Le Figaro Online, France
vendredi 16 janvier 2015 05:01 PM GMT
Martyre arménien
par Jean-Christophe Buisson; [email protected]
Le cinéma de Jean-Christophe Buisson.
Située en actuelle Turquie, près de la frontière syrienne, Mardin est
une ville chère aux chrétiens. Dès le IIIe siècle vivaient là des
Syriaques parlant la langue du Christ (l'araméen). Au XIXe siècle,
sous occupation ottomane, la moitié de ses habitants y priait encore
Jésus et la Vierge Marie plutôt qu'Allah. Parmi eux 8000 Arméniens.
Qui seraient, à partir de Pques 1915, arrêtés, chassés, déportés,
violés, massacrés - comme des centaines de milliers de leurs frères,
victimes du premier grand génocide du XXe siècle.
Après - entre autres - Henri Verneuil (Mayrig) et Atom Egoyan
(Ararat), le réalisateur de Head-on, inoubliable film coup-de-poing
(ou plutôt: coup-de-tête), Fatih Akin donne sa vision
cinématographique de cette tragédie, The Cut.Parti pris scénaristique:
narrer durant deux heures le parcours incroyable d'un jeune forgeron
arménien prénommé Nazaret (!). Installé à Mardin, il vit avec sa femme
Rakel la plus belle histoire d'amour qui soit, et ses deux filles font
de lui un père comblé. Jusqu'au jour de 1915 où il est incorporé de
force dans l'armée ottomane, condamné à casser des cailloux et
finalement égorgé comme ses compagnons pour avoir refusé de se
convertir à l'islam (une scène quasi insoutenable renvoyant
prospectivement aux images des exécutions perpétrées par les barbares
de l'Etat islamique). Ayant survécu à son assassinat (si, si, c'est
possible), désormais muet, Nazaret va errer pendant près de dix ans
entre le Liban, Cuba et les Etats-Unis, animé par le seul espoir de
retrouver sa famille vivante. Mais survit-on aux épouvantables
«marches de la mort» planifiées par les Turcs en plein désert
d'Anatolie?
D'un lyrisme assumé, parfois un peu grandiloquent, relevant autant du
film d'aventures que de la fiction historique et de
l'oeuvre-témoignage, le film d'Akin brille par sa mise en scène
soignée, sa photographie magnifique et l'excellente prestation de
Tahar Rahim. Y manquent néanmoins rythme et émotion. Quoique: de
savoir que l'auteur de ce film est un Allemand d'origine turque
n'est-il pas en soi motif de grande émotion?
Post-filmum: le film est sorti en Turquie (les choses évoluent un
peu). Dans quelques salles art et essai (il ne faut pas exagérer non
plus...).
vendredi 16 janvier 2015 05:01 PM GMT
Martyre arménien
par Jean-Christophe Buisson; [email protected]
Le cinéma de Jean-Christophe Buisson.
Située en actuelle Turquie, près de la frontière syrienne, Mardin est
une ville chère aux chrétiens. Dès le IIIe siècle vivaient là des
Syriaques parlant la langue du Christ (l'araméen). Au XIXe siècle,
sous occupation ottomane, la moitié de ses habitants y priait encore
Jésus et la Vierge Marie plutôt qu'Allah. Parmi eux 8000 Arméniens.
Qui seraient, à partir de Pques 1915, arrêtés, chassés, déportés,
violés, massacrés - comme des centaines de milliers de leurs frères,
victimes du premier grand génocide du XXe siècle.
Après - entre autres - Henri Verneuil (Mayrig) et Atom Egoyan
(Ararat), le réalisateur de Head-on, inoubliable film coup-de-poing
(ou plutôt: coup-de-tête), Fatih Akin donne sa vision
cinématographique de cette tragédie, The Cut.Parti pris scénaristique:
narrer durant deux heures le parcours incroyable d'un jeune forgeron
arménien prénommé Nazaret (!). Installé à Mardin, il vit avec sa femme
Rakel la plus belle histoire d'amour qui soit, et ses deux filles font
de lui un père comblé. Jusqu'au jour de 1915 où il est incorporé de
force dans l'armée ottomane, condamné à casser des cailloux et
finalement égorgé comme ses compagnons pour avoir refusé de se
convertir à l'islam (une scène quasi insoutenable renvoyant
prospectivement aux images des exécutions perpétrées par les barbares
de l'Etat islamique). Ayant survécu à son assassinat (si, si, c'est
possible), désormais muet, Nazaret va errer pendant près de dix ans
entre le Liban, Cuba et les Etats-Unis, animé par le seul espoir de
retrouver sa famille vivante. Mais survit-on aux épouvantables
«marches de la mort» planifiées par les Turcs en plein désert
d'Anatolie?
D'un lyrisme assumé, parfois un peu grandiloquent, relevant autant du
film d'aventures que de la fiction historique et de
l'oeuvre-témoignage, le film d'Akin brille par sa mise en scène
soignée, sa photographie magnifique et l'excellente prestation de
Tahar Rahim. Y manquent néanmoins rythme et émotion. Quoique: de
savoir que l'auteur de ce film est un Allemand d'origine turque
n'est-il pas en soi motif de grande émotion?
Post-filmum: le film est sorti en Turquie (les choses évoluent un
peu). Dans quelques salles art et essai (il ne faut pas exagérer non
plus...).