La Règle du Jeu
28 mars 2015
De l'actualité du génocide des Arméniens
Ara Toranian
2015 s'annonçait comme une année décisive pour la connaissance et la
reconnaissance publique du génocide arménien. Et si l'on procède au
bout de ce trimestre à un premier bilan d'étape, elle est en train de
tenir ses promesses. Rien qu'en France, pas moins de 60 livres sur la
question ont été publiés depuis un an. Le président de la République
s'est personnellement impliqué dans ce combat. Plusieurs oeuvres de
fictions cinématographiques et documentaires ont déjà été diffusées ou
sont en cours de préparation. Les conférences se multiplient sur tout
le territoire et un grand colloque international, de dimension
exceptionnel par le nombre d'intervenants et leur qualité est organisé
depuis le 25 mars dans les plus prestigieuses universités de la
capitale : Sorbonne, EHESS, Bibliothèque nationale de France, Mémorial
de la Shoah.
Sur le plan européen le Parlement de Strasbourg a adopté le 17 mars
une résolution enjoignant tous ses États membres, et notamment la
Turquie à reconnaître le génocide. Aux États-Unis, on voit également
naître une mobilisation sans précédent, autour d'initiatives qui
réunissent les plus importantes autorités morales du pays, comme Élie
Wiesel, ou ses figures les plus populaires, Ã l'instar de l'acteur
Georges Clooney, très engagé dans les causes humanitaires. Le 18 mars,
39 élus du Congrès américain ont appelé à une reconnaissance pleine et
entière du crime par le Président Obama. En Russie, Vladimir Poutine a
d'ores et déjà fait savoir qu'il se rendrait à la commémoration
internationale du génocide qui aura lieu le 24 avril à Erevan. Une
cérémonie qui s'annonce comme le point d'orgue des manifestations du
souvenir, mais non comme un point final de la mobilisation. Tout
indique en effet que les événements vont prendre encore plus d'ampleur
durant l'année, à commencer en France par la grande exposition au
cours de laquelle, pendant deux mois et demi, la Mairie de Paris
accueillera le mémorial du génocide de Dzidzernagapert. Sans compter
d'autres initiatives qu'il serait prématuré d'évoquer.
Tous ces éléments tendent à montrer non seulement la mobilisation du
monde arménien à l'occasion de ce triste anniversaire, mais également
une certaine prise de conscience internationale quant à la nécessité
de revenir sur le génocide de 1915, à l'heure où une actualité
régionale récente a remis au centre de l'attention des crimes dont le
modèle plonge précisément dans cette expérience. Et ce, tant au niveau
de la sauvagerie de leur mode opératoire, que de leurs soubassements
idéologiques. Djihadisme aujourd'hui, panislamisme puis panturquisme
mtiné de fanatisme religieux hier, il s'agit dans tous les cas de
totalitarismes, qui trouvent leur ancrage dans un même socle
dogmatique et qui conspirent avec la même obsession à l'abolition de
toute forme de différence spirituelle ou culturelle dans leur sphère
d'influence - a fortiori à l'égard d'entités aussi hérétiques à leurs
yeux que peut l'être l'Arménie.
Il ne se passe plus un jour sans que l'on ait à déplorer les
conséquences dramatiques de ces doctrines sur les chrétiens d'Orient,
les Yézidis, les Kurdes, les Juifs les forces démocratiques. On en
retrouve également la trace dans les stratégies d'étouffement visant
cette petite aire d'altérité qui résiste, vaille que vaille, entre
Erevan et Stépanakert. Ces boucheries qui puisent aujourd'hui leur
source dans un djihadisme échevelé, lui-même objectivement encouragé
par les velléités ottomanistes des autorités turques actuelles,
donnent une résonance particulière à la commémoration du génocide.
Elles montrent qu'en cent ans, rien n'a hélas beaucoup changé dans
cette zone : les mécanismes qui ont conduit à l'éradication des
Arméniens, des chrétiens, des Yézidis ou des Juifs sont toujours Ã
l'oeuvre. Et, faute d'avoir instruit en temps et en heure le procès de
ces idéologies criminelles, comme on a réglé le sort du nazisme après
la Deuxième Guerre mondiale, ou comme les ex-peuples soviétiques ont
fait celui du Stalinisme, elles continuent à produire leurs effets
dévastateurs. Pas seulement au Moyen-Orient. En témoigne la vague de
terrorisme sans précédent à laquelle doivent faire face les
démocraties.
Ce qui est en train de se jouer, avec ce centième anniversaire du
génocide de 1915, n'a pas seulement trait à la justice - ô combien
tardive ! - pour le peuple arménien, au besoin impérieux de rattraper
le temps perdu ou au combat pour la dignité humaine. Les enjeux sont
aussi liés à la défense de ces poches d'exception culturelle, dont
celle du Haut-Karabakh, qui n'ont pas encore été englouties par le
fléau du totalitarisme religieux et de l'expansionnisme, en
particulier dans ses versions actuelles, qu'elles soient ottomanistes
ou djihadistes. Il s'agit, en filigrane, de réactiver une résistance
démocratique susceptible de faire barrage à une barbarie multiforme,
qu'on n'a pas voulu éradiquer il y a cent ans et qui ressurgit
aujourd'hui, sous d'autres masques.
