CHARLIE HEBDO : APRES LE CHOC ET LA MOBILISATION, L'ACTION
COMMUNIQUE DE LA FIDH
La FIDH rend hommage aux millions de citoyens qui se sont mobilises
le 11 janvier 2015 a l'occasion de la marche republicaine en France
et dans le monde, en reponse aux attentats contre la redaction de
Charlie Hebdo et la tuerie dans un supermarche Casher. A l'aune des
contre-manifestations reactionnaires organisees dans differents pays
depuis la publication du dernier numero de Charlie Hebdo, il importe
d'autant plus d'en mesurer la portee et d'en tirer des consequences.
Des marches pour la liberte d'expression, contre l'antisemitisme et
toutes les formes de racisme et, contre les tueries : ce sont les
principes democratiques que les manifestants ont porte au plus haut
le 11 janvier.
Eviter que ces mobilisations ne retombent est l'affaire de
tous. La traduire en actes est la responsabilite en premier lieu
des gouvernants.
En France, la Ligue des droits de l'Homme a evoque l'ampleur des
chantiers necessaires pour combler la fracture republicaine (cf
communique commun LDH, Licra, SOS Racisme et Mrap, "Pour une Republique
effective", 9 janvier 2015). Nous le soulignons avec elle et les
ONG du monde entier qui se sont manifestees depuis les attentats :
la portee internationale de l'enjeu ne saurait etre sous-estimee.
La defense de la liberte d'expression n'a pas recu le soutien
international necessaire.
On ne le rappellera jamais assez, cette liberte >
(cf Cour europeenne des droits de l'Homme, Affaire Handyside, 1976]).
Le droit international fixe precisement des limites a la liberte
d'expression. Cette liberte ne comprend pas l'incitation a la
perpetration ni l'apologie de genocide et de crimes contre l'humanite,
ou encore l'incitation a la haine ou a la discrimination raciale,
ethnique ou religieuse.
Il fixe encore des restrictions a la liberte, en particulier pour
proteger les droits et la reputation d'autrui contre l'injure ou
la diffamation contre personnes denommees - et contre personnes
denommees seulement, une religion ou une conviction relevant de la
sphère privee, subjective.
Toujours selon le droit international, ces restrictions ne sont
admissibles qu'en vertu de lois nationales qui lui soient conformes
dans une societe democratique, et dans des conditions très strictes
(necessite, proportionnalite) dont l'appreciation doit relever au
cas par cas, de la competence du juge.
Ainsi la liberte d'expression ne s'oppose pas a la liberte de religion
ou de conviction, elle en constitue au contraire l'indispensable
complement, garantissant au pluralisme des opinions, croyances et
convictions, la liberte de leur expression.
Ces principes ont ete reaffirmes et precises a la suite de la
controverse internationale nee de la publication de caricatures du
prophète Mahomet dans des journaux danois. Les Nations unies ont
organise une serie de consultations entre experts de toutes les
regions, pour identifier et preciser l'etendue des restrictions
acceptees par le droit international relatif a la liberte
d'expression. Une declaration et un plan d'action ont ete adoptes au
terme de ces consultations, a Rabat en fevrier 2013, qui reconnaît
notamment que >
Le Comite des droits de l'Homme des Nations unies l'avait egalement
reconnu : > (Commentaire general 34 sur l'article 19 relatif aux
libertes d'opinion et d'expression du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, adopte en juillet 2011]).
En depit de ces principes, les lois nationales sont
devoyees pour devenir, plutôt qu'une protection des
libertes, l'instrument de leur violation. C'est le cas en
particulier des lois penalisant le blasphème, presentes
encore dans plus de cinquante pays de par le monde (cf
http://www.humanrightsfirst.org/sites/default/files/Compendium-Blasphemy-Laws.pdf).
Beaucoup d'Etats ou de forces politiques ou religieuses opposes a
la liberte d'expression, notamment par la caricature ou la derision,
justifient plus largement les violations de cette liberte pour asseoir
leur pouvoir ou leur influence.
Les premières victimes en sont les voix independantes de par le monde,
a l'instar, en Arabie Saoudite, de Raif Badawi blogueur qui defend
une vision plus liberale de l'islam et des reformes necessaire dans
son pays. Il a ete condamne pour cela a mille coups de fouets pour
"insulte a l'islam", 10 annees de prison, 10 annees supplementaires
d'interdiction de quitter son pays et 20 000 euros d'amende.
Les defenseurs des droits humains qui prennent la defense de ces
personnes accusees arbitrairement risquent leur vie. Membre de la
Commission pakistanaise pour les droits de l'Homme, Rashid Rehman a ete
assassine le 8 mai 2014 au Pakistan. Il etait l'avocat d'une personne
accusee de blasphème. Il avait recu des menaces de mort alors qu'il
plaidait devant un juge, les autorites pakistanaises ont refuse de
lui accorder une quelconque protection.
