REVUE DE PRESSE
Le retour de la cruauté par Alfred Grosser
L'horreur qu'inspirent Daech, Alain RĂ©mond (La Croix du 23 octobre) vient de rappeler que
l'Église honore saint Jean de Capistran qui it pourtant brûler nombre
de Juifs. Le 5 novembre, on a célébré l'ouverture du grand concile de
Constance en 1414. L'une de ses premières tches fut de mettre en
accusation Jan Hus - qui fut livré au feu l'année suivante. À travers
les siècles, que de supplices inligés, que de tortures rainées
imposées par des autorités diverses (1) ! En 1757, la tentative de
régicide efectuée par Damiens fut punie d'une mise à mort afreuse. Les
dessins de Goya ont représenté l'extrême cruauté de l'armée
napoléonienne en Espagne. En notre siècle, la façon turque de faire
périr des centaines de milliers d'Arméniens dans le désert a été aussi
cruelle et plus massive. Vint Hitler. Il n'y eut pas seulement, si on
peut dire, l'extermination délibérée de Juifs, de prisonniers
soviétiques, de tsiganes. La cruauté individuelle a joué, depuis les
SA contraignant tel vieillard juif à lécher la terre salie
d'immondices jusqu'Ă Ilse Koch, la > prenant
plaisir à faire soufrir. (Ici, une parenthèse : je ne comprendrai
jamais la gloire du marquis de Sade. Comment peut-on condamner les
tortures inligées par un SS et considérer que La Philosophie dans le
boudoir est un éloge de la liberté ?) En nombre de victimes, Staline
Ă©gale Hitler, surtout si on inclut les millions d'Ukrainiens morts de
faim en 1932, et Mao les dépasse tous deux. Aujourd'hui encore, ce
qu'on apprend sur la cruauté qui règne dans les camps russes et
chinois devrait être mieux connu et plus amplement réprouvé.
Il est une période particulièrement affreuse dont un grand livre
britannique vient de dévoiler toutes les dimensions. L'Europe barbare
(2) des années 1945 à 1950 a vu des atrocités multiples, entre autres
les massacres de villages ukrainiens par des Polonais et de villages
polonais par des Ukrainiens. Ou encore les centaines de milliers de
viols de femmes allemandes par les soldats soviétiques. Ou encore la
chasse aux Juifs même après Hitler. Plus tard, la spécificité du
génocide au Rwanda, c'est sans doute la multiplicité des meurtres du
voisin par le voisin, la cruauté exercée contre celui - homme, femme,
enfant - dont on Ă©tait l'ami la veille encore.
Mais alors, quelle est la spéciicité de l'horreur actuelle ? Non pas
qu'elle s'exerce à partir d'une religion d'une façon réprouvée par
l'immense majorité de ses adeptes dans le monde. Mais qu'on fait périr
de façon ignominieuse tous ceux qui ne se soumettent pas. Cela en un
temps où l'idée de tolérance semblait avoir enin triomphé. La
vengeance a souvent servi d'excuse dans le passé, avec le mécanisme du
vengeur entraînant une nouvelle vengeance qui, à son tour... Ici, la
vengeance invoquée n'est que prétexte. Il s'agit d'éradiquer une
civilisation. L'égalité des femmes n'est certes pas encore réalisée
partout, mais quelle régression que cette façon d'enlever des jeunes
illes pour les > Ă des mles oppresseurs, ou
encore d'interdire aux femmes d'accéder au moindre savoir ! Quel
savoir d'ailleurs ? Dans Mossoul conquise par l'>,
les facultés de droit, d'art, d'archéologie, de philosophie ont été
fermées. Le ministère de l'enseignement supérieur a été remplacé par
un Oice de l'éducation chargé de transformer l'université en une sorte
de caserne soumise Ă la surveillance active d'une quarantaine de
guerriers armés. L'ignominie de cette contre-culture accompagnant
tortures et massacres ne doit pas amener Ă croire que la civilisation
triomphe partout ailleurs. Bruno Frappat a justement relevé (La Croix
du 8 novembre) le massacre des enfants par le travail en Chine ou au
Congo. Mais nous sommes en droit d'être stupéfiés par le passage de
tant de jeunes Français ou Allemands normalement éduqués chez les
barbares d'aujourd'hui.
Alfred Grosser
(1) Roland Villeneuve, Le musée des supplices, Éd. Henri Veyrier, 1968, 365 p.
