Le Figaro, France
02 juillet 2004
Turquie : il n'y a rien d'irréversible;
EUROPE Au moment où les Pays-Bas prennent la présidence de l'Union
pour six mois
par Nicolas DUPONT-AIGNAN
En déclarant à Ankara lors du sommet de l'Otan que « le mouvement
conduisant à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne est
irréversible et au total souhaitable », Jacques Chirac met le peuple
français devant un fait accompli inacceptable et dangereux.
En engageant la France, sans même envisager de consulter les
Français, le président de la République tourne le dos aux principes
fondateurs de la Ve République qui voulaient que les choix décisifs
pour l'avenir du pays soient ratifiés par référendum. De surcroît,
l'entrée de la Turquie dans l'UE n'a jamais fait l'objet d'un débat
au Parlement, ni figuré dans un programme présidentiel. Prendre
prétexte de la continuité de la politique française depuis le
rapprochement initié par le général de Gaulle avec la Turquie pour
favoriser son adhésion est un contresens car, à cette époque, l'Union
européenne n'avait rien à voir avec l'ensemble intégré qu'elle est
devenue aujourd'hui.
On peut d'ailleurs refuser l'entrée de la Turquie en Europe sans pour
autant nier l'importance de ce pays dans l'équilibre géopolitique du
continent européen, ni btir avec lui un partenariat solide, comme on
le fait par exemple avec le Maghreb.
Reconnaître comme irréversible l'entrée de la Turquie revient, moins
d'un mois après l'élection du Parlement européen, à balayer d'un
revers de la main la position de tous les partis politiques de la
majorité et plus largement d'une grande majorité de Français. Au
moment où les Français sont de plus en plus las de cette Europe qui
se construit sans eux, voire contre eux, il est dangereux pour la
santé démocratique de la France de vouloir une fois de plus passer en
force. L'histoire a amplement démontré qu'il est vain de vouloir
gouverner contre le peuple.
Si vraiment les chefs d'Etat et de gouvernement sont si sûrs de
l'utilité de l'entrée de la Turquie dans l'UE, pourquoi ne font-ils
pas alors valoir leurs arguments devant les peuples souverains ?
C'est tout le sens de la pétition nationale « Un million de
signatures pour un double référendum » que vient de lancer Debout la
République. La perspective de l'entrée de la Turquie dans l'Union
s'inscrit en effet dans le cadre de la future Constitution qui
asseoit la représentation des Etats au prorata de la population. Dans
vingt ans la Turquie aura près de 100 millions d'habitants et
détiendra ainsi près de 20 % des droits de vote du Conseil européen
loin devant la France.
Comment considérer comme « européen » l'ancien empire ottoman, situé
pour l'essentiel hors de notre continent ? A l'évidence, intégrer la
Turquie à l'Europe serait aussi pertinent que d'encourager l'Espagne
à adhérer à l'Organisation des Etats Africains ! Nier à ce point la
géographie, c'est prendre le risque d'une grave déstabilisation de
l'Union. La dynamique nationale turque est d'ailleurs au moins autant
tournée vers l'Asie centrale turcophone (au point qu'Ankara accorde
sur simple demande aux ressortissants de ces anciennes républiques
soviétiques la nationalité turque) que vers la Méditerranée.
Souvenons-nous aussi que l'histoire commune turco-européenne, si
souvent invoquée par les partisans de l'adhésion, a essentiellement
été placée sous le signe d'une expansion militaire et religieuse que
les Européens n'ont définitivement refoulée qu'à l'extrême fin du
XIXe siècle !
La démographie turque ne rapproche pas davantage ce pays des nations
d'Europe : outre qu'elle compte de nombreuses communautés émigrées
dans l'Union (qui fausseraient la donne électorale dans les pays
d'accueil en cas d'adhésion), la Turquie n'a toujours pas délimité
ses frontières et refuse de reconnaître le génocide arménien.
