Le Parisien
4 mars 2015
« Ma victoire sur le génocide, parler arménien avec mes filles »
Dans le cadre de la commémoration du centenaire du massacre qui a fait
1,5 million de victimes, Saro Mardiryan, cadre informatique de 36 ans
vivant à Alfortville, témoigne.
Agnès Vives
Dans la famille Mardiryan, le génocide arménien, c'est toute une
histoire. Saro Mardiryan, cadre informatique de 36 ans qui vit Ã
Alfortville depuis l'ge de ses 5 mois, fait partie de la troisième
génération de descendants des victimes de l'élimination programmée des
Arméniens par le gouvernement turc entre 1915 et 1916. Ce massacre a
fait 1,5 million de victimes. Son arrière-grand-mère en a réchappé. Un
long parcours d'errance s'en est suivi pour la famille avant d'arriver
à Alfortville.Ce sont ses parents qui, ne voyant pas d'avenir en
Turquie, font le choix de devenir réfugiés politiques et s'installent
dans ce principal port d'attache de la diaspora arménienne où les
premiers émigrés sont arrivés à la fin du XIX e siècle. La communauté
les aide à trouver travail et logement. Trois ans plus tard, les
grands-parents les rejoignent. Aujourd'hui, Alfortville, « la petite
Arménie », compterait entre 7 000 et 8 000 Arméniens.Le mont Moïse en
TurquieC'est là que son arrière-grand-mère, 7 ans en 1915, trouve
refuge comme 4 500 autres villageois. Promis à la déportation, ils
avaient fui avec vivres, animaux et quelques armes sur cette montagne,
difficilement accessible, face à la mer. « Les Turcs vont mener sept
assauts. A chaque fois, mon arrière-grand-mère se couvrait le visage
de boue pour cacher sa beauté. Car, lorsque les femmes et les enfants
étaient arrêtés, ils étaient envoyés dans des familles turques. » Ce
siège célèbre, les 40 jours de Musa Dagh, sera raconté dans un livre
de Franz Werfel. Mel Gibson voudra même en faire un film. Sauvés par
une frégate française, les villageois seront évacués en Egypte. «
Pendant quatre ans, ils vivront dans des tentes avant de retourner
chez eux. A ce moment-là , la région est sous administration française.
»Le nom retrouvé« En 1939, la région où vit mon grand-père est
rétrocédée à la Turquie. Le gouvernement fait changer tous les noms
arméniens pour effacer l'identité arménienne. A 16 ans, il doit
s'appeler Silahli. » Mais, en 2009, Saro Mardiryan, qui a obtenu comme
ses proches la naturalisation en 1986, fait des démarches pour
récupérer le nom de Mardiryan pour lui mais aussi pour son grand-père,
son père, son frère et sa fille. « J'ai ainsi renoué un lien avec le
passé. Je me suis aussi investi dans le parti social-démocrate
Hentchakian, dont mon grand-père était membre, pour recréer un autre
lien. »Dire ou ne pas direComment transmettre la mémoire de ces
événements ? Saro Mardiryan s'est posé la question. « Gamin, mes
grands-parents m'avaient raconté le génocide. J'avais un copain turc.
Le lendemain, je me suis battu avec. » Les parents, qui, eux,
n'évoquaient pas ces événements, interdisent alors aux aïeux d'en
reparler. « Ce n'est qu'à l'ge adulte que je vais comprendre que
notre civilisation a failli disparaître. Je vais recommencer à parler
arménien. »Ce père de deux filles a choisi de « ne rien cacher ». « A
l'école, ma grande de 8 ans apprend qu'il y a eu une guerre. Je vais
plus loin, sans haine, je lui explique qu'il s'agit d'un massacre. Je
lui retransmets ce que j'ai appris. Ma plus grande victoire sur le
génocide, c'est parler arménien avec mes filles. Notre langue, c'est
notre identité. »
http://www.leparisien.fr/espace-premium/val-de-marne-94/ma-victoire-sur-le-genocide-parler-armenien-avec-mes-filles-04-03-2015-4573345.php
4 mars 2015
« Ma victoire sur le génocide, parler arménien avec mes filles »
Dans le cadre de la commémoration du centenaire du massacre qui a fait
1,5 million de victimes, Saro Mardiryan, cadre informatique de 36 ans
vivant à Alfortville, témoigne.
