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L'identite Des Grecs De Turquie, Aujourd'hui

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    L'IDENTITE DES GRECS DE TURQUIE, AUJOURD'HUI

    Publié le : 10-03-2015
    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=86446

    Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    invite a lire cet article publié sur le site Repair le 9 mars 2015.

    Repair

    lundi 9 mars 2015

    Par Céline Pierre Magnani, Traductrice et journaliste francaise
    installée a Istanbul depuis 2008

    En déclin constant, le nombre de Grecs de Turquie serait passé de
    près de 100 000 personnes au début de la République a seulement
    quelques milliers aujourd'hui. Céline Pierre Magnani évoque dans
    cet article le rapport très particulier qu'entretiennent les Roums
    avec la ville d'Istanbul, qu'ils considèrent comme leur véritable
    patrie. L'auteur aborde également les difficultés auxquelles
    fait face cette communauté grecque d'Istanbul (la romiosini) dont
    l'identité s'est considérablement modifiée avec l'arrivée des
    grecs-orthodoxe arabophones d'Antioche.

    L'évocation de Â" la Ville Â", en grec i Poli (η ΠÏ~LÎ"η),
    nous mène directement a Istanbul... Les hellénophones orthodoxes
    ont prospéré sur les rives du Bosphore depuis des milliers
    d'années. Dans l'historiographie grecque, l'Empire byzantin est
    présenté comme l'apogée de la culture hellène, et la continuité
    revendiquée par la communauté roum[1](communauté des Grecs
    d'Istanbul) durant toute la période ottomane a contribué a perpétuer
    le visage cosmopolite de cette gigantesque agglomération. La
    naissance de la République en 1923 et la volonté d'affirmation de
    l'Etat-nation turc ont conduit a définir un statut juridique pour
    les Roums, dès lors reconnus comme une Â" minorité Â"[2].

    De citoyenneté turque et de nationalité grecque, la romiosini
    (Ï~AÏ~IμιοÏ~CÏ~Mνη, Â" communauté grecque d'Istanbul Â") vit
    en deux dimensions, partagée entre son espace identitaire référent
    (la Grèce) et son espace politique concret (la Turquie). Pris dans les
    cadres classiques de la conception de l'Etat, l'esprit peine a imaginer
    que nation et territoire ne sont pas toujours superposables. C'est
    a travers cette double identité qu'il faut essayer de comprendre le
    rapport des Roums a la ville d'Istanbul.

    Officiellement, le consulat de Grèce gère les affaires
    administratives des ressortissants hellènes a Istanbul. Or, depuis les
    accords de Lausanne de 1923, les difficultés de gestion entraînées
    par le statut même de la communauté roum l'ont conduit a intervenir
    de manière régulière. Comme le patriarcat, le consulat s'est
    substitué bien des fois a l'institution représentative qui manque a
    la communauté. Faute d'interlocuteur officiel, le consulat endossait
    souvent ce rôle. Que le soutien soit politique ou économique, la
    communauté peut difficilement se passer de cette aide précieuse,
    bien que les prises de position consulaires ne fassent pas toujours
    l'unanimité.

    Fiers de la spécificité de leur identité, les Grecs d'Istanbul
    ne se sentent liés au consulat que par nécessité. De nationalité
    grecque, ils n'en restent pas moins des politis (Ï~@οÎ"ίÏ~DηÏ~B, Â"
    habitants de "la Ville" Â"), des habitants d'Istanbul avant tout. La
    richesse du vocabulaire employé traduit d'ailleurs la conscience
    de cette spécificité. Trois termes quotidiennement employés
    se traduisent par Â" Grec Â" en francais, et les catégories
    de pensée de la langue grecque permettent d'introduire une
    distinction entre culture et origine géographique. Le terme ellinas,
    (έÎ"Î"ηναÏ~B) désigne tous ceux qui se sentent dépositaires de
    cette culture grecque, vivant aussi bien sur le territoire national
    grec qu'ailleurs. Chypriotes grecs, Grecs d'Istanbul, Grecs de la
    diaspora... La traduction juste serait plutôt Â" Hellènes Â" que
    Â" Grecs Â" si l'imaginaire francais, nourri d'études classiques,
    n'y associait pas une connotation antique.

