Le Figaro, France
05 janvier 2005
« Ces citoyens turcs qui parlent la langue du Christ »
Sébastien de Courtois
par Sophie de RAVINEL
Historien et spécialiste de l'Orient, Sébastien de Courtois a
rencontré par hasard une petite population chrétienne oubliée, au fin
fond de la Turquie, à la frontière du Kurdistan. Les villages,
accrochés sur les massifs du Tur Abdin, entourent des monastères
fondés entre le IVe et le VIIIe siècle. Y vivent encore quelques
centaines de personnes, héritières d'une population qui a survécu à
travers les siècles entre massacres et discriminations. Leur langue
est l'araméen, celle-là même que parlait le Christ. Associés aux
splendides photos de Douchan Novalovik, les textes de Sébastien de
Courtois (Les Derniers Araméens, éd. La Table Ronde) font entrer le
lecteur dans un monde oublié, un berceau du christianisme primitif,
dont les habitants sont de fervents adeptes de l'entrée de la Turquie
en Europe.
LE FIGARO. Comment vous êtes-vous intéressé aux Araméens de Turquie ?
Sébastien de COURTOIS. Complètement par hasard, bien que je sois un
passionné de l'Orient. Avec un ami, nous étions dans l'est de la
Turquie, il y a cinq ans, à la recherche d'églises arméniennes,
autour du lac de Van. Le bus s'est trompé de direction et nous nous
sommes arrêtés dans un lieu inconnu. Alors que je croyais qu'il n'y
avait plus de chrétiens sur place, j'ai croisé un prêtre sur la
route. Il s'exprimait dans un français parfait. C'était le père
Joseph, curé de Mardin et ancien élève des dominicains de Mossoul, en
Irak. Il nous a invités à visiter les monastères, plus haut dans la
montagne, près de la ville de Midyat, dans le massif du Tur Abdin («
la montagne des serviteurs de Dieu »). Quinze d'entre eux sont encore
en service. Dans les villages alentours vivent 2 000 habitants dont
les ancêtres ont été christianisés aux IIe et IIIe siècles. Cette
poche chrétienne située aux portes du Kurdistan, cousine de celles
qui existent en Syrie, a survécu au cours de l'histoire, malgré les
massacres, les discriminations.
Quelle a été votre première impression sur place ?
Cette rencontre a d'abord été un coup de foudre spirituel. La foi de
ces citoyens turcs qui parlent la langue du Christ est totalement
authentique, elle a traversé les ges. J'ai voulu qu'elle soit
visible sur les photos, sur ces visages qui sortent de l'Ancien
Testament. L'architecture est ensuite saisissante. Les monastères,
construits entre le IVe et le VIIIe siècle, ont un style unique,
influencé par l'antiquité, Byzance, la Syrie du Nord... Jusque très
récemment on n'avait qu'une très petite idée de ce témoignage de
l'histoire. La seule grande étude a été menée en 1911 par
l'archéologue et exploratrice anglaise Gertrude Bell. Aujourd'hui, je
travaille avec l'Unesco pour que ce site soit inscrit au patrimoine
mondial de l'humanité.
Ne risque-t-on pas de faire de ce lieu une sorte de « réserve
culturelle protégée » des chrétiens de Turquie ?
C'est un risque. Mais il faut faire quelque chose. La moyenne d'ge
des quelque 2 000 habitants est très élevée. Les Kurdes font pression
pour récupérer leurs maisons et les jeunes chrétiens ont le regard
fixé sur l'Occident. Ils ne pensent qu'à partir. Je crains que ce
livre soit le premier et le dernier. Certaines photos ne pourraient
déjà plus être faites. Pourtant, il y a encore deux ans, les Turcs
les empêchaient toujours d'enseigner leur propre langue et de
transmettre leur culture. Au cours des premiers de nos cinq voyages
sur place, les écoles étaient clandestines... Aujourd'hui, depuis que
la Turquie a lancé une opération de séduction en direction de
l'Europe, la situation s'est bien améliorée.
Vous espérez un renouveau de cette communauté ?
Je le constate ! Je crois en un devoir de mémoire que les Turcs
pourraient avoir. Nous assistons aussi à une certaine renaissance du
monachisme depuis cinq ans. Des jeunes syriaques qui vivent à
Istanbul, viennent dans le Tur Abdin pour retrouver leurs racines,
apprendre leur langue. Ils restent sur place quelques années et
contribuent à la renaissance du lieu. La diaspora est aussi très
présente. Il y a vingt ans, ces villages n'avaient pas l'électricité.
Ils ont aujourd'hui Internet et sont reliés au monde entier. Les
habitants sont de fervents adeptes de l'intégration de la Turquie en
Europe.
05 janvier 2005
« Ces citoyens turcs qui parlent la langue du Christ »
Sébastien de Courtois
par Sophie de RAVINEL
Historien et spécialiste de l'Orient, Sébastien de Courtois a
rencontré par hasard une petite population chrétienne oubliée, au fin
fond de la Turquie, à la frontière du Kurdistan. Les villages,
accrochés sur les massifs du Tur Abdin, entourent des monastères
fondés entre le IVe et le VIIIe siècle. Y vivent encore quelques
centaines de personnes, héritières d'une population qui a survécu à
travers les siècles entre massacres et discriminations. Leur langue
est l'araméen, celle-là même que parlait le Christ. Associés aux
splendides photos de Douchan Novalovik, les textes de Sébastien de
Courtois (Les Derniers Araméens, éd. La Table Ronde) font entrer le
lecteur dans un monde oublié, un berceau du christianisme primitif,
dