GENOCIDE ARMENIEN : LE CHEMIN PARCOURU
Publie le : 02-03-2015
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=86207
Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
propose cet article d'Etienne Copeaux, chercheur francais specialiste
de la Turquie, publie sur son blog susam-sokak.fr le 25 fevrier 2015.
Legende photo : Jeunes Armeniennes a la manifestation des femmes,
Istanbul, 8 mars 2014. Photo E.C.
susam-sokak.fr
Esquisse n° 53 - Genocide : le chemin parcouru
25 Fevrier 2015
Publie par Etienne Copeaux
Le 17 fevrier 2015, Liberation publiait un texte de Cengiz Aktar
intitule >, un texte très important et juste,
qui incite les Turcs, après la reconnaissance necessaire du genocide,
a passer a une autre necessite, celle de reconnaître et d'analyser
le trouble qui s'est empare de l'ensemble de la societe turque après
1915, un trouble qui dure, et a propos duquel Aktar propose de >.
On le dit depuis longtemps, la societe turque est malade, a cause de
ce crime qui constitue l'acte fondateur de la Turquie moderne. Elle
est malade justement a cause de l'Etat, qui propose a ses citoyens un
discours en porte-a-faux avec le vecu et la memoire de la population :
comme l'ecrit Clotilde Leguil dans son introduction a Totem et tabou
(Seuil/points 2010), >. Si j'ai quelquefois
parle de > a propos de la societe turque,
c'est parce que le discours de l'Etat, en particulier son discours
scolaire, est propre a favoriser chez des millions de personnes un
malaise qui peut prendre une dimension pathologique.
Un psychanalyste travaille en se basant seulement sur un recit,
celui que lui livre peu a peu son patient. A partir de la, sans
autre artifice, ils travaillent ensemble a la guerison. On m'a
parfois dit en plaisantant que j'avais fait une psychanalyse de
la Turquie. Je crois en effet qu'a partir du recit que livre >, la Turquie, on peut faire une analyse au sens freudien,
mettre la verite au jour a partir des mensonges, lapsus, non-dits et
obsessions presents dans le recit. Pour etablir la verite sur le sort
des Armeniens, l'examen du recit sur >
ne suffisait pas, il fallait examiner l'ensemble des propos du >, en remontant jusqu'au recit sur les origines, et a la
genèse du recit. Mais la guerison requiert le travail du psychanalyste
et celui du patient tout a la fois. La therapie reclamee par Cengiz
Aktar est commencee ; la societe turque est sans doute en voie de lente
guerison, grâce a des intellectuels qui etaient d'abord une poignee,
et qui sont heureusement nombreux desormais.
On parle beaucoup, on va parler de plus en plus du genocide dans les
mois qui viennent. Plus personne maintenant n'ose le nier frontalement.
Or les etudes sur la Turquie ont ete bridees, pendant longtemps,
par la complaisance d'historiens trop permeables a un discours
historique turc qu'ils n'avaient peut-etre pas identifie comme etant
petri de nationalisme. Il y a eu bien sûr des exceptions, mais elles
venaient surtout de chercheurs connaisseurs de la Turquie mais qui
se situaient en marge ou hors de la turcologie, comme Olivier Abel
ou Jean-Francois Bayart.
Mais c'est a cette meme epoque que se manifestait le > des Armeniens, et d'abord sous une forme violente qui
le discreditait. De 1975 a 1984, l'ASALA (Armee secrète armenienne de
liberation de l'Armenie) avait commis des attentats qui ont provoque la
mort de dizaines de personnes. En 1977, l'un d'eux, perpetre en leur
propre domicile, avait failli coûter la vie au couple d'historiens
americains Stanford et Ezel Shaw, très critiques pour leur History
of the Ottoman Empire and Modern Turkey. De telles methodes, d'où
qu'elles viennent et quelles qu'en soient les cibles, etaient et
restent odieuses et en tout cas, a l'epoque, n'etaient pas propres
au developpement d'etudes sereines sur l'histoire du genocide.
Celles-ci auraient certainement avance plus vite si cette atmosphère
d'intimidation, imposee par les deux côtes, n'avait pas existe.