On pense encore a Aminatou Mint El Moctar, responsable de l'association
des femmes chefs de famille en Mauritanie visee en 2014 par une fatwa
pour sa defense de personnes poursuivies pour apostasie ou harcelees
par des groupes islamistes radicaux.
Au Vietnam, Bui Thi Minh Hang, Nguyen Van Minh et Nguyen Thi Thuy
Quynh, ont ete condamnes pour trouble a l'ordre public a plusieurs
annees d'emprisonnement au Vietnam en decembre 2014, pour avoir
defendu la liberte de religion et de conviction.
Dans quatre-vingts pays environ, le seul fait d'informer sur les
violations des droits humains universels, a fortiori d'agir pour
qu'il y soit mis fin, est synonyme de risque majeur (cf les derniers
rapports annuels de l'Observatoire pour la protection des defenseurs
des droits humains https://wearenotafraid.org/fr/). Risque de procedure
fallacieuse et de detention arbitraire, de condamnation inique,
de torture et de traitement cruel, inhumain ou degradant, risque
pour les ONG et les medias independants d'assassinat, de suspension,
de dissolution, risque de designation a la vindicte populaire comme
traitre, apostat, terroriste, separatiste, extremiste.
Il est desormais urgent et necessaire d'interpeller les Etats pour
les rappeler a leurs obligations au regard du droit international des
droits humains. A cet egard, nous deplorons le fait qu'en tete de la
marche parisienne, une vingtaine de representants de gouvernements
oppresseurs de la liberte de conscience se sont precipites a Paris pour
proclamer leur condamnation du terrorisme, sans se voir rappeler que
la garantie des libertes en constitue la condition. Ils sont alors
rentres de Paris encourages dans leurs pratiques liberticides.
Depuis, plusieurs manifestations ont pris part de par le monde, pour
protester contre le soutien apporte au journal satyrique francais. Si
le droit de manifester pacifiquement son opinion religieuse est
inalienable, nous devons denoncer les attaques intervenues a cette
occasion contre les chretiens au Niger, ou ailleurs, contre des
representants des minorites. Celles-ci sont inadmissibles. D'autres,
a l'instar de celle du 19 janvier organisee a Grozny par Ramazan
Kadyrov, ne laissent personne dupe sur leur organisation de toute
pièce par le pouvoir en place, qui ne cesse d'instrumentaliser le
religieux a des fins politiques.
Au dela des manifestations et des declarations, nous attendons des
dirigeants une mobilisation internationale sans precedent, une defense
opiniâtre des citoyens reprimes au pretexte de leur defense de la
liberte d'expression, et de la liberte de religion ou de conviction.
Il faudrait aussi mesurer combien l'echec des politiques soi-disant
antiterroristes developpees depuis le 11 septembre 2001 a pese dans
l'essor spectaculaire de mouvements ideologiques fondes sur la terreur.
Les images de Guantanamo et d'Abu Graïb n'ont pas seulement servi de
catalyseur aux energies terroristes, elles les ont galvanisees dans
leur macabre entreprise jusque dans la terrible mise en scène des
executions d'otages de Daech.
Quant a la legitimation publique de l'usage de la torture par les
dirigeants de >, les pratiques de detention arbitraire
et de torture dans des centres secrets, de remise extraordinaire
dans des vols fantômes, d'execution sommaire par drône interpose,
d'interception massive de donnees personnelles, d'impunite absolue
pour les decideurs de ces pratiques, comment imaginer qu'elles
ne nourrissent pas l'argumentaire des recruteurs terroristes,
l'attractivite de leur entreprise mortifère et la banalisation des
violations des droits humains ?
Le bilan lucide doit aussi etre entrepris de l'echec patent de
l'invasion puis de l'occupation de l'Irak a partir de 2003, comme de
l'echec dramatique a empecher depuis bientôt quatre ans la tragedie
syrienne, et a favoriser une solution juste et durable au conflit
israëlo-palestinien. La perception mondialisee d'une injustice
recurrente sur fond de colonisation permanente des Territoires
palestiniens n'a pas seulement alimente la critique justifiee du
"deux poids - deux mesures". Elle a permis son instrumentalisation
jusque dans le recrutement des filières jihadistes. Il est aussi
de la responsabilite des gouvernants de le reconnaître et, surtout,
de trouver les moyens d'y remedier.
