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  • Lire le génocide arménien

    L'Orient le Jour, Liban
    29 mars 2015

    Lire le génocide arménien


    L'Orient Littéraire
    Jean-Claude Perrier | OLJ

    Cette année, les Arméniens commémorent le centenaire du génocide de
    1915. Parmi les nombreux ouvrages `??près d'une quarantaine recensés?`
    parus depuis le début de l'année, L'Orient Littéraire en a sélectionné
    quatre. Divers et complémentaires, sérieux et accessibles au grand
    public, ils remettent en perspective cette tragédie dont la Turquie ne
    parvient toujours pas à admettre la responsabilité.



    Dans les ruines d'Adana

    Le génocide de 1915 fut certes celui qui a décimé le plus grand nombre
    d'Arméniens, mais ce n'était pas le premier massacre commis contre ce
    peuple par les Turcs. Une tuerie massive avait déjà eu lieu en
    1894-1896. Et puis il y eut, en avril 1909, comme une sinistre
    répétition générale, ce qu'on appelle «?les massacres d'Adana?», ville
    de Cilicie où les quartiers arméniens chrétiens furent pris d'assaut
    par des foules de Turcs musulmans fanatisés, au nom du mouvement
    nationaliste Jeunes Turcs. En quelques jours, plus de 30?000 Arméniens
    périrent. Sur ce drame, nous disposons d'un document exceptionnel,
    Dans les ruines, de l'écrivain arménien Zabel Essayan, publié en 1911
    et réédité cette année chez Phébus/Libretto. Née en 1878 Ã
    Constantinople, l'auteur a d'abord partagé sa vie entre Paris et sa
    ville natale. Femme de lettres engagée, elle se rend, dès juin 1909, Ã
    Adana, comme membre d'une commission de la Croix-Rouge arménienne
    mandatée par le Patriarcat, afin de se consacrer aux orphelins. Elle
    témoigne, encore à chaud, de ce qu'elle a vu, vécu, interroge les
    rescapés, accomplit sa mission sans faillir. En 1915, Zabel Essayan
    fuit le génocide, avant de revenir en Arménie en 1933. Mais, en 1937,
    elle subit les purges de Staline et, déportée, disparaît en 1943. Dans
    les ruines est considéré comme un chef-d'Å`uvre de la littérature
    universelle.



    Le point de vue de l'historien

    Dans un registre plus scientifique, les Presses Universitaires de
    France publient Détruire les Arméniens?: Histoire d'un génocide de
    Mikaël Nichanian. Historien, conservateur à la Bibliothèque Nationale
    de France, chercheur-associé au Collège de France, Nichanian co-anime,
    avec Vincent Duclert, un séminaire à l'École des Hautes Études en
    Sciences Sociales sur le génocide arménien, dont il est l'un des
    spécialistes reconnus. Parce que le travail premier d'un historien est
    de chercher à comprendre, d'expliquer, de raconter les faits,
    Nichanian, dans ce petit livre clair et précis, retrace la genèse du «
    phénomène génocidaire?» dans la fin de l'Empire ottoman, avec son «
    vaste programme de "turquification" Ã marches forcées de l'Anatolie?».
    Un chantier d'État, repris à leur compte par les Jeunes Turcs du CUP,
    le Comité Union et Progrès, directement responsable du génocide, ce
    qui peut paraître paradoxal pour un parti qui se voulait moderniste,
    progressiste, imprégné d'influences intellectuelles à la fois
    françaises et allemandes `?et de la haine que se vouaient depuis la
    guerre de 1870 la France et l'Allemagne dont la Turquie fut l'alliée
    durant la Première Guerre mondiale. L'historien développe la thèse que
    le «?programme de destruction génocidaire?» des Arméniens par les
    Turcs n'avait «?aucun objectif réel?», mais constituait la «?réponse
    irrationnelle?» chez les élites ottomanes à l'idée que l'Europe (et
    surtout l'Angleterre) était résolue à les détruire. Paranoïa
    monstrueuse, qui peut paraître une anticipation de ce que sera plus
    tard la Shoah. Mikaël Nichanian propose également une estimation
    minutieuse du nombre des victimes, fondée «?sur une lecture fine des
    sources disponibles, dont le taux d'erreur est d'environ 10 %?». Bilan
    : sur environ 1,9 million d'Arméniens recensés en 1914 par le
    patriarcat arménien dans tout l'Empire ottoman, «?le nombre de morts
    se situe entre 1,1 et 1,3 million, tandis que le nombre de rescapés
    oscille entre 600 000 et 800 000, dont au moins un tiers est constitué
    de femmes et d'enfants enlevés et "islamisés" en Anatolie orientale?»
    ! Un véritable crime contre l'humanité que l'Histoire n'a pas le droit
    d'oublier...



