La Croix, France
Mercredi 14 Janvier 2015
Hommage de Fatih Akin aux souffrances des Arméniens
Le cinéaste allemand d'origine turque signe un film peu séduisant sur
le plan formel mais courageux sur le fond, abordant sans tabou la
question du génocide de 1915.
par SCHWARTZ Arnaud
THE CUT, LA BLESSURE * de Fatih Akin Film franco-allemand, 2 h 18.
Il fallait oser ce qu'a entrepris le cinéaste allemand d'origine
turque, Fatih Akin, 41 ans, avec cette longue épopée rendant hommage
au peuple arménien, victime, il y a un siècle, d'un génocide dont la
Turquie d'aujourd'hui ne reconnaît toujours pas la réalité. Auteur
d'une oeuvre remarquée et déjà saluée par les trois grands festivals
que sont Cannes, Berlin et Venise, le cinéaste achève, avec ce film,
une trilogie sur l'amour, la mort et le diable, commencée en 2004 avec
Head-On et poursuivie en 2007 avec De l'autre côté.
Nullement effrayé par « les sujets tabous », Fatih Akin porte la
caméra comme d'autres la plume dans la plaie, tant dans son pays
d'origine que dans son pays de naissance, soulignant, a minima, le «
laisser-faire » dont l'Allemagne fit preuve à l'époque vis-à -vis de
son partenaire ottoman. Pour autant, le cinéaste considère moins avoir
réalisé un film politique « sur » le génocide qu'intégré à son récit «
des événements historiques traumatisants qui attendent encore d'être
reconnus et étudiés ».
De fait, The Cut, la blessure se concentre avant tout sur l'itinéraire
d'un homme, incarné par l'acteur français Tahar Rahim, auquel le
cinéaste a réservé un rôle quasi muet mais omniprésent: celui d'un
jeune artisan, père de famille, baptisé Nazaret et originaire de la
ville turque de Mardin, proche de la frontière syrienne. Séparé de sa
femme et de ses deux filles, soumis à d'interminables marches où
beaucoup périrent, réduit en esclavage, Nazaret échappe de peu aux
massacres des siens, avant d'apprendre que ses deux filles sont encore
vivantes. Le jeune père sans voix à la suite d'une blessure se lance
alors dans une quête de plusieurs années qui le mènera très loin, Ã
Cuba puis aux États-Unis
Le nouveau long métrage de Fatih Akin, qui commence en 1915, fait
partie de ces films nécessaires, parce qu'attendus par ceux dont les
souffrances furent longtemps et sont encore parfois niées. Animé d'un
esprit épique, il raconte le voyage d'un homme vers le peu d'espoir
qui lui reste, avec son lot de rencontres qui le sauvent et d'autres
qui le condamnent. « Les humains sont capables d'amour, comme on le
voit dans Head-On, souligne-t-il. Dans De l'autre côté, la mort
déclenche une métamorphose. The Cut aborde la peur de faire face Ã
notre propre histoire. »
Ceux qui connaissent l'oeuvre du cinéaste seront toutefois surpris de
la rupture stylistique de ce film, qui pourra nuire à sa réception en
France. Célébré pour son audace, sa sobriété, sa capacité à instiller
tension et preté dans ses mises en scène, le cinéaste allemand livre
une épopée classique souvent lourde dans son rythme, son émotion
dictée, son interprétation affectée, trop appuyée dans le rendu des
atmosphères, le travail sur les lumières et les décors. Même de belles
idées, comme ce clin d'oeil à Charlie Chaplin par-delà le silence,
tombent à plat. À trop vouloir rendre son propos accessible à tous,
Fatih Akin s'est, cette fois, un peu perdu.
Mercredi 14 Janvier 2015
Hommage de Fatih Akin aux souffrances des Arméniens
Le cinéaste allemand d'origine turque signe un film peu séduisant sur
le plan formel mais courageux sur le fond, abordant sans tabou la
question du génocide de 1915.
par SCHWARTZ Arnaud
THE CUT, LA BLESSURE * de Fatih Akin Film franco-allemand, 2 h 18.
Il fallait oser ce qu'a entrepris le cinéaste allemand d'origine
turque, Fatih Akin, 41 ans, avec cette longue épopée rendant hommage
au peuple arménien, victime, il y a un siècle, d'un génocide dont la
Turquie d'aujourd'hui ne reconnaît toujours pas la réalité. Auteur
d'une oeuvre remarquée et déjà saluée par les trois grands festivals
que sont Cannes, Berlin et Venise, le cinéaste achève, avec ce film,
une trilogie sur l'amour, la mort et le diable, commencée en 2004 avec
Head-On et poursuivie en 2007 avec De l'autre côté.
Nullement effrayé par « les sujets tabous », Fatih Akin porte la
caméra comme d'autres la plume dans la plaie, tant dans son pays
d'origine que dans son pays de naissance, soulignant, a minima, le «
laisser-faire » dont l'Allemagne fit preuve à l'époque vis-à -vis de
son partenaire ottoman. Pour autant, le cinéaste considère moins avoir
réalisé un film politique « sur » le génocide qu'intégré à son récit «
des événements historiques traumatisants qui attendent encore d'être
reconnus et étudiés ».
De fait, The Cut, la blessure se concentre avant tout sur l'itinéraire
d'un homme, incarné par l'acteur français Tahar Rahim, auquel le
cinéaste a réservé un rôle quasi muet mais omniprésent: celui d'un
jeune artisan, père de famille, baptisé Nazaret et originaire de la
ville turque de Mardin, proche de la frontière syrienne. Séparé de sa
femme et de ses deux filles, soumis à d'interminables marches où
beaucoup périrent, réduit en esclavage, Nazaret échappe de peu aux
massacres des siens, avant d'apprendre que ses deux filles sont encore
vivantes. Le jeune père sans voix à la suite d'une blessure se lance
alors dans une quête de plusieurs années qui le mènera très loin, Ã
Cuba puis aux États-Unis
Le nouveau long métrage de Fatih Akin, qui commence en 1915, fait
partie de ces films nécessaires, parce qu'attendus par ceux dont les
souffrances furent longtemps et sont encore parfois niées. Animé d'un
esprit épique, il raconte le voyage d'un homme vers le peu d'espoir
qui lui reste, avec son lot de rencontres qui le sauvent et d'autres
qui le condamnent. « Les humains sont capables d'amour, comme on le
voit dans Head-On, souligne-t-il. Dans De l'autre côté, la mort
déclenche une métamorphose. The Cut aborde la peur de faire face Ã
notre propre histoire. »
Ceux qui connaissent l'oeuvre du cinéaste seront toutefois surpris de
la rupture stylistique de ce film, qui pourra nuire à sa réception en
France. Célébré pour son audace, sa sobriété, sa capacité à instiller
tension et preté dans ses mises en scène, le cinéaste allemand livre
une épopée classique souvent lourde dans son rythme, son émotion
dictée, son interprétation affectée, trop appuyée dans le rendu des
atmosphères, le travail sur les lumières et les décors. Même de belles
idées, comme ce clin d'oeil à Charlie Chaplin par-delà le silence,
tombent à plat. À trop vouloir rendre son propos accessible à tous,
Fatih Akin s'est, cette fois, un peu perdu.