(2) Keith Lowe, L'Europe barbare 1945-1950, trad. Johan Frédérik Hel
Guedj. Perrin, 2013, 488 p.
samedi 3 janvier 2015,
Stéphane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=106499
Le retour de la cruauté par Alfred Grosser
L'horreur qu'inspirent Daech, Alain RĂ©mond (La Croix du 23 octobre) vient de rappeler que
l'Église honore saint Jean de Capistran qui it pourtant brûler nombre
de Juifs. Le 5 novembre, on a célébré l'ouverture du grand concile de
Constance en 1414. L'une de ses premières tches fut de mettre en
accusation Jan Hus - qui fut livré au feu l'année suivante. À travers
les siècles, que de supplices inligés, que de tortures rainées
imposées par des autorités diverses (1) ! En 1757, la tentative de
régicide efectuée par Damiens fut punie d'une mise à mort afreuse. Les
dessins de Goya ont représenté l'extrême cruauté de l'armée
napoléonienne en Espagne. En notre siècle, la façon turque de faire
périr des centaines de milliers d'Arméniens dans le désert a été aussi
cruelle et plus massive. Vint Hitler. Il n'y eut pas seulement, si on
peut dire, l'extermination délibérée de Juifs, de prisonniers
soviétiques, de tsiganes. La cruauté individuelle a joué, depuis les
SA contraignant tel vieillard juif à lécher la terre salie
d'immondices jusqu'Ă Ilse Koch, la > prenant
plaisir à faire soufrir. (Ici, une parenthèse : je ne comprendrai
jamais la gloire du marquis de Sade. Comment peut-on condamner les
tortures inligées par un SS et considérer que La Philosophie dans le
boudoir est un éloge de la liberté ?) En nombre de victimes, Staline
Ă©gale Hitler, surtout si on inclut les millions d'Ukrainiens morts de
faim en 1932, et Mao les dépasse tous deux. Aujourd'hui encore, ce
qu'on apprend sur la cruauté qui règne dans les camps russes et
chinois devrait être mieux connu et plus amplement réprouvé.
Il est une période particulièrement affreuse dont un grand livre
britannique vient de dévoiler toutes les dimensions. L'Europe barbare
(2) des années 1945 à 1950 a vu des atrocités multiples, entre autres
les massacres de villages ukrainiens par des Polonais et de villages
polonais par des Ukrainiens. Ou encore les centaines de milliers de
viols de femmes allemandes par les soldats soviétiques. Ou encore la
chasse aux Juifs même après Hitler. Plus tard, la spécificité du
génocide au Rwanda, c'est sans doute la multiplicité des meurtres du
voisin par le voisin, la cruauté exercée contre celui - homme, femme,
enfant - dont on Ă©tait l'ami la veille encore.
Mais alors, quelle est la spéciicité de l'horreur actuelle ? Non pas
qu'elle s'exerce à partir d'une religion d'une façon réprouvée par
l'immense majorité de ses adeptes dans le monde. Mais qu'on fait périr
de façon ignominieuse tous ceux qui ne se soumettent pas. Cela en un
temps où l'idée de tolérance semblait avoir enin triomphé. La
vengeance a souvent servi d'excuse dans le passé, avec le mécanisme du
vengeur entraînant une nouvelle vengeance qui, à son tour... Ici, la
vengeance invoquée n'est que prétexte. Il s'agit d'éradiquer une
civilisation. L'égalité des femmes n'est certes pas encore réalisée
partout, mais quelle régression que cette façon d'enlever des jeunes
illes pour les > Ă des mles oppresseurs, ou
encore d'interdire aux femmes d'accéder au moindre savoir ! Quel
savoir d'ailleurs ? Dans Mossoul conquise par l'>,
les facultés de droit, d'art, d'archéologie, de philosophie ont été
fermées. Le ministère de l'enseignement supérieur a été remplacé par
un Oice de l'éducation chargé de transformer l'université en une sorte
de caserne soumise Ă la surveillance active d'une quarantaine de
guerriers armés. L'ignominie de cette contre-culture accompagnant
tortures et massacres ne doit pas amener Ă croire que la civilisation
triomphe partout ailleurs. Bruno Frappat a justement relevé (La Croix
du 8 novembre) le massacre des enfants par le travail en Chine ou au
Congo. Mais nous sommes en droit d'être stupéfiés par le passage de
tant de jeunes Français ou Allemands normalement éduqués chez les
barbares d'aujourd'hui.
Alfred Grosser
(1) Roland Villeneuve, Le musée des supplices, Éd. Henri Veyrier, 1968, 365 p.
(2) Keith Lowe, L'Europe barbare 1945-1950, trad. Johan Frédérik Hel
Guedj. Perrin, 2013, 488 p.
samedi 3 janvier 2015,
Stéphane (c)armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=106499