REVUE DE PRESSE
Le pays qui n'existait pas : HAUT-KARABAKH
Le Vif/L'Express
21 Novembre 2014
Le pays qui n'existait pas : HAUT-KARABAKH
De notre envoyé spécial François Janne d'Othée
Vingt ans après un conflit sanglant, la république à majorité
arménienne du Haut-Karabakh n'est toujours pas reconnue par l'ONU. Les
incidents se multiplient avec l'Azerbaïdjan, ce qui retarde la
solution.
La prudence de l'Arménie Un conflit pas vraiment gelé Un îlot chrétien
L'atout démocratique
Un fin brouillard recouvre Stepanakert, capitale du Haut-Karabakh,
cette république à majorité arménienne qu'aucun Etat de l'ONU n'a
jamais reconnue. C'est le week-end. Des ombres furtives traversent de
larges avenues quasi vides. Le parc automobile plutôt squelettique n'a
pas encore liquidé son stock soviétique, en particulier de
vrombissantes Lada aux vitres teintées. ' Nous avons aussi nos
embouteillages, vers midi et 16 heures ', précise avec humour une
fonctionnaire pour ceux qui n'auraient pas encore réalisé que
Stepanakert est une capitale. Les cafés sont pratiquement vides, à
part quelques jeunes en veste de cuir noir. Seule touche de couleur,
des petits autobus jaunes sillonnent la ville. Ils ont même donné lieu
à la première manif depuis celle de 1988 contre le pouvoir de Moscou :
une septantaine de citadins ont protesté contre l'augmentation du prix
du ticket de bus, passé de 70 à 100 drams arméniens (de 0,13 à 0,20
euro).
Entourée de montagnes boisées, Stepanakert est sans doute la seule
capitale au monde sans liaison aérienne. Elle est pourtant dotée
depuis 2011 d'un aéroport flambant neuf, avec pour objectif de la
connecter à Erevan, capitale de l'Arménie, qui tient tout autant que
le Haut-Karabakh à son identité chrétienne. Actuellement, seule une
route sinueuse permet de relier les deux villes-soeurs, soit un trajet
long de sept heures pour 330 kilomètres. Depuis sa réhabilitation,
l'aéroport n'a jamais servi, et pour une raison simple : les autorités
de l'Azerbaïdjan, pays à majorité musulmane, menacent d'abattre tout
avion, même civil, qui s'en approcherait. En toile de fond : le
conflit issu des décombres de l'Union soviétique entre Erevan et
Bakou, qui continue de revendiquer ce territoire peuplé de 150 000 mes
et trois fois plus petit que la Belgique. Dans les années 1990, 30 000
personnes ont péri dans les combats. Les stigmates des bombardements
azéris depuis les hauteurs de Shushi sont encore visibles en ville.
Si la guerre est officiellement terminée depuis 1994, des incidents
sporadiques continuent d'éclater le long de la ligne de front, et sont
même en recrudescence depuis l'été. Le 12 novembre, les forces
azerbaïdjanaises ont abattu un hélicoptère arménien. ' Chaque nouvelle
victime ne fait que retarder la solution au conflit ', déclare au
Vif/L'Express Ashot Ghoulian, le président du Parlement local, très
remonté contre l'interdiction de survol décrétée par Bakou : ' Après
tout, nous pourrions également abattre leurs avions qui utilisent nos
couloirs aériens. Mais nous ne voulons pas jouer aux plus barbares. '
Afin de ne pas rallumer les hostilités, l'Arménie s'est toujours
gardée de reconnaître la jeune république. Pure manoeuvre
diplomatique, car tout transite par Erevan, qui octroie des passeports
arméniens aux citoyens de l'enclave afin de leur permettre de voyager,
et inscrit le code arménien sur les produits destinés à l'exportation.
Le drapeau national est lui-même tout un symbole : identique à celui
de l'Arménie sauf une brisure inscrite sur le côté droit. ' Cela veut
dire que nous sommes séparés, mais en même temps profondément unis ',
explique Hovhannes Grigoryan, directeur des European Friends of
Armenia (EuFoA).
