberger, historien, directeur d'études a
l'Ã~Icole des hautes études en sciences sociales (1).
Ce spécialiste des chrétiens d'Orient retrace cent ans de présence
chrétienne au Moyen-Orient. Il resitue les massacres qui ont émaillé
leur histoire aux XIXe et XXe siècles dans le cadre de la montée
des nationalismes.
La Croixâ~@~I : Le génocide arménien, qui a causé la mort de
1,2 a 1,5 million de personnes et abouti a la quasi-disparition
de la présence chrétienne en Turquie, était-il un prélude aux
violences actuelles et a l'élimination des chrétiens de tout le
Moyen-Orientâ~@~I ?
Bernard Heybergerâ~@~I : Il ne faut pas imaginer qu'il existerait un
fanatisme atavique et violent qui remonterait aux origines de l'islam.
Le génocide arménien relève surtout d'une logique nationaliste.
L'empire ottoman avait essayé de se construire comme une nation,
mais il suscita la création de communautés minoritaires qui, avec
le soutien des puissances occidentales, négocièrent en son sein
des statuts d'exception.
Les maronites, les assyro-chaldéens, les Arméniens, rêvaient tous
de créer leur nation. Le projet de nation turque fut une réaction
face a l'échec du projet ottoman. Le nationalisme turc, lui, ne
pouvait tolérer le nationalisme arménien sur son territoire...
Qu'en est-il des massacres des assyro-chaldéens, qui ont fait autour
de 400 000 morts pendant la même périodeâ~@~I ?
B. H.â~@~I : Selon moi, le terme de génocide s'applique bien a
l'éradication planifiée et systématique des Arméniens par des
troupes spéciales de l'armée ottomane. En revanche, et je renvoie
aux travaux de l'historienne Florence Hellot-Bellier (2), qualifier
les violences contre les assyro-chaldéens est plus complexe.
Ces populations, qui vivaient aux frontières des empires ottoman,
russe et perse, ont sans doute davantage été les victimes d'un
effondrement de l'Ã~Itat et du chaos et des vengeances qui en ont
résulté. La situation actuelle en Irak et en Syrie aujourd'hui y
ressemble plutôt.
On ne peut donc parler de plan systématique a l'heure actuelleâ~@~I ?
B. H.â~@~I : Non, je ne crois pas a un plan d'éradication concertée
des chrétiens d'Orientâ~@~I : ils sont davantage victimes des
rivalités entre sunnites et chiites, entre factions islamistes
rivales. Il est toujours plus facile de prendre leurs ressources
aux populations minoritaires - en l'occurrence les chrétiens, mais
aussi les yézidis, etc. - qu'aux musulmans, surtout lorsque l'on se
présente comme de Â" bons musulmans Â"â~@~I !
Les violences contre les chrétiens donnent même de la légitimité
a ceux qui les commettent, de même que les actes de brigandage a
leur égard peuvent être présentés par leurs auteurs comme des
actes islamiques conformes a la charia. Ce discours passe d'autant
mieux auprès de la population que c'est celui qui est enseigné a
l'école dans de nombreux pays musulmans...
La période du nationalisme arabe, entre 1950 et 1980, constitue-t-elle
une parenthèse enchantée dans la présence chrétienne au
Moyen-Orient ?
B. H.â~@~I : Il est vrai que beaucoup y ont cru et sont parvenus a
s'en sortir en adhérant a cette idéologie.
Mais le nationalisme arabe s'est soldé par des défaites politiques
et militaires successives, notamment face a IsraÃ"l, et par la mise en
place de régimes autoritaires et populistes qui n'ont pas empêché
la montée de l'islamisme, ou qui l'ont même aidé, en particulier
par leur politique scolaire et culturelle.
Les chrétiens non coptes ont été victimes du régime de Nasser, qui
a expulsé les Â" Shawâm Â", d'origine libano-syrienne, qui formaient
une forte minorité en Ã~Igypte. En Syrie, les nationalisations des
entreprises et de l'enseignement par le Baas, dans les années 1960,
ont poussé bien des chrétiens a l'exil.
Cette mémoire tragique a-t-elle été panséeâ~@~I ?
B. H.â~@~I : Non, pas suffisamment. L'histoire des massacres a Damas
et au Liban en 1860, de ceux commis en Anatolie dès les années
1890 ou pendant la guerre civile libanaise (1975-1990) n'est toujours
pas digérée.
Aujourd'hui, après de tels conflits, la communauté internationale
mettrait en place un processus de réconciliation, des procédures
d'indemnisations des victimes... Cela n'a pas été le cas ici.
Retrouvez un supplément spécial sur les chrétiens d'Orient dans
La Croix du 18 février.
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner
(1) Auteur de Les Chrétiens au Proche-Orient, Payot, 160 p., 16 â~B¬.
(2) Chroniques de massacres annoncés, les assyro-chaldéens d'Iran
et du Hakkari face aux ambitions des empires, Geuthner, 2014, 55 â~B¬.
http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Il-n-y-a-pas-un-plan-d-eradication-concertee-des-chretiens-d-Orient-2015-02-17-1281714
mercredi 25 février 2015, Stéphane ©armenews.com
REVUE DE PRESSE
ENTRETIEN avec Bernard Heyberger, historien, directeur d'études a
l'Ã~Icole des hautes études en sciences sociales (1).