Heureusement, la lutte pour la reconnaissance du genocide a adopte
d'autres formes. En 1983 Yves Ternon publiait La Cause armenienne, et,
en 1984 paraissait Le Crime de silence, dirige par Gerard Chaliand,
reunissant les actes d'un > qui s'etait
tenu a Paris la meme annee. L'idee de reconnaissance du genocide
avancait rapidement dans le milieu politique francais, sans doute en
partie pour des raisons electoralistes, et surtout a gauche, où le
sentiment d'opposition a la Turquie etait vif a cause du coup d'Etat
militaire de 1980 et du regime d'oppression qui s'etait ensuivi. Claude
Cheysson (ministre des Affaires etrangères) en 1981, Gaston Defferre
(ministre de l'Interieur) en 1982, le president Mitterrand en 1984,
enfin le Parlement europeen en 1987 reconnaissaient qu'il y avait
bien eu genocide.
Mais la Turquie et la turcologie francaise resistaient. Quelques
rappels sur des affaires vieilles de quinze a vingt ans permettront
de mesurer le chemin parcouru.
C'est a cette epoque que j'ai commence mes etudes sur la Turquie. Dans
les premières pages de mon premier memoire (1991) sur la vision
turque de l'histoire, j'avais deja souligne les insuffisances et les
evitements de certains specialistes. Dans ma thèse, j'ai analyse
(en fournissant, avec l'analyse, les outils, la boîte a outils et
le mode d'emploi), les ressorts, la rhetorique parfois subtile de la
version turque de l'histoire, l'embrigadement de nombreux historiens
turcs, confortes dans les annees trente par des savants occidentaux
complaisants, dans une vaste entreprise de falsification, non seulement
des evenements de 1915, mais de toute l'histoire, destinee a effacer
entièrement du recit historique la memoire armenienne et celles de
toutes les >. Mais, a son tour, cette vaste entreprise
de falsification a ete egalement tue, masquee ou minimisee par la
plupart des turcologues. J'etais ahuri de la decouvrir, trouble et
stupefait d'etre seul a en parler, en tout cas en France.
Lire la suite sur le blog d'Etienne Copeaux susam-sokak.fr.
Lire aussi :
L'annee 1915, malediction turque
Source/Lien : susam-sokak.fr
Publie le : 02-03-2015
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=86207
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propose cet article d'Etienne Copeaux, chercheur francais specialiste
de la Turquie, publie sur son blog susam-sokak.fr le 25 fevrier 2015.
Legende photo : Jeunes Armeniennes a la manifestation des femmes,
Istanbul, 8 mars 2014. Photo E.C.
susam-sokak.fr
Esquisse n° 53 - Genocide : le chemin parcouru
25 Fevrier 2015
Publie par Etienne Copeaux
Le 17 fevrier 2015, Liberation publiait un texte de Cengiz Aktar
intitule >, un texte très important et juste,
qui incite les Turcs, après la reconnaissance necessaire du genocide,
a passer a une autre necessite, celle de reconnaître et d'analyser
le trouble qui s'est empare de l'ensemble de la societe turque après
1915, un trouble qui dure, et a propos duquel Aktar propose de >.
On le dit depuis longtemps, la societe turque est malade, a cause de
ce crime qui constitue l'acte fondateur de la Turquie moderne. Elle
est malade justement a cause de l'Etat, qui propose a ses citoyens un
discours en porte-a-faux avec le vecu et la memoire de la population :
comme l'ecrit Clotilde Leguil dans son introduction a Totem et tabou
(Seuil/points 2010), >. Si j'ai quelquefois
parle de > a propos de la societe turque,
c'est parce que le discours de l'Etat, en particulier son discours
scolaire, est propre a favoriser chez des millions de personnes un
malaise qui peut prendre une dimension pathologique.