A l'arrière d'un parking, on découvre un Musée de la guerre qu'un
gardien a bien voulu nous ouvrir. Dans un espace réduit, c'est un
bric-à-brac d'armes parfois artisanales, d'uniformes et d'objets
divers, de l'antique machine à écrire à l'accordéon qui berçait les
nuits de veille en passant par les foulards islamistes récupérés sur
des corps de miliciens tchétchènes. Les murs sont recouverts de
centaines de photos : les martyrs de la guerre. C'était hier. ' On
pensait en avoir fini avec les guerres au XXIe siècle, mais non,
constate le Premier ministre Arayik Harutyunyan, flanqué de son
assistant, un ex-soldat que des schrapnels ont rendu aveugle. Ce n'est
pas vraiment un conflit gelé ici, car il peut évoluer à tout moment,
dans un sens ou un autre. '
Les tensions entre Moscou et l'Occident aggravent-elles le tableau ? '
L'impact des superpuissances n'est pas si grand, constate le Premier
ministre. La Russie, qui nous équipe, joue bien sûr un grand rôle,
mais ses intérêts sont parfois contradictoires avec ceux de la région.
' Et l'Union européenne ? ' Elle fait montre d'une parfaite
indifférence, accuse-t-il. Je suis forcé de constater que le pétrole
azéri pèse parfois plus lourd que tout le reste. '
L'antique gsm du Premier ministre retentit. C'est l'heure de partir
sous escorte à un événement national dans la région de Hadrout :
lepickle festival, où l'on peut déguster des produits du terroir et
goûter à la vodka locale. Tout le gouvernement s'est déplacé, même le
président. Ne manque pas non plus l'archevêque local, Mgr Pargev, avec
sa coiffe noire et sa barbe touffue. On l'interroge sur l'éventuelle
menace djihadiste sur cette Arménie chrétienne isolée au milieu d'un
océan musulman : ' Nous sommes habitués à cela depuis des centaines
d'années, répond le prélat. Cela dit, le terrorisme islamiste est une
bombe pour tous, y compris pour les musulmans. C'est pourquoi nous
devons nous mettre autour d'une table avec nos voisins. ' Aucun de ces
dignitaires n'a toutefois été convié aux négociations qui se tenaient
au même moment à Paris entre les présidents Sargissian (Arménie) et
Aliev (Azerbaïdjan), réunis par François Hollande.
Comment un tel pays subvient-il à ses besoins ? Sur la route qui mène
au Hadrout, des pancartes indiquent les noms des généreux mécènes qui
ont financé tel tronçon, tel hôpital. Pour le reste, le pays lève ses
propres taxes qui servent à alimenter les budgets, y compris de
défense, un des plus élevés du monde. Un téléthon est organisé tous
les ans pour des projets concrets. Le pays n'étant pas reconnu, aucune
ONG européenne n'y est implantée. ' Seuls les Américains nous aident
directement pour le déminage, des hôpitaux, des adductions d'eau... ',
indique Ashot Ghoulian. Mieux vaut être discret : l'Azerbaïdjan
indique sur son site qu'il refuse tout visa à quiconque aurait pénétré
dans l'enclave via l'Arménie.
Pour attester de son honorabilité, le Haut-Karabakh met en avant son
pedigree démocratique. Les dernières élections destinées à renouveler
le Parlement de trente-trois membres, ont été transparentes. ' Les
députés se montrent à chaque fois unanimes sur les questions de
défense et d'affaires étrangères, car nous savons tous le prix que
nous avons payé ', explique Armine, une fonctionnaire. Dans le hall
d'entrée, les photos des onze parlementaires morts durant la guerre.
Sur le plan judiciaire, les autorités se veulent également
irréprochables. Depuis le 27 octobre, deux Azéris sont jugés pour
avoir passé la frontière illégalement avec des armes et avoir tué un
jeune homme. ' Même si l'Etat n'est pas reconnu, la procédure
judiciaire reste légale car elle correspond aux normes internationales
en la matière ', argumente Larisa Alaverdyan, de la Fondation contre
la violation de la loi.