Quant à la question essentielle de la laïcité turque, elle est
beaucoup plus ambiguë qu'elle n'y paraît : d'un côté, celle-ci est
imparfaite et précaire (elle constitue une sorte de concordat, par
nature révocable), de l'autre, seules des élites extrêmement
minoritaires s'en revendiquent. En fait, cette quasi-vitrine laïque
ne tient que par la volonté de l'armée, au détriment de la bonne
santé démocratique du pays. La victoire électorale récente des
islamistes, qui sont loin de chérir la modernité occidentale malgré
leurs dénégations, est emblématique de ce dilemme...
Pourquoi alors l'entêtement de certains dirigeants européens ?
Hétéroclites comme toutes les justifications qui étayent les
mauvaises causes, les raisons ne manquent pas : routine d'une
construction européenne « au petit bonheur la chance » fondée sur
l'inconséquence de la fuite en avant, opportunisme électoral
(Schröder), acharnement à diluer l'UE dans l'Otan (Angleterre et
Etats-Unis), posture bien-pensante qui consiste à brandir un
universalisme détourné pour cacher une incapacité morale à assumer
les différences... Mais, dans ces conditions, pourquoi ne pas
proposer conjointement des négociations d'adhésion à l'Ukraine, à la
Biélorussie, à la Moldavie, à Israël et aux pays arabes du pourtour
de la Méditerranée ? Le temps n'est-il donc pas venu, au contraire,
de reconnaître l'erreur du sommet d'Helsinki, qui a
malencontreusement ouvert la voie de l'adhésion turque ?
Etre l'ami de la Turquie (ce qui est le cas de la France) consiste à
lui dire la vérité et à lui proposer une solution alternative : celle
d'un partenariat nouveau permettant à ce grand pays de jouer
pleinement son rôle à la charnière de l'Europe, de l'Asie et du
Proche-Orient.
Les peuples de l'Union, qui prennent aujourd'hui toute la mesure de
l'enjeu européen, veulent désormais avancer les yeux ouverts et les
pieds sur terre. Aussi, si le débat turc leur était confisqué,
gageons qu'ils se le réapproprieraient lors des référendums sur la
ratification du futur traité sur les institutions de l'Union.
Nicolas DUPONT-AIGNAN, Député UMP de l'Essonne ; président de Debout
la République.
02 juillet 2004
Turquie : il n'y a rien d'irréversible;
EUROPE Au moment où les Pays-Bas prennent la présidence de l'Union
pour six mois
par Nicolas DUPONT-AIGNAN
En déclarant à Ankara lors du sommet de l'Otan que « le mouvement
conduisant à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne est
irréversible et au total souhaitable », Jacques Chirac met le peuple
français devant un fait accompli inacceptable et dangereux.
En engageant la France, sans même envisager de consulter les
Français, le président de la République tourne le dos aux principes
fondateurs de la Ve République qui voulaient que les choix décisifs
pour l'avenir du pays soient ratifiés par référendum. De surcroît,
l'entrée de la Turquie dans l'UE n'a jamais fait l'objet d'un débat
au Parlement, ni figuré dans un programme présidentiel. Prendre
prétexte de la continuité de la politique française depuis le
rapprochement initié par le général de Gaulle avec la Turquie pour
favoriser son adhésion est un contresens car, à cette époque, l'Union
européenne n'avait rien à voir avec l'ensemble intégré qu'elle est
devenue aujourd'hui.
On peut d'ailleurs refuser l'entrée de la Turquie en Europe sans pour
autant nier l'importance de ce pays dans l'équilibre géopolitique du
continent européen, ni btir avec lui un partenariat solide, comme on
le fait par exemple avec le Maghreb.
Reconnaître comme irréversible l'entrée de la Turquie revient, moins
d'un mois après l'élection du Parlement européen, à balayer d'un
revers de la main la position de tous les partis politiques de la
majorité et plus largement d'une grande majorité de Français. Au
moment où les Français sont de plus en plus las de cette Europe qui
se construit sans eux, voire contre eux, il est dangereux pour la
santé démocratique de la France de vouloir une fois de plus passer en
force. L'histoire a amplement démontré qu'il est vain de vouloir
gouverner contre le peuple.
Si vraiment les chefs d'Etat et de gouvernement sont si sûrs de
l'utilité de l'entrée de la Turquie dans l'UE, pourquoi ne font-ils
pas alors valoir leurs arguments devant les peuples souverains ?