Ce spécialiste des chrétiens d'Orient retrace cent ans de présence
chrétienne au Moyen-Orient. Il resitue les massacres qui ont émaillé
leur histoire aux XIXe et XXe siècles dans le cadre de la montée
des nationalismes.
La Croixâ~@~I : Le génocide arménien, qui a causé la mort de
1,2 a 1,5 million de personnes et abouti a la quasi-disparition
de la présence chrétienne en Turquie, était-il un prélude aux
violences actuelles et a l'élimination des chrétiens de tout le
Moyen-Orientâ~@~I ?
Bernard Heybergerâ~@~I : Il ne faut pas imaginer qu'il existerait un
fanatisme atavique et violent qui remonterait aux origines de l'islam.
Le génocide arménien relève surtout d'une logique nationaliste.
L'empire ottoman avait essayé de se construire comme une nation,
mais il suscita la création de communautés minoritaires qui, avec
le soutien des puissances occidentales, négocièrent en son sein
des statuts d'exception.
Les maronites, les assyro-chaldéens, les Arméniens, rêvaient tous
de créer leur nation. Le projet de nation turque fut une réaction
face a l'échec du projet ottoman. Le nationalisme turc, lui, ne
pouvait tolérer le nationalisme arménien sur son territoire...
Qu'en est-il des massacres des assyro-chaldéens, qui ont fait autour
de 400 000 morts pendant la même périodeâ~@~I ?
B. H.â~@~I : Selon moi, le terme de génocide s'applique bien a
l'éradication planifiée et systématique des Arméniens par des
troupes spéciales de l'armée ottomane. En revanche, et je renvoie
aux travaux de l'historienne Florence Hellot-Bellier (2), qualifier
les violences contre les assyro-chaldéens est plus complexe.
Ces populations, qui vivaient aux frontières des empires ottoman,
russe et perse, ont sans doute davantage été les victimes d'un
effondrement de l'Ã~Itat et du chaos et des vengeances qui en ont
résulté. La situation actuelle en Irak et en Syrie aujourd'hui y
ressemble plutôt.
On ne peut donc parler de plan systématique a l'heure actuelleâ~@~I ?
B. H.â~@~I : Non, je ne crois pas a un plan d'éradication concertée
des chrétiens d'Orientâ~@~I : ils sont davantage victimes des
rivalités entre sunnites et chiites, entre factions islamistes
rivales. Il est toujours plus facile de prendre leurs ressources
aux populations minoritaires - en l'occurrence les chrétiens, mais
aussi les yézidis, etc. - qu'aux musulmans, surtout lorsque l'on se
présente comme de Â" bons musulmans Â"â~@~I !
Les violences contre les chrétiens donnent même de la légitimité
a ceux qui les commettent, de même que les actes de brigandage a
leur égard peuvent être présentés par leurs auteurs comme des
actes islamiques conformes a la charia. Ce discours passe d'autant
mieux auprès de la population que c'est celui qui est enseigné a
l'école dans de nombreux pays musulmans...
La période du nationalisme arabe, entre 1950 et 1980, constitue-t-elle
une parenthèse enchantée dans la présence chrétienne au
Moyen-Orient ?
B. H.â~@~I : Il est vrai que beaucoup y ont cru et sont parvenus a
s'en sortir en adhérant a cette idéologie.
Mais le nationalisme arabe s'est soldé par des défaites politiques
et militaires successives, notamment face a IsraÃ"l, et par la mise en
place de régimes autoritaires et populistes qui n'ont pas empêché
la montée de l'islamisme, ou qui l'ont même aidé, en particulier
par leur politique scolaire et culturelle.
Les chrétiens non coptes ont été victimes du régime de Nasser, qui
a expulsé les Â" Shawâm Â", d'origine libano-syrienne, qui formaient
une forte minorité en Ã~Igypte. En Syrie, les nationalisations des
entreprises et de l'enseignement par le Baas, dans les années 1960,
ont poussé bien des chrétiens a l'exil.
Cette mémoire tragique a-t-elle été panséeâ~@~I ?
B. H.â~@~I : Non, pas suffisamment. L'histoire des massacres a Damas
et au Liban en 1860, de ceux commis en Anatolie dès les années
1890 ou pendant la guerre civile libanaise (1975-1990) n'est toujours
pas digérée.
Aujourd'hui, après de tels conflits, la communauté internationale
mettrait en place un processus de réconciliation, des procédures
d'indemnisations des victimes... Cela n'a pas été le cas ici.
Retrouvez un supplément spécial sur les chrétiens d'Orient dans
La Croix du 18 février.
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner
(1) Auteur de Les Chrétiens au Proche-Orient, Payot, 160 p., 16 â~B¬.
(2) Chroniques de massacres annoncés, les assyro-chaldéens d'Iran
et du Hakkari face aux ambitions des empires, Geuthner, 2014, 55 â~B¬.
http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Il-n-y-a-pas-un-plan-d-eradication-concertee-des-chretiens-d-Orient-2015-02-17-1281714
mercredi 25 février 2015, Stéphane ©armenews.com