En attendant, les Karabakhiens se targuent d'avoir un niveau de
criminalité parmi les plus bas du monde. Dommage pour eux, ce n'est
repris dans aucun classement mondial.
jeudi 8 janvier 2015,
Stéphane (c)armenews.com
Le pays qui n'existait pas : HAUT-KARABAKH
Le Vif/L'Express
21 Novembre 2014
Le pays qui n'existait pas : HAUT-KARABAKH
De notre envoyé spécial François Janne d'Othée
Vingt ans après un conflit sanglant, la république à majorité
arménienne du Haut-Karabakh n'est toujours pas reconnue par l'ONU. Les
incidents se multiplient avec l'Azerbaïdjan, ce qui retarde la
solution.
La prudence de l'Arménie Un conflit pas vraiment gelé Un îlot chrétien
L'atout démocratique
Un fin brouillard recouvre Stepanakert, capitale du Haut-Karabakh,
cette république à majorité arménienne qu'aucun Etat de l'ONU n'a
jamais reconnue. C'est le week-end. Des ombres furtives traversent de
larges avenues quasi vides. Le parc automobile plutôt squelettique n'a
pas encore liquidé son stock soviétique, en particulier de
vrombissantes Lada aux vitres teintées. ' Nous avons aussi nos
embouteillages, vers midi et 16 heures ', précise avec humour une
fonctionnaire pour ceux qui n'auraient pas encore réalisé que
Stepanakert est une capitale. Les cafés sont pratiquement vides, à
part quelques jeunes en veste de cuir noir. Seule touche de couleur,
des petits autobus jaunes sillonnent la ville. Ils ont même donné lieu
à la première manif depuis celle de 1988 contre le pouvoir de Moscou :
une septantaine de citadins ont protesté contre l'augmentation du prix
du ticket de bus, passé de 70 à 100 drams arméniens (de 0,13 à 0,20
euro).
Entourée de montagnes boisées, Stepanakert est sans doute la seule
capitale au monde sans liaison aérienne. Elle est pourtant dotée
depuis 2011 d'un aéroport flambant neuf, avec pour objectif de la
connecter à Erevan, capitale de l'Arménie, qui tient tout autant que
le Haut-Karabakh à son identité chrétienne. Actuellement, seule une
route sinueuse permet de relier les deux villes-soeurs, soit un trajet
long de sept heures pour 330 kilomètres. Depuis sa réhabilitation,
l'aéroport n'a jamais servi, et pour une raison simple : les autorités
de l'Azerbaïdjan, pays à majorité musulmane, menacent d'abattre tout
avion, même civil, qui s'en approcherait. En toile de fond : le
conflit issu des décombres de l'Union soviétique entre Erevan et
Bakou, qui continue de revendiquer ce territoire peuplé de 150 000 mes
et trois fois plus petit que la Belgique. Dans les années 1990, 30 000
personnes ont péri dans les combats. Les stigmates des bombardements
azéris depuis les hauteurs de Shushi sont encore visibles en ville.
Si la guerre est officiellement terminée depuis 1994, des incidents
sporadiques continuent d'éclater le long de la ligne de front, et sont
même en recrudescence depuis l'été. Le 12 novembre, les forces
azerbaïdjanaises ont abattu un hélicoptère arménien. ' Chaque nouvelle
victime ne fait que retarder la solution au conflit ', déclare au
Vif/L'Express Ashot Ghoulian, le président du Parlement local, très
remonté contre l'interdiction de survol décrétée par Bakou : ' Après
tout, nous pourrions également abattre leurs avions qui utilisent nos
couloirs aériens. Mais nous ne voulons pas jouer aux plus barbares. '
Afin de ne pas rallumer les hostilités, l'Arménie s'est toujours
gardée de reconnaître la jeune république. Pure manoeuvre
diplomatique, car tout transite par Erevan, qui octroie des passeports
arméniens aux citoyens de l'enclave afin de leur permettre de voyager,
et inscrit le code arménien sur les produits destinés à l'exportation.
Le drapeau national est lui-même tout un symbole : identique à celui
de l'Arménie sauf une brisure inscrite sur le côté droit. ' Cela veut
dire que nous sommes séparés, mais en même temps profondément unis ',
explique Hovhannes Grigoryan, directeur des European Friends of
Armenia (EuFoA).