La democratie requiert une exigence permanente dont les gouvernants
sont debiteurs a l'egard de leurs concitoyens pour garantir la
realisation des droits et l'effectivite des libertes, y compris du
droit a la securite, surtout dans les moments les plus difficiles
(voir a cet egard le rapport de la FIDH
COMMUNIQUE DE LA FIDH
La FIDH rend hommage aux millions de citoyens qui se sont mobilises
le 11 janvier 2015 a l'occasion de la marche republicaine en France
et dans le monde, en reponse aux attentats contre la redaction de
Charlie Hebdo et la tuerie dans un supermarche Casher. A l'aune des
contre-manifestations reactionnaires organisees dans differents pays
depuis la publication du dernier numero de Charlie Hebdo, il importe
d'autant plus d'en mesurer la portee et d'en tirer des consequences.
Des marches pour la liberte d'expression, contre l'antisemitisme et
toutes les formes de racisme et, contre les tueries : ce sont les
principes democratiques que les manifestants ont porte au plus haut
le 11 janvier.
Eviter que ces mobilisations ne retombent est l'affaire de
tous. La traduire en actes est la responsabilite en premier lieu
des gouvernants.
En France, la Ligue des droits de l'Homme a evoque l'ampleur des
chantiers necessaires pour combler la fracture republicaine (cf
communique commun LDH, Licra, SOS Racisme et Mrap, "Pour une Republique
effective", 9 janvier 2015). Nous le soulignons avec elle et les
ONG du monde entier qui se sont manifestees depuis les attentats :
la portee internationale de l'enjeu ne saurait etre sous-estimee.
La defense de la liberte d'expression n'a pas recu le soutien
international necessaire.
On ne le rappellera jamais assez, cette liberte >
(cf Cour europeenne des droits de l'Homme, Affaire Handyside, 1976]).
Le droit international fixe precisement des limites a la liberte
d'expression. Cette liberte ne comprend pas l'incitation a la
perpetration ni l'apologie de genocide et de crimes contre l'humanite,
ou encore l'incitation a la haine ou a la discrimination raciale,
ethnique ou religieuse.
Il fixe encore des restrictions a la liberte, en particulier pour
proteger les droits et la reputation d'autrui contre l'injure ou
la diffamation contre personnes denommees - et contre personnes
denommees seulement, une religion ou une conviction relevant de la
sphère privee, subjective.
Toujours selon le droit international, ces restrictions ne sont
admissibles qu'en vertu de lois nationales qui lui soient conformes
dans une societe democratique, et dans des conditions très strictes
(necessite, proportionnalite) dont l'appreciation doit relever au
cas par cas, de la competence du juge.
Ainsi la liberte d'expression ne s'oppose pas a la liberte de religion
ou de conviction, elle en constitue au contraire l'indispensable
complement, garantissant au pluralisme des opinions, croyances et
convictions, la liberte de leur expression.
Ces principes ont ete reaffirmes et precises a la suite de la
controverse internationale nee de la publication de caricatures du
prophète Mahomet dans des journaux danois. Les Nations unies ont
organise une serie de consultations entre experts de toutes les
regions, pour identifier et preciser l'etendue des restrictions
acceptees par le droit international relatif a la liberte
d'expression. Une declaration et un plan d'action ont ete adoptes au
terme de ces consultations, a Rabat en fevrier 2013, qui reconnaît
notamment que >
Le Comite des droits de l'Homme des Nations unies l'avait egalement
reconnu : > (Commentaire general 34 sur l'article 19 relatif aux
libertes d'opinion et d'expression du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, adopte en juillet 2011]).
En depit de ces principes, les lois nationales sont
devoyees pour devenir, plutôt qu'une protection des
libertes, l'instrument de leur violation. C'est le cas en
particulier des lois penalisant le blasphème, presentes
encore dans plus de cinquante pays de par le monde (cf
http://www.humanrightsfirst.org/sites/default/files/Compendium-Blasphemy-Laws.pdf).
Beaucoup d'Etats ou de forces politiques ou religieuses opposes a
la liberte d'expression, notamment par la caricature ou la derision,
justifient plus largement les violations de cette liberte pour asseoir
leur pouvoir ou leur influence.
Les premières victimes en sont les voix independantes de par le monde,
a l'instar, en Arabie Saoudite, de Raif Badawi blogueur qui defend
une vision plus liberale de l'islam et des reformes necessaire dans
son pays. Il a ete condamne pour cela a mille coups de fouets pour
"insulte a l'islam", 10 annees de prison, 10 annees supplementaires
d'interdiction de quitter son pays et 20 000 euros d'amende.
Les defenseurs des droits humains qui prennent la defense de ces
personnes accusees arbitrairement risquent leur vie. Membre de la
Commission pakistanaise pour les droits de l'Homme, Rashid Rehman a ete
assassine le 8 mai 2014 au Pakistan. Il etait l'avocat d'une personne
accusee de blasphème. Il avait recu des menaces de mort alors qu'il
plaidait devant un juge, les autorites pakistanaises ont refuse de
lui accorder une quelconque protection.