C'est tout le sens de la pétition nationale « Un million de
signatures pour un double référendum » que vient de lancer Debout la
République. La perspective de l'entrée de la Turquie dans l'Union
s'inscrit en effet dans le cadre de la future Constitution qui
asseoit la représentation des Etats au prorata de la population. Dans
vingt ans la Turquie aura près de 100 millions d'habitants et
détiendra ainsi près de 20 % des droits de vote du Conseil européen
loin devant la France.
Comment considérer comme « européen » l'ancien empire ottoman, situé
pour l'essentiel hors de notre continent ? A l'évidence, intégrer la
Turquie à l'Europe serait aussi pertinent que d'encourager l'Espagne
à adhérer à l'Organisation des Etats Africains ! Nier à ce point la
géographie, c'est prendre le risque d'une grave déstabilisation de
l'Union. La dynamique nationale turque est d'ailleurs au moins autant
tournée vers l'Asie centrale turcophone (au point qu'Ankara accorde
sur simple demande aux ressortissants de ces anciennes républiques
soviétiques la nationalité turque) que vers la Méditerranée.
Souvenons-nous aussi que l'histoire commune turco-européenne, si
souvent invoquée par les partisans de l'adhésion, a essentiellement
été placée sous le signe d'une expansion militaire et religieuse que
les Européens n'ont définitivement refoulée qu'à l'extrême fin du
XIXe siècle !
La démographie turque ne rapproche pas davantage ce pays des nations
d'Europe : outre qu'elle compte de nombreuses communautés émigrées
dans l'Union (qui fausseraient la donne électorale dans les pays
d'accueil en cas d'adhésion), la Turquie n'a toujours pas délimité
ses frontières et refuse de reconnaître le génocide arménien.
Quant à la question essentielle de la laïcité turque, elle est
beaucoup plus ambiguë qu'elle n'y paraît : d'un côté, celle-ci est
imparfaite et précaire (elle constitue une sorte de concordat, par
nature révocable), de l'autre, seules des élites extrêmement
minoritaires s'en revendiquent. En fait, cette quasi-vitrine laïque
ne tient que par la volonté de l'armée, au détriment de la bonne
santé démocratique du pays. La victoire électorale récente des
islamistes, qui sont loin de chérir la modernité occidentale malgré
leurs dénégations, est emblématique de ce dilemme...
Pourquoi alors l'entêtement de certains dirigeants européens ?
Hétéroclites comme toutes les justifications qui étayent les
mauvaises causes, les raisons ne manquent pas : routine d'une
construction européenne « au petit bonheur la chance » fondée sur
l'inconséquence de la fuite en avant, opportunisme électoral
(Schröder), acharnement à diluer l'UE dans l'Otan (Angleterre et
Etats-Unis), posture bien-pensante qui consiste à brandir un
universalisme détourné pour cacher une incapacité morale à assumer
les différences... Mais, dans ces conditions, pourquoi ne pas
proposer conjointement des négociations d'adhésion à l'Ukraine, à la
Biélorussie, à la Moldavie, à Israël et aux pays arabes du pourtour
de la Méditerranée ? Le temps n'est-il donc pas venu, au contraire,
de reconnaître l'erreur du sommet d'Helsinki, qui a
malencontreusement ouvert la voie de l'adhésion turque ?
Etre l'ami de la Turquie (ce qui est le cas de la France) consiste à
lui dire la vérité et à lui proposer une solution alternative : celle
d'un partenariat nouveau permettant à ce grand pays de jouer
pleinement son rôle à la charnière de l'Europe, de l'Asie et du
Proche-Orient.
Les peuples de l'Union, qui prennent aujourd'hui toute la mesure de
l'enjeu européen, veulent désormais avancer les yeux ouverts et les
pieds sur terre. Aussi, si le débat turc leur était confisqué,
gageons qu'ils se le réapproprieraient lors des référendums sur la
ratification du futur traité sur les institutions de l'Union.
Nicolas DUPONT-AIGNAN, Député UMP de l'Essonne ; président de Debout
la République.