http://laregledujeu.org/2015/03/28/20279/de-lactualite-du-genocide-des-armeniens/
From: A. Papazian
28 mars 2015
De l'actualité du génocide des Arméniens
Ara Toranian
2015 s'annonçait comme une année décisive pour la connaissance et la
reconnaissance publique du génocide arménien. Et si l'on procède au
bout de ce trimestre à un premier bilan d'étape, elle est en train de
tenir ses promesses. Rien qu'en France, pas moins de 60 livres sur la
question ont été publiés depuis un an. Le président de la République
s'est personnellement impliqué dans ce combat. Plusieurs oeuvres de
fictions cinématographiques et documentaires ont déjà été diffusées ou
sont en cours de préparation. Les conférences se multiplient sur tout
le territoire et un grand colloque international, de dimension
exceptionnel par le nombre d'intervenants et leur qualité est organisé
depuis le 25 mars dans les plus prestigieuses universités de la
capitale : Sorbonne, EHESS, Bibliothèque nationale de France, Mémorial
de la Shoah.
Sur le plan européen le Parlement de Strasbourg a adopté le 17 mars
une résolution enjoignant tous ses États membres, et notamment la
Turquie à reconnaître le génocide. Aux États-Unis, on voit également
naître une mobilisation sans précédent, autour d'initiatives qui
réunissent les plus importantes autorités morales du pays, comme Élie
Wiesel, ou ses figures les plus populaires, Ã l'instar de l'acteur
Georges Clooney, très engagé dans les causes humanitaires. Le 18 mars,
39 élus du Congrès américain ont appelé à une reconnaissance pleine et
entière du crime par le Président Obama. En Russie, Vladimir Poutine a
d'ores et déjà fait savoir qu'il se rendrait à la commémoration
internationale du génocide qui aura lieu le 24 avril à Erevan. Une
cérémonie qui s'annonce comme le point d'orgue des manifestations du
souvenir, mais non comme un point final de la mobilisation. Tout
indique en effet que les événements vont prendre encore plus d'ampleur
durant l'année, à commencer en France par la grande exposition au
cours de laquelle, pendant deux mois et demi, la Mairie de Paris
accueillera le mémorial du génocide de Dzidzernagapert. Sans compter
d'autres initiatives qu'il serait prématuré d'évoquer.
Tous ces éléments tendent à montrer non seulement la mobilisation du
monde arménien à l'occasion de ce triste anniversaire, mais également
une certaine prise de conscience internationale quant à la nécessité
de revenir sur le génocide de 1915, à l'heure où une actualité
régionale récente a remis au centre de l'attention des crimes dont le
modèle plonge précisément dans cette expérience. Et ce, tant au niveau
de la sauvagerie de leur mode opératoire, que de leurs soubassements
idéologiques. Djihadisme aujourd'hui, panislamisme puis panturquisme
mtiné de fanatisme religieux hier, il s'agit dans tous les cas de
totalitarismes, qui trouvent leur ancrage dans un même socle
dogmatique et qui conspirent avec la même obsession à l'abolition de
toute forme de différence spirituelle ou culturelle dans leur sphère
d'influence - a fortiori à l'égard d'entités aussi hérétiques à leurs
yeux que peut l'être l'Arménie.
Il ne se passe plus un jour sans que l'on ait à déplorer les
conséquences dramatiques de ces doctrines sur les chrétiens d'Orient,
les Yézidis, les Kurdes, les Juifs les forces démocratiques. On en
retrouve également la trace dans les stratégies d'étouffement visant
cette petite aire d'altérité qui résiste, vaille que vaille, entre
Erevan et Stépanakert. Ces boucheries qui puisent aujourd'hui leur
source dans un djihadisme échevelé, lui-même objectivement encouragé
par les velléités ottomanistes des autorités turques actuelles,
donnent une résonance particulière à la commémoration du génocide.
Elles montrent qu'en cent ans, rien n'a hélas beaucoup changé dans
cette zone : les mécanismes qui ont conduit à l'éradication des
Arméniens, des chrétiens, des Yézidis ou des Juifs sont toujours Ã
l'oeuvre. Et, faute d'avoir instruit en temps et en heure le procès de
ces idéologies criminelles, comme on a réglé le sort du nazisme après
la Deuxième Guerre mondiale, ou comme les ex-peuples soviétiques ont
fait celui du Stalinisme, elles continuent à produire leurs effets
dévastateurs. Pas seulement au Moyen-Orient. En témoigne la vague de
terrorisme sans précédent à laquelle doivent faire face les
démocraties.
Ce qui est en train de se jouer, avec ce centième anniversaire du
génocide de 1915, n'a pas seulement trait à la justice - ô combien
tardive ! - pour le peuple arménien, au besoin impérieux de rattraper
le temps perdu ou au combat pour la dignité humaine. Les enjeux sont
aussi liés à la défense de ces poches d'exception culturelle, dont
celle du Haut-Karabakh, qui n'ont pas encore été englouties par le
fléau du totalitarisme religieux et de l'expansionnisme, en
particulier dans ses versions actuelles, qu'elles soient ottomanistes
ou djihadistes. Il s'agit, en filigrane, de réactiver une résistance
démocratique susceptible de faire barrage à une barbarie multiforme,
qu'on n'a pas voulu éradiquer il y a cent ans et qui ressurgit
aujourd'hui, sous d'autres masques.
http://laregledujeu.org/2015/03/28/20279/de-lactualite-du-genocide-des-armeniens/
From: A. Papazian