On pense encore a Aminatou Mint El Moctar, responsable de l'association
des femmes chefs de famille en Mauritanie visee en 2014 par une fatwa
pour sa defense de personnes poursuivies pour apostasie ou harcelees
par des groupes islamistes radicaux.
Au Vietnam, Bui Thi Minh Hang, Nguyen Van Minh et Nguyen Thi Thuy
Quynh, ont ete condamnes pour trouble a l'ordre public a plusieurs
annees d'emprisonnement au Vietnam en decembre 2014, pour avoir
defendu la liberte de religion et de conviction.
Dans quatre-vingts pays environ, le seul fait d'informer sur les
violations des droits humains universels, a fortiori d'agir pour
qu'il y soit mis fin, est synonyme de risque majeur (cf les derniers
rapports annuels de l'Observatoire pour la protection des defenseurs
des droits humains https://wearenotafraid.org/fr/). Risque de procedure
fallacieuse et de detention arbitraire, de condamnation inique,
de torture et de traitement cruel, inhumain ou degradant, risque
pour les ONG et les medias independants d'assassinat, de suspension,
de dissolution, risque de designation a la vindicte populaire comme
traitre, apostat, terroriste, separatiste, extremiste.
Il est desormais urgent et necessaire d'interpeller les Etats pour
les rappeler a leurs obligations au regard du droit international des
droits humains. A cet egard, nous deplorons le fait qu'en tete de la
marche parisienne, une vingtaine de representants de gouvernements
oppresseurs de la liberte de conscience se sont precipites a Paris pour
proclamer leur condamnation du terrorisme, sans se voir rappeler que
la garantie des libertes en constitue la condition. Ils sont alors
rentres de Paris encourages dans leurs pratiques liberticides.
Depuis, plusieurs manifestations ont pris part de par le monde, pour
protester contre le soutien apporte au journal satyrique francais. Si
le droit de manifester pacifiquement son opinion religieuse est
inalienable, nous devons denoncer les attaques intervenues a cette
occasion contre les chretiens au Niger, ou ailleurs, contre des
representants des minorites. Celles-ci sont inadmissibles. D'autres,
a l'instar de celle du 19 janvier organisee a Grozny par Ramazan
Kadyrov, ne laissent personne dupe sur leur organisation de toute
pièce par le pouvoir en place, qui ne cesse d'instrumentaliser le
religieux a des fins politiques.
Au dela des manifestations et des declarations, nous attendons des
dirigeants une mobilisation internationale sans precedent, une defense
opiniâtre des citoyens reprimes au pretexte de leur defense de la
liberte d'expression, et de la liberte de religion ou de conviction.
Il faudrait aussi mesurer combien l'echec des politiques soi-disant
antiterroristes developpees depuis le 11 septembre 2001 a pese dans
l'essor spectaculaire de mouvements ideologiques fondes sur la terreur.
Les images de Guantanamo et d'Abu Graïb n'ont pas seulement servi de
catalyseur aux energies terroristes, elles les ont galvanisees dans
leur macabre entreprise jusque dans la terrible mise en scène des
executions d'otages de Daech.
Quant a la legitimation publique de l'usage de la torture par les
dirigeants de >, les pratiques de detention arbitraire
et de torture dans des centres secrets, de remise extraordinaire
dans des vols fantômes, d'execution sommaire par drône interpose,
d'interception massive de donnees personnelles, d'impunite absolue
pour les decideurs de ces pratiques, comment imaginer qu'elles
ne nourrissent pas l'argumentaire des recruteurs terroristes,
l'attractivite de leur entreprise mortifère et la banalisation des
violations des droits humains ?
Le bilan lucide doit aussi etre entrepris de l'echec patent de
l'invasion puis de l'occupation de l'Irak a partir de 2003, comme de
l'echec dramatique a empecher depuis bientôt quatre ans la tragedie
syrienne, et a favoriser une solution juste et durable au conflit
israëlo-palestinien. La perception mondialisee d'une injustice
recurrente sur fond de colonisation permanente des Territoires
palestiniens n'a pas seulement alimente la critique justifiee du
"deux poids - deux mesures". Elle a permis son instrumentalisation
jusque dans le recrutement des filières jihadistes. Il est aussi
de la responsabilite des gouvernants de le reconnaître et, surtout,
de trouver les moyens d'y remedier.
La democratie requiert une exigence permanente dont les gouvernants
sont debiteurs a l'egard de leurs concitoyens pour garantir la
realisation des droits et l'effectivite des libertes, y compris du
droit a la securite, surtout dans les moments les plus difficiles
(voir a cet egard le rapport de la FIDH