    Le rêve brisé des Arméniens

    Pour commémorer le génocide, Gaïdz Minassian, spécialiste de
    l'histoire de l'Arménie et du Caucase, enseignant à Sciences-Po et
    journaliste au Monde, a choisi, lui, le récit documentaire en
    reconstituant, dans Le rêve brisé des Arméniens, l'aventure d'un
    groupe de jeunes révolutionnaires arméniens, fascinés par le modèle
    français des Lumières et déterminés à lutter pour leurs propres
    droits, la reconnaissance de leur identité au sein de l'Empire
    ottoman, mais également pour l'émancipation et l'égalité de tous les
    peuples. Projet ambitieux parti de la mobilisation politique
    traditionnelle et pacifique pour aboutir à la radicalisation armée,
    voire au terrorisme anarchiste. Leur leader emblématique s'appelait
    Christapor Mikaelian, l'un des fondateurs de la FRA, la Fédération
    Révolutionnaire Arménienne. Nombre d'entre eux connaîtront un destin
    tragique et seront pris dans les premières rafles d'Arméniens Ã
    Constantinople, en avril 1915, début de trois années d'exactions... Ce
    même auteur vient également de publier aux éditions du CNRS un essai
    intitulé Arméniens?: Le temps de la délivrance, qui analyse le débat
    autour du génocide des Arméniens entre partisans des lois mémorielles
    et défenseurs d'une histoire libre. D'après lui, le génocide de 1915
    ne doit pas constituer le point de départ de l'identité nationale?:
    l'histoire a commencé avant et s'est poursuivie après. S'affranchir de
    la mémoire, s'émanciper des processus de domination et devenir le
    sujet de son propre destin?: tels sont, selon lui, les enjeux actuels
    du peuple arménien.



    Un siècle de recherches

    Du 25 au 28 mars 2015, se tiendra à Paris un colloque international
    intitulé «?Le génocide des Arméniens de l'Empire ottoman dans la
    Grande guerre. 1915-2015?: cent ans de recherches?», introduit par le
    président François Hollande, qui rassemblera nombre de communications
    scientifiques déjà présentées lors de réunions précédentes. Le recueil
    Le génocide des Arméniens?: Un siècle de recherches (1915-2015) du
    Conseil scientifique international pour l'étude du génocide des
    Arméniens publie, en avant-première, les contributions, en français et
    en anglais, des plus grands spécialistes du sujet. On y trouvera, en
    particulier, une étude sur la façon dont s'effectue aujourd'hui la
    transmission de la mémoire du génocide chez les Arméniens qui vivent
    en Turquie. Minorité dans un pays dont le pouvoir politique actuel, de
    plus en plus réactionnaire et tenté par une «?restauration?» de
    l'Empire ottoman, nie obstinément le génocide?!



    Les Arméniens 1917-1939, la quête d'un refuge sous la direction de
    Raymond Kévorkian, Lévon Nordiguian et Vahé Tachjian, PUSJ (Beyrouth),
    2007, 320 p.
    Un magnifique album souvenir qui raconte, photos à l'appui,
    l'installation des réfugiés arméniens au Liban et en Syrie dans les
    années qui ont suivi le génocide.

    Dans les ruines?: Les massacres d'Adana, avril 1909 de Zabel Essayan,
    Phébus/Libretto, 2015, 352 p.

    Détruire les Arméniens?: Histoire d'un génocide de Mikaël Nichanian,
    PUF, 2015, 273 p.

    1915, Le rêve brisé des Arméniens de Gaïdz Minassian, Flammarion, 2015, 360 p.

    Le génocide des Arméniens?: Un siècle de recherches (1915-2015)du
    Conseil scientifique international pour l'étude du génocide des
    Arméniens, Armand Colin, 2015, 368 p.

    Ã consulter également?:


    Mémorial du génocide des Arméniens de Raymond Kévorkian et Yves
    Ternon, Seuil, 2015, 498 p.

    Comprendre le génocide des Arméniens, de 1915 Ã nos jours de Hamit
    Bozarslan, Raymond Kévorkian et Vincent Duclert, Tallandier, 2015, 384
    p.

    La France face au génocide des Arméniens de Vincent Duclert, Fayard,
    2015, 424 p.


    http://www.lorientlejour.com/article/918112/lire-le-genocide-armenien.html

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