Agnès Vives
Dans la famille Mardiryan, le génocide arménien, c'est toute une
histoire. Saro Mardiryan, cadre informatique de 36 ans qui vit Ã
Alfortville depuis l'ge de ses 5 mois, fait partie de la troisième
génération de descendants des victimes de l'élimination programmée des
Arméniens par le gouvernement turc entre 1915 et 1916. Ce massacre a
fait 1,5 million de victimes. Son arrière-grand-mère en a réchappé. Un
long parcours d'errance s'en est suivi pour la famille avant d'arriver
à Alfortville.Ce sont ses parents qui, ne voyant pas d'avenir en
Turquie, font le choix de devenir réfugiés politiques et s'installent
dans ce principal port d'attache de la diaspora arménienne où les
premiers émigrés sont arrivés à la fin du XIX e siècle. La communauté
les aide à trouver travail et logement. Trois ans plus tard, les
grands-parents les rejoignent. Aujourd'hui, Alfortville, « la petite
Arménie », compterait entre 7 000 et 8 000 Arméniens.Le mont Moïse en
TurquieC'est là que son arrière-grand-mère, 7 ans en 1915, trouve
refuge comme 4 500 autres villageois. Promis à la déportation, ils
avaient fui avec vivres, animaux et quelques armes sur cette montagne,
difficilement accessible, face à la mer. « Les Turcs vont mener sept
assauts. A chaque fois, mon arrière-grand-mère se couvrait le visage
de boue pour cacher sa beauté. Car, lorsque les femmes et les enfants
étaient arrêtés, ils étaient envoyés dans des familles turques. » Ce
siège célèbre, les 40 jours de Musa Dagh, sera raconté dans un livre
de Franz Werfel. Mel Gibson voudra même en faire un film. Sauvés par
une frégate française, les villageois seront évacués en Egypte. «
Pendant quatre ans, ils vivront dans des tentes avant de retourner
chez eux. A ce moment-là , la région est sous administration française.
»Le nom retrouvé« En 1939, la région où vit mon grand-père est
rétrocédée à la Turquie. Le gouvernement fait changer tous les noms
arméniens pour effacer l'identité arménienne. A 16 ans, il doit
s'appeler Silahli. » Mais, en 2009, Saro Mardiryan, qui a obtenu comme
ses proches la naturalisation en 1986, fait des démarches pour
récupérer le nom de Mardiryan pour lui mais aussi pour son grand-père,
son père, son frère et sa fille. « J'ai ainsi renoué un lien avec le
passé. Je me suis aussi investi dans le parti social-démocrate
Hentchakian, dont mon grand-père était membre, pour recréer un autre
lien. »Dire ou ne pas direComment transmettre la mémoire de ces
événements ? Saro Mardiryan s'est posé la question. « Gamin, mes
grands-parents m'avaient raconté le génocide. J'avais un copain turc.
Le lendemain, je me suis battu avec. » Les parents, qui, eux,
n'évoquaient pas ces événements, interdisent alors aux aïeux d'en
reparler. « Ce n'est qu'à l'ge adulte que je vais comprendre que
notre civilisation a failli disparaître. Je vais recommencer à parler
arménien. »Ce père de deux filles a choisi de « ne rien cacher ». « A
l'école, ma grande de 8 ans apprend qu'il y a eu une guerre. Je vais
plus loin, sans haine, je lui explique qu'il s'agit d'un massacre. Je
lui retransmets ce que j'ai appris. Ma plus grande victoire sur le
génocide, c'est parler arménien avec mes filles. Notre langue, c'est
notre identité. »
http://www.leparisien.fr/espace-premium/val-de-marne-94/ma-victoire-sur-le-genocide-parler-armenien-avec-mes-filles-04-03-2015-4573345.php