    Istanbul : la véritable Â" patrie Â"

    Dans le contexte de la communauté d'Istanbul, l'usage du terme
    elladitis (εÎ"Î"αδίÏ~DηÏ~B, Â" Helladique Â") est fréquent. Le
    mot désigne les Â" Grecs Â" (ou Â" Hellènes Â") qui habitent sur
    le territoire national grec afin de les distinguer des Grecs de la
    communauté. Le terme romios (Ï~AÏ~IμιÏ~LÏ~B) est utilisé pour
    désigner les Â" Grecs d'Istanbul Â", c'est-a-dire les Roums. Aussi
    bien employé en grec qu'en turc (rÃ"m), il désigne donc les Â"
    citoyens turcs, orthodoxes de langue grecque Â" (l'emploi du terme
    remonte a la période ottomane, les Roums, chrétiens orthodoxes de
    l'Empire assimilés aux Â" Romains Â"). Les Roums sont les garants de
    la continuité de la romiosini, branche de l'hellénisme épanouie dans
    le cadre de la ville d'Istanbul. L'existence de cette terminologie
    spécifique atteste d'une distinction nette dans les esprits. La
    connaissance parfois approximative du grec et l'accent typique des
    Roums génèrent parfois un complexe vis-a-vis des Â" Helladiques
    Â". Ils utilisent d'ailleurs des expressions et un vocabulaire qui
    trahissent l'influence de la langue turque.

    Le territoire concrétise l'identité, lui offre un cadre pour
    s'épanouir et évoluer. En somme, ils sont en dialogue. Si la
    société turque reflète l'identité des individus de nationalité
    turque, qu'en est-il pour un Roum ? L'identité grecque risque de
    rester abstraite, alors que le dynamisme du quotidien les amène
    a développer une identité turque vivante. A la question Â" Quel
    est ton pays ? Â", la réponse est toujours la même, i Poli (Â"
    la Ville Â"). Tout se passe comme si leur identité n'avait pas plus
    de projection possible sur le territoire grec que sur le territoire
    turc. Espace de synthèse entre nationalité grecque et citoyenneté
    turque, seule Istanbul est leur véritable Â" patrie Â".

    Le patriarcat, les églises, le patrimoine byzantin constituent autant
    de points de repère dans le paysage de Â" la Ville Â" qui confirmaient
    leurs racines et donc la légitimité de leur présence. C'est
    d'ailleurs plus sur l'héritage byzantin que sur l'héritage de
    l'Antiquité que semble se cristalliser la conscience identitaire.

    Des mécanismes de protection se mettent en place pour tenter de
    conserver l'intégrité de la romiosini ; la réticence au mariage
    mixte (grec-turc) en est un exemple. Nombreuse jusqu'a la naissance de
    la République turque en 1923, la communauté perpétuait d'elle-même
    des réflexes Â" endogames Â". Au fur et a mesure des départs, les
    mariages internes a la communauté se raréfiaient et chaque union
    mixte signifiait l'érosion de la romiosini. Ce conservatisme est
    en partie a l'origine de sa continuité historique ; il entraîne
    souvent le rejet des Â" nouveautés Â" apportées par la société
    environnante, de peur d'édulcorer la culture. La moyenne d'âge
    avancée de la communauté est symptomatique de ce manque de dynamisme.