Un psychanalyste travaille en se basant seulement sur un recit,
celui que lui livre peu a peu son patient. A partir de la, sans
autre artifice, ils travaillent ensemble a la guerison. On m'a
parfois dit en plaisantant que j'avais fait une psychanalyse de
la Turquie. Je crois en effet qu'a partir du recit que livre >, la Turquie, on peut faire une analyse au sens freudien,
mettre la verite au jour a partir des mensonges, lapsus, non-dits et
obsessions presents dans le recit. Pour etablir la verite sur le sort
des Armeniens, l'examen du recit sur >
ne suffisait pas, il fallait examiner l'ensemble des propos du >, en remontant jusqu'au recit sur les origines, et a la
genèse du recit. Mais la guerison requiert le travail du psychanalyste
et celui du patient tout a la fois. La therapie reclamee par Cengiz
Aktar est commencee ; la societe turque est sans doute en voie de lente
guerison, grâce a des intellectuels qui etaient d'abord une poignee,
et qui sont heureusement nombreux desormais.
On parle beaucoup, on va parler de plus en plus du genocide dans les
mois qui viennent. Plus personne maintenant n'ose le nier frontalement.
Or les etudes sur la Turquie ont ete bridees, pendant longtemps,
par la complaisance d'historiens trop permeables a un discours
historique turc qu'ils n'avaient peut-etre pas identifie comme etant
petri de nationalisme. Il y a eu bien sûr des exceptions, mais elles
venaient surtout de chercheurs connaisseurs de la Turquie mais qui
se situaient en marge ou hors de la turcologie, comme Olivier Abel
ou Jean-Francois Bayart.
Mais c'est a cette meme epoque que se manifestait le > des Armeniens, et d'abord sous une forme violente qui
le discreditait. De 1975 a 1984, l'ASALA (Armee secrète armenienne de
liberation de l'Armenie) avait commis des attentats qui ont provoque la
mort de dizaines de personnes. En 1977, l'un d'eux, perpetre en leur
propre domicile, avait failli coûter la vie au couple d'historiens
americains Stanford et Ezel Shaw, très critiques pour leur History
of the Ottoman Empire and Modern Turkey. De telles methodes, d'où
qu'elles viennent et quelles qu'en soient les cibles, etaient et
restent odieuses et en tout cas, a l'epoque, n'etaient pas propres
au developpement d'etudes sereines sur l'histoire du genocide.
Celles-ci auraient certainement avance plus vite si cette atmosphère
d'intimidation, imposee par les deux côtes, n'avait pas existe.
Heureusement, la lutte pour la reconnaissance du genocide a adopte
d'autres formes. En 1983 Yves Ternon publiait La Cause armenienne, et,
en 1984 paraissait Le Crime de silence, dirige par Gerard Chaliand,
reunissant les actes d'un > qui s'etait
tenu a Paris la meme annee. L'idee de reconnaissance du genocide
avancait rapidement dans le milieu politique francais, sans doute en
partie pour des raisons electoralistes, et surtout a gauche, où le
sentiment d'opposition a la Turquie etait vif a cause du coup d'Etat
militaire de 1980 et du regime d'oppression qui s'etait ensuivi. Claude
Cheysson (ministre des Affaires etrangères) en 1981, Gaston Defferre
(ministre de l'Interieur) en 1982, le president Mitterrand en 1984,
enfin le Parlement europeen en 1987 reconnaissaient qu'il y avait
bien eu genocide.
Mais la Turquie et la turcologie francaise resistaient. Quelques
rappels sur des affaires vieilles de quinze a vingt ans permettront
de mesurer le chemin parcouru.
C'est a cette epoque que j'ai commence mes etudes sur la Turquie. Dans
les premières pages de mon premier memoire (1991) sur la vision
turque de l'histoire, j'avais deja souligne les insuffisances et les
evitements de certains specialistes. Dans ma thèse, j'ai analyse
(en fournissant, avec l'analyse, les outils, la boîte a outils et
le mode d'emploi), les ressorts, la rhetorique parfois subtile de la
version turque de l'histoire, l'embrigadement de nombreux historiens
turcs, confortes dans les annees trente par des savants occidentaux
complaisants, dans une vaste entreprise de falsification, non seulement
des evenements de 1915, mais de toute l'histoire, destinee a effacer
entièrement du recit historique la memoire armenienne et celles de
toutes les >. Mais, a son tour, cette vaste entreprise
de falsification a ete egalement tue, masquee ou minimisee par la
plupart des turcologues. J'etais ahuri de la decouvrir, trouble et
stupefait d'etre seul a en parler, en tout cas en France.
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L'annee 1915, malediction turque
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