PAUL HAIDOSTIAN : CERTAINS ARMENIENS COMMENCENT A PERDRE LEUR INTERET POUR LA CAUSE
L'Orient-Le Jour, Liban
11 mars 2015
Genocide de 1915
Tom de Waal et Paul Haidostian, le president de l'Universite Haigazian,
reaffirment la responsabilite turque dans les massacres, tout en
notant les changements de la perception de la communaute armenienne
au cours des dernières decennies.
" L'intention de detruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel " : c'est la definition
d'un genocide par le statut de Rome, qui explicite les règles
de fonctionnement elementaire de la Cour penale internationale
(CPI). Le terme n'a toutefois pas ete utilise, depuis le debut du
XXIe siècle en tout cas, pour definir la deportation et le massacre
de plus d'un million d'Armeniens entre 1915 et 1916 par le parti des
Jeunes Turcs, qui dirigeaient alors l'Empire ottoman. Ce n'est que
dans les annees 1940 qu'il fait son apparition, dans les travaux de
l'avocat americain d'origine polonaise Raphael Lemkin, mais il ne
deviendra courant que dans les annees 1960, raconte Thomas de Waal,
chercheur associe au Carnegie Endowment pour le departement Russie et
Eurasie, en presentant son dernier ouvrage sur le genocide armenien,
Great Catastophe, lors d'une conference au Carnegie Middle East Center
a Beyrouth. " J'ai voulu consacrer mon livre au traumatisme engendre
par le genocide et sur la facon dont il a ete vecu par les generations
qui ont suivi, ainsi que sur la definition et l'utilisation du terme
", explique-t-il, alors que le centième anniversaire du genocide doit
etre celebre le mois prochain.
Car si les evenements de 1915-1916 ont ete relayes par les medias de
l'epoque, les grandes puissances ne les ont utilises que sporadiquement
au fil des decennies, suivant leurs interets du moment.
Massacres par les Turcs, pourchasses par les Sovietiques par la suite,
les Armeniens durent attendre 1991 pour acceder a leur independance,
c'est-a-dire a la chute de l'Union sovietique. Entre-temps, des
groupes qualifies de " terroristes " ont (brièvement) emerge dans
les annees 1970-80, comme Armenian Secret Army for the Liberation
of Armenia (Asala) et le Justice Commandos of the Armenian Genocide
(JCAG), fomentant des attentats principalement contre des diplomates
turcs. Parallèlement, un debut de dialogue a ete secrètement
amorce entre des responsables armeniens et turcs. Cette volonte de
rapprochement a notamment ete mise en avant par le journaliste turc
d'origine armenienne Hrant Dink, assassine en 2007 et qui, comme le
rappelle Tom de Waal, avait coutume d'affirmer : " La Turquie est a
la fois notre poison et notre antidote. "
" 100 ans trop tôt "...
De fait, a l'heure actuelle, " il est absurde de contester ce qui s'est
passe ", relève de son côte le pasteur Paul Haidostian, president de
l'Universite Haigazian, avant d'ajouter : " Pour les Turcs, c'est
100 ans trop tôt, mais pour nous, c'est 100 ans trop tard. " Mais
alors que la diaspora armenienne tente tant bien que mal, depuis
quelques decennies, de se reconstruire une identite, elle reste "
limitee " par le deni turc du genocide, deplore M. Haidostian. " Il
est très important pour les Armeniens en particulier, comme pour le
Moyen-Orient en general, de voir des changements s'operer en Turquie.
Il est certain que des crimes de toutes sortes ont ete commis par
toutes les nations du monde ; mais dans ce cas-la, des gens ont
non seulement perdu leurs proches, mais on leur retire le droit a
la verite ", estime le pasteur. En attendant, l'utilisation meme
du terme de " genocide " demeure problematique, sans compter que "
certains Armeniens commencent a perdre leur interet pour cette cause
", affirme M. Haidostian.
À partir de la, comment operer ? Le genocide armenien est-il un fardeau
que seuls les descendants des victimes et des rescapes doivent porter
? " Les attitudes armeniennes, souligne le directeur de Haigazian,
ont change, evolue au cours des dernières decennies. Pour nombre
d'Armeniens, tous les Turcs ne sont pas mauvais, et tous les Armeniens
ne sont pas angeliques non plus, et c'est cette nuance qui permettra
d'aborder de front le problème " relationnel entre les deux camps.
Aujourd'hui, un dialogue a ete etabli, des echanges ont lieu entre les
deux pays. Mais comment corriger l'histoire? N'y a-t-il pas d'ouverture
possible ? se demande Paul Haidostian. " Je pense que les Armeniens
devraient s'ouvrir a des changements en Turquie, non pas concernant le
terme genocide, mais sur la manière dont les evenements sont percus
dans ce pays, et c'est bien plus fructueux " de changer les choses
au niveau societal qu'au niveau politique, juge-t-il.
http://www.lorientlejour.com/article/915367/paul-haidostian-certains-armeniens-commencent-a-perdre-leur-interet-pour-la-cause.html
L'Orient-Le Jour, Liban
11 mars 2015
Genocide de 1915
Tom de Waal et Paul Haidostian, le president de l'Universite Haigazian,
reaffirment la responsabilite turque dans les massacres, tout en
notant les changements de la perception de la communaute armenienne
au cours des dernières decennies.