    Le patriarcat incarne traditionnellement ce pôle conservateur. Son
    usage du grec comme langue liturgique sous l'Empire ottoman en a fait
    le garant de la continuité de la nation grecque. Tout au long de la
    République, le patriarcat a fait l'objet de nombreux soupcons dans
    l'opinion publique turque. Il est vrai que son statut reste flou :
    il n'est définitivement plus l'institution religieuse locale qu'avait
    prévu la République turque et s'internationalise tout en conservant
    une responsabilité vis-a-vis de la communauté grecque d'Istanbul. Le
    patriarcat est tour a tour vu comme traître a la République,
    institution politique locale ou allié de l'Occident. Interface entre
    la communauté grecque et le gouvernement turc, impliqué dans les
    relations gréco-turques et acteur de la scène religieuse mondiale,
    il cumule trois échelles d'intervention.

    La nomination en 1991 du patriarche Bartholomée Ier a cependant
    changé la donne. Réputé pour son ouverture d'esprit, il a permis par
    son action d'apporter un nouveau souffle a l'institution. L'intérêt
    manifesté pour des problématiques contemporaines (écologie, dialogue
    des civilisations...) et les activités de l'institution sous sa
    houlette ont rehaussé l'image du patriarcat. Avec le consulat, le
    patriarcat reste référent dans la gestion de la communauté ; il y
    participe indirectement par simples conseils ou donations. Son rôle
    religieux auprès de la communauté justifie sa présence a Istanbul ;
    il est donc directement menacé par la diminution des effectifs. Si
    ces citoyens turcs orthodoxes venaient a disparaître, le patriarcat
    d'Istanbul n'aurait plus véritablement de raison d'être. Aller
    régulièrement a l'église est une manière de consolider les
    ancrages. D'ailleurs, le rendez-vous dominical relève plus d'un
    mode de sociabilité que d'une manifestation réelle de la foi :
    il permet de se retrouver Â" entre-soi Â", de prendre des nouvelles,
    de réactiver les liens communautaires.

    De nouveaux questionnements identitaires

    Comme pour les églises, la réduction des effectifs freine le bon
    fonctionnement des établissements scolaires. Les écoles sont le
    principal vecteur de la transmission de la romiosini, mais elles
    ferment en nombre, ce qui cristallise les angoisses et pèse sur le
    moral de la communauté. La Grande Ecole de la nation (1454), Zappeion
    (1885) et Zografeion (1893) font partie des derniers établissements
    ouverts, emblèmes d'un âge d'or révolu. Le coÃ"t de leur
    fonctionnement est un gouffre pour le budget communautaire. Pourquoi
    ne pas concentrer leurs petits effectifs sur un établissement central
    ? La question ne semble même pas se poser. Bien plus que l'efficacité
    et l'économie, c'est l'image que la communauté a d'elle-même qui
    se joue dans le maintien de ces établissements.

    La question des écoles soulève un autre problème : l'arrivée des
    arabophones d'Antioche, qui entraîne de nouveaux questionnements
    identitaires. La catégorie Rum, utilisée dans l'administration
    turque, regroupe les citoyens turcs de religion orthodoxe. Or, depuis
    les années 1990, les vagues de migrations successives ont amené
    de nombreux orthodoxes arabophones d'Antioche a venir s'installer
    a Istanbul. Ils sont, au moins administrativement, assimilés a la
    communauté roum et bénéficient, au regard de la loi, des mêmes
    prérogatives que les individus de nationalité grecque. Dans le cas
    des écoles, leur arrivée pose un problème tout particulier, celui
    de la langue. En tant que Roums, ils fréquentent les établissements
    scolaires de la communauté, mais sont mécaniquement pénalisés faute
    de connaître le grec. Si les enfants scolarisés dès le plus jeune
    âge peuvent rapidement s'en imprégner, les plus âgés rencontrent de
    sérieuses difficultés pour jongler entre la langue arabe d'origine,
    le turc imposé et le grec, désormais nouvelle langue d'étude.