A l'arrière d'un parking, on découvre un Musée de la guerre qu'un
gardien a bien voulu nous ouvrir. Dans un espace réduit, c'est un
bric-à-brac d'armes parfois artisanales, d'uniformes et d'objets
divers, de l'antique machine à écrire à l'accordéon qui berçait les
nuits de veille en passant par les foulards islamistes récupérés sur
des corps de miliciens tchétchènes. Les murs sont recouverts de
centaines de photos : les martyrs de la guerre. C'était hier. ' On
pensait en avoir fini avec les guerres au XXIe siècle, mais non,
constate le Premier ministre Arayik Harutyunyan, flanqué de son
assistant, un ex-soldat que des schrapnels ont rendu aveugle. Ce n'est
pas vraiment un conflit gelé ici, car il peut évoluer à tout moment,
dans un sens ou un autre. '
Les tensions entre Moscou et l'Occident aggravent-elles le tableau ? '
L'impact des superpuissances n'est pas si grand, constate le Premier
ministre. La Russie, qui nous équipe, joue bien sûr un grand rôle,
mais ses intérêts sont parfois contradictoires avec ceux de la région.
' Et l'Union européenne ? ' Elle fait montre d'une parfaite
indifférence, accuse-t-il. Je suis forcé de constater que le pétrole
azéri pèse parfois plus lourd que tout le reste. '
L'antique gsm du Premier ministre retentit. C'est l'heure de partir
sous escorte à un événement national dans la région de Hadrout :
lepickle festival, où l'on peut déguster des produits du terroir et
goûter à la vodka locale. Tout le gouvernement s'est déplacé, même le
président. Ne manque pas non plus l'archevêque local, Mgr Pargev, avec
sa coiffe noire et sa barbe touffue. On l'interroge sur l'éventuelle
menace djihadiste sur cette Arménie chrétienne isolée au milieu d'un
océan musulman : ' Nous sommes habitués à cela depuis des centaines
d'années, répond le prélat. Cela dit, le terrorisme islamiste est une
bombe pour tous, y compris pour les musulmans. C'est pourquoi nous
devons nous mettre autour d'une table avec nos voisins. ' Aucun de ces
dignitaires n'a toutefois été convié aux négociations qui se tenaient
au même moment à Paris entre les présidents Sargissian (Arménie) et
Aliev (Azerbaïdjan), réunis par François Hollande.
Comment un tel pays subvient-il à ses besoins ? Sur la route qui mène
au Hadrout, des pancartes indiquent les noms des généreux mécènes qui
ont financé tel tronçon, tel hôpital. Pour le reste, le pays lève ses
propres taxes qui servent à alimenter les budgets, y compris de
défense, un des plus élevés du monde. Un téléthon est organisé tous
les ans pour des projets concrets. Le pays n'étant pas reconnu, aucune
ONG européenne n'y est implantée. ' Seuls les Américains nous aident
directement pour le déminage, des hôpitaux, des adductions d'eau... ',
indique Ashot Ghoulian. Mieux vaut être discret : l'Azerbaïdjan
indique sur son site qu'il refuse tout visa à quiconque aurait pénétré
dans l'enclave via l'Arménie.
Pour attester de son honorabilité, le Haut-Karabakh met en avant son
pedigree démocratique. Les dernières élections destinées à renouveler
le Parlement de trente-trois membres, ont été transparentes. ' Les
députés se montrent à chaque fois unanimes sur les questions de
défense et d'affaires étrangères, car nous savons tous le prix que
nous avons payé ', explique Armine, une fonctionnaire. Dans le hall
d'entrée, les photos des onze parlementaires morts durant la guerre.
Sur le plan judiciaire, les autorités se veulent également
irréprochables. Depuis le 27 octobre, deux Azéris sont jugés pour
avoir passé la frontière illégalement avec des armes et avoir tué un
jeune homme. ' Même si l'Etat n'est pas reconnu, la procédure
judiciaire reste légale car elle correspond aux normes internationales
en la matière ', argumente Larisa Alaverdyan, de la Fondation contre
la violation de la loi.
En attendant, les Karabakhiens se targuent d'avoir un niveau de
criminalité parmi les plus bas du monde. Dommage pour eux, ce n'est
repris dans aucun classement mondial.
jeudi 8 janvier 2015,
Stéphane (c)armenews.com