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Ankara veut convaincre Paris

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  • Ankara veut convaincre Paris

    La Nouvelle République du Centre Ouest
    20 juillet 2004

    Ankara veut convaincre Paris

    La Turquie, pays musulman de près de 70 millions d'habitants,
    doit-elle entrer dans l'Union européenne ? Face à une classe
    politique française divisée, le Premier ministre, Recep Tayyip
    Erdogan plaide, depuis hier, son dossier à Paris.


    Une copieuse délégation turque est arrivée, hier, à Paris, pour
    promouvoir sa candidature à l'Union européenne. A sa tête, le Premier
    ministre, Recep Tayyip Erdogan, un islamiste récemment converti.
    Alors que Berlin, Londres et Madrid sont plutôt favorables, Paris
    reste un obstacle sur la route d'Ankara à Bruxelles, en raison de la
    division de la classe politique sur le sujet.

    On se souvient que l'UMP, début avril, avait pris une position très
    ferme contre cette entrée. Au lendemain des résultats catastrophiques
    des régionales, Alain Juppé avait alors cherché à enlever aux
    souverainistes et à l'UDF un thème qui, croyait-on, serait majeur.
    Quitte à se mettre en porte-à-faux avec le président de la
    République, qui, lui, a toujours estimé que ce pays musulman avait
    vocation à rejoindre l'Ancien Continent. Cette opposition sur la
    politique étrangère, entre un Président et le principal parti qui le
    soutient, n'a pas d'antécédent sous la Ve République !

    Finalement, la Turquie n'est apparue dans aucun pays d'Europe comme
    un enjeu lors des dernières européennes. La gauche n'a pas eu envie
    de se focaliser sur un thème qui la divisait. Tout en accusant la
    droite d'agiter un épouvantail, elle a semblé embarrassée. Oui, mais
    pas tout de suite, car les conditions ne sont pas réunies : tel était
    le sentiment du PS, rappelé par François Hollande.

    « Avec l'entrée de la Turquie, l'Europe sera hétérogène et
    s'affaiblira », avait affirmé François Bayrou au nom de l'Europe
    chrétienne et fédérale. Le président du MPF, Philippe de Villiers,
    avait sorti, au nom de l'identité de la France, un slogan « Non à la
    Turquie » qu'il voulait faire breveter pour en garder l'exclusivité
    sur ses affiches. Le Pen était opposé par le seul fait que 70
    millions de musulmans auraient, d'un coup, accès à l'Europe.

    Quant aux Verts, ils avaient été, de loin, les plus favorables. «
    L'Europe, avait dit Gérard Onesta, vice-président du Parlement
    européen, n'est pas un club chrétien. Elle compte d'ailleurs déjà
    quinze millions de musulmans en son sein. En acceptant la Turquie, on
    lui évite de sombrer dans le fondamentalisme, et on jette un pont. En
    la rejetant, on revient à la politique stupide du bloc contre bloc. »
    Une position réaffirmée hier par Daniel Cohn-Bendit, qui voit là une
    occasion de tendre la main à un pays musulman, tout en l'obligeant à
    devenir réellement démocratique.

    La question turque reviendra sur le tapis d'ici quelques mois,
    puisque la Commission européenne va remettre, en octobre, une
    recommandation pour dire si le processus d'adhésion mérite d'être
    engagé, et c'est le Conseil européen qui en décidera le 10 décembre.

    Qu'on le veuille ou non, la candidature turque a été considérée comme
    recevable au sommet d'Helsinki de 1999, alors qu'elle bénéficie,
    depuis 1963, du statut de membre associé. Son adhésion à l'Otan ne
    date pas d'hier : 1952.

    Si l'on s'en tient à l'histoire, la Turquie s'est trouvée mêlée à la
    nôtre. Le sultan a participé régulièrement aux renversements de
    stratégies et aux partages du monde. François Ier n'a-t-il pas essayé
    de s'allier avec le Soliman Ier le Magnifique pour contrarier
    l'influence de Charles Quint ?

    « On pourrait presque dire que l'Europe est enfant de la Turquie »,
    remarque Denis Badré, dans son livre L'Attente d'Europe. « Saint Paul
    nous a familiarisés avec Tarse, saint Nicolas était évêque de Myra,
    en Lycie, et Thalès résidait à Milet. Nos enfants les croient
    français, tant ils se sont approprié leur image. Nicée est connu
    comme un concile que nous revendiquons comme nôtre. Grce à Homère,
    la guerre de Troie fait partie de notre patrimoine culturel européen.
    »

    Pays musulman, la Turquie est devenue un État laïc quand Mustapha
    Kemal a proclamé la République, le 29 octobre 1923. Il a alors aboli
    le sultanat, mis fin à l'islam comme religion d'État et introduit
    l'alphabet latin à la place des caractères arabes. Les femmes turques
    ont eu le droit de vote en 1934, avant les Françaises !

    La reconnaissance du génocidearménienen question

    Pendant des dizaines d'années, la Turquie a servi de sentinelle de
    l'Ouest face à l'empire soviétique. Elle a verrouillé la mer Noire.
    Les États-Unis y ont installé des bases aériennes. La géographie
    l'incline plutôt vers l'Asie, puisqu'elle n'a que 5 % de son
    territoire en Europe. Mais c'est sur cette partie que s'est
    développée Byzance, devenue, sous le nom de Constantinople, une
    métropole européenne. Sainte-Sophie a été la plus grande église de la
    chrétienté. Une tradition fait mourir la Vierge Marie à Éphèse.

    Seulement, la Turquie soulève quelques difficultés. Forte aujourd'hui
    de 70 millions d'habitants, elle pourrait en compter 85 millions en
    2025, ce qui la ferait dépasser l'Allemagne. Si elle dispose d'un
    système parlementaire multipartite, sa vie politique n'est pas encore
    stabilisée.

    En 1997, elle a eu un gouvernement islamiste qui a été démissionné
    sous la pression de l'armée, considérée ici comme la gardienne d'une
    laïcité qu'Atatürk lui a confiée. La répression contre les
    nationalistes kurdes n'est pas encore éteinte. Et, surtout, il y a la
    question de la non-reconnaissance du génocide arménien. Deux tiers de
    ce peuple de l'Empire ottoman, en 1915 et 1916, ont subi un
    anéantissement planifié.

    « La Turquie s'en tient à un négationisme d'État », souligne
    l'historien Yves Ternon, qui demande aux États de l'Union européenne
    de se souvenir de cette exigence éthique. Si les Français ne sont que
    39 % à être favorables à l'entrée de la Turquie dans l'Europe, ils
    passeraient à 45 % s'il y avait reconnaissance de ce génocide.

    Un jour viendra, peut-être, où la Turquie saura ne pas nier son passé
    pour devenir un État musulman modéré, respectueux des libertés et des
    droits humains. Elle répondrait alors à tous les critères et
    deviendrait ce fameux pont avec l'Asie.

    GRAPHIQUE: Image: Byzance, sous le nom de Constantinople, devait
    devenir une métropole européenne.

    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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