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Turquie : A La Recherche D'un Pere Infaillible

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    TURQUIE : A LA RECHERCHE D'UN PERE INFAILLIBLE

    REVUE DE PRESSE

    Le 26 fevrier, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a fete
    ses 60 ans. Mais sur Twitter certains de ses partisans les plus devoues
    ont voulu donner une signification plus large a cet anniversaire. Leur
    hashtag est devenu viral en quelques heures : #milletindogumgunu,
    ce qui signifie litteralement "l'anniversaire de la nation".

    En d'autres termes, selon ces personnes, Erdogan est l'incarnation
    de la nation tout entière. Cela m'a inevitablement rappele un autre
    courant politique turc, qui considère lui aussi son leader venere
    comme personnifiant l'ensemble de la nation turque. Le kemalisme voit
    en effet dans le premier president du pays, Mustafa Kemal Ataturk,
    le "père" de tous les Turcs. (En fait, le surnom d'Ataturk, qui lui a
    ete attribue par l'Assemblee nationale turque, signifie litteralement
    "père des Turcs".) Il n'est donc pas etonnant que les kemalistes aient
    fait exactement la meme chose a l'occasion de la date anniversaire
    presumee d'Ataturk, le 19 mai. Cette date est celebree en Turquie
    depuis des decennies comme marquant la naissance a la fois d'Ataturk
    et de la nation turque. D'autres similitudes entre le kemalisme et
    l'erdoganisme naissant sont apparues a l'occasion de ce qui a ete
    percu recemment comme des attaques politiques contre Erdogan.

    En decembre 2013, au cours d'une reunion politique a Istanbul,
    certains jeunes partisans d'Erdogan l'ont accueilli vetus de tee-shirts
    ornes du slogan "Adam izindeyiz", qui veut dire : "Homme, nous te
    suivons". Il s'agissait manifestement d'un detournement du celèbre
    slogan kemaliste "Atam izindeyiz", qui peut se traduire par : "Père,
    nous te suivons". (Le terme "adam", dans ce contexte, designe un
    homme vertueux.) Ce meme mois de decembre, lors d'une autre reunion
    d'Erdogan qui s'est tenue dans la ville septentrionale de Trebizonde,
    certains de ses fans l'ont accueilli voiles de blanc, voulant lui
    signifier par la qu'ils etaient prets a mourir pour lui.

    Cette demonstration aussi rappelait irresistiblement le mantra
    kemaliste bien connu "Père, levez-vous et laissez-moi descendre dans
    la tombe", citation d'un celèbre poème que tout ecolier turc doit
    apprendre par coeur. Autorite absolue. Il faut dire que ces deux cultes
    de la personnalite edifies autour d'Ataturk et d'Erdogan ne sont pas
    les seuls du genre en Turquie. Il existe un troisième personnage qui,
    aux yeux de ses partisans, jouit aussi de l'image d'un demi-dieu :
    Abdullah Ocalan, le chef emprisonne du Parti des travailleurs du
    Kurdistan (PKK).

    Lorsqu'il declencha une guerre de guerilla contre l'Etat turc,
    en 1984, Ocalan devint rapidement le "dirigeant du peuple", terme
    impliquant qu'il etait le chef de toute la nation kurde. Il fait
    l'objet d'une devotion totale. Lorsqu'il fut arrete par les services de
    renseignement, en 1999, plusieurs partisans du PKK s'immolèrent dans le
    seul but de protester contre son incarceration. Ce n'est probablement
    pas un hasard si l'on a attribue des epithètes similaires a ces trois
    dirigeants veneres : Ataturk est le "père" (ata), Erdogan est le
    "maître" (usta), tandis qu'Ocalan est la "direction" (onderlik). Bien
    souvent les responsables de communautes religieuses jouissent eux
    aussi d'une autorite absolue sur leurs fidèles.

    L'erudit islamique Fethullah Gulen, dont les partisans sont
    actuellement engages dans une âpre lutte politique contre Erdogan
    et son parti, est connu pour etre une voix d'autorite, ses sermons
    et declarations s'imposant comme definitifs pour l'ensemble de son
    mouvement. Bien entendu, tous les citoyens turcs ne suivent pas ce
    genre de leaders charismatiques, mais c'est le cas pour une partie
    considerable de la societe, ce qui explique que la scène politique
    soit dominee par l'interaction de ces differents cultes de la
    personnalite. Et dans chaque camp un grand nombre de fanatiques
    considèrent leur dirigeant comme infaillible.

    Cela ne laisse aucune place pour l'autocritique au sein du groupe,
    toute l'energie etant consacree a condamner ceux d'en face. Les autres
    groupes deviennent des traîtres a la nation que l'on doit ecraser.

    Polarisation. On trouvera bien entendu dans d'autres societes,
    y compris dans certaines democraties liberales, des opinions tout
    aussi radicalement opposees. Mais ces democraties liberales sont
    dotees de traditions et d'institutions qui attenuent la polarisation
    et amortissent les excès du fanatisme politique.

    Le problème, en Turquie, est que, meme si dans le pays toutes les
    institutions semblent celles d'une democratie, il manque a la societe
    un trait essentiel qui est très marque dans les societes occidentales :
    l'individualite. Ainsi la democratie en Turquie ne fonctionne-t-elle
    pas comme un processus permettant a des millions d'individus de
    se confronter les uns aux autres a partir d'opinions differentes,
    mais comme un jeu a somme nulle dans lequel des camps politiques bien
    definis ne cessent de se combattre les uns les autres. Il en resulte
    une serie sans fin de coups d'Etat et de chasses aux sorcières -
    ainsi que d'incroyables combats politiques.

    Mustafa Akyol

    Publie le 28 fevrier 2014 dans Al-Monitor

    lundi 12 janvier 2015, Stephane (c)armenews.com
    http://www.armenews.com/article.php3?id_article=106713

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