" L'intention de detruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel " : c'est la definition
d'un genocide par le statut de Rome, qui explicite les règles
de fonctionnement elementaire de la Cour penale internationale
(CPI). Le terme n'a toutefois pas ete utilise, depuis le debut du
XXIe siècle en tout cas, pour definir la deportation et le massacre
de plus d'un million d'Armeniens entre 1915 et 1916 par le parti des
Jeunes Turcs, qui dirigeaient alors l'Empire ottoman. Ce n'est que
dans les annees 1940 qu'il fait son apparition, dans les travaux de
l'avocat americain d'origine polonaise Raphael Lemkin, mais il ne
deviendra courant que dans les annees 1960, raconte Thomas de Waal,
chercheur associe au Carnegie Endowment pour le departement Russie et
Eurasie, en presentant son dernier ouvrage sur le genocide armenien,
Great Catastophe, lors d'une conference au Carnegie Middle East Center
a Beyrouth. " J'ai voulu consacrer mon livre au traumatisme engendre
par le genocide et sur la facon dont il a ete vecu par les generations
qui ont suivi, ainsi que sur la definition et l'utilisation du terme
", explique-t-il, alors que le centième anniversaire du genocide doit
etre celebre le mois prochain.
Car si les evenements de 1915-1916 ont ete relayes par les medias de
l'epoque, les grandes puissances ne les ont utilises que sporadiquement
au fil des decennies, suivant leurs interets du moment.
Massacres par les Turcs, pourchasses par les Sovietiques par la suite,
les Armeniens durent attendre 1991 pour acceder a leur independance,
c'est-a-dire a la chute de l'Union sovietique. Entre-temps, des
groupes qualifies de " terroristes " ont (brièvement) emerge dans
les annees 1970-80, comme Armenian Secret Army for the Liberation
of Armenia (Asala) et le Justice Commandos of the Armenian Genocide
(JCAG), fomentant des attentats principalement contre des diplomates
turcs. Parallèlement, un debut de dialogue a ete secrètement
amorce entre des responsables armeniens et turcs. Cette volonte de
rapprochement a notamment ete mise en avant par le journaliste turc
d'origine armenienne Hrant Dink, assassine en 2007 et qui, comme le
rappelle Tom de Waal, avait coutume d'affirmer : " La Turquie est a
la fois notre poison et notre antidote. "
" 100 ans trop tôt "...
De fait, a l'heure actuelle, " il est absurde de contester ce qui s'est
passe ", relève de son côte le pasteur Paul Haidostian, president de
l'Universite Haigazian, avant d'ajouter : " Pour les Turcs, c'est
100 ans trop tôt, mais pour nous, c'est 100 ans trop tard. " Mais
alors que la diaspora armenienne tente tant bien que mal, depuis
quelques decennies, de se reconstruire une identite, elle reste "
limitee " par le deni turc du genocide, deplore M. Haidostian. " Il
est très important pour les Armeniens en particulier, comme pour le
Moyen-Orient en general, de voir des changements s'operer en Turquie.
Il est certain que des crimes de toutes sortes ont ete commis par
toutes les nations du monde ; mais dans ce cas-la, des gens ont
non seulement perdu leurs proches, mais on leur retire le droit a
la verite ", estime le pasteur. En attendant, l'utilisation meme
du terme de " genocide " demeure problematique, sans compter que "
certains Armeniens commencent a perdre leur interet pour cette cause
", affirme M. Haidostian.
À partir de la, comment operer ? Le genocide armenien est-il un fardeau
que seuls les descendants des victimes et des rescapes doivent porter
? " Les attitudes armeniennes, souligne le directeur de Haigazian,
ont change, evolue au cours des dernières decennies. Pour nombre
d'Armeniens, tous les Turcs ne sont pas mauvais, et tous les Armeniens
ne sont pas angeliques non plus, et c'est cette nuance qui permettra
d'aborder de front le problème " relationnel entre les deux camps.
Aujourd'hui, un dialogue a ete etabli, des echanges ont lieu entre les
deux pays. Mais comment corriger l'histoire? N'y a-t-il pas d'ouverture
possible ? se demande Paul Haidostian. " Je pense que les Armeniens
devraient s'ouvrir a des changements en Turquie, non pas concernant le
terme genocide, mais sur la manière dont les evenements sont percus
dans ce pays, et c'est bien plus fructueux " de changer les choses
au niveau societal qu'au niveau politique, juge-t-il.
http://www.lorientlejour.com/article/915367/paul-haidostian-certains-armeniens-commencent-a-perdre-leur-interet-pour-la-cause.html