    Leur nombre a augmenté de manière constante ces dernières années et
    ces élèves représentent désormais jusqu'a 50 % des effectifs dans
    certaines classes. La question du niveau des étudiants se pose, mais
    elle est secondaire. La véritable préoccupation de la communauté,
    c'est celle de l'assimilation a la romiosini. Les réactions
    sont variées ; elles vont du rejet pur et simple a la volonté
    d'intégration. La dynamique démographique des arabophones est inverse
    de celle des Roums. Gonflant les effectifs, ces arrivées permettent de
    maintenir ouverts des établissements scolaires anciennement menacés.

    Ce dynamisme permet aussi d'anticiper un inversement du rapport de
    force a long terme. Faut-il continuer a faire vivre la romiosini si le
    contenu de sa définition doit changer ? Les Roums de l'administration
    turque seront demain majoritairement arabophones, tandis que la
    romiosini hellène est amenée a s'éteindre.

    La question des départs fait partie des sujets tabous dans ce petit
    monde où tout le monde se connaît, s'observe et se jauge a l'aune
    de sa fidélité a la romiosini d'origine. Au regard des chiffres, la
    situation de la communauté laisse peu d'espoir de se renouveler. Mais
    quelques personnalités très actives se battent pour le maintien
    de cette romiosini et les représentations semblent se transmettre
    efficacement. En Grèce comme en Turquie, l'origine de l'autre occupe
    une place essentielle dans les perceptions. On expose ses origines
    remontant jusqu'a la deuxième, troisième génération ; on parle
    avec fierté du grand-père qui venait de Â" la Ville Â". Plus que
    le lieu de provenance, c'est l'atmosphère culturelle de l'autre
    qui intéresse.

    Une romiosini d'ici et d'ailleurs prend forme : de nombreux Grecs
    d'Istanbul partis s'installer a l'étranger perpétuent le lien a
    la communauté d'origine. Et pour eux, le maintien de la romiosini
    constitue un enjeu vital, comme si l'existence des descendants de la
    communauté ne pouvait avoir de sens sans un référentiel vivant de
    la culture d'origine.

    Notes

    [1] En turc, le terme Â" Rum Â" (Â" οιÏ~AÏ~Iμιοί Â" en grec)
    désigne les individus appartenant a la communauté orthodoxe de langue
    grecque établie sur le territoire de la Turquie actuelle. Dans le
    langage courant, il est également utilisé pour désigner les Grecs
    chypriotes.

    La catégorie administrative Â" rum orthodoxe Â" qui lui est associée
    inclue également les orthodoxes arabophones d'Antioche (Hatay). Depuis
    la conférence de Lausanne (1922-1923), la communauté roum bénéficie
    du statut officiel de Â" minorité Â", a l'instar des communautés
    juives et arméniennes.

    [2] La communauté des Grecs de Turquie s'est régulièrement réduite
    depuis 1923. Evaluée a près de 100 000 personnes au début de
    la République[2], elle ne compterait plus que quelques milliers
    d'individus a Istanbul (1500, selon les chiffres avancés par le
    Patriarcat d'Istanbul) dont une majorité aurait plus de 60 ans. Tout
    au long du XXe siècle, les départs se sont faits a destination
    de la Grèce, ainsi que vers les pays traditionnels de la diaspora
    grecque (pays d'Europe occidentale, Etats-Unis, Australie, Canada
    ...). De facto en décalage avec les politiques d'homogénéisation
    culturelle, la Â" romiosini Â"(Â" ηÏ~AÏ~IμιοÏ~CÏ~Mνη Â")
    a évolué sous pression, prise en tenaille entre les logiques de
    deux Etats nations. Plusieurs étapes historiques semblent avoir
    accéléré le processus d'émigration : 1942 Â" varlık vergisi Â"
    ou impôt sur la fortune ;les évènements du 6 et 7 Septembre 1955,
    dits Â" pogroms Â" dirigés contre la minorité grecque; 1963-1964
    puis 1974 lors de la crise chypriote.

    Source/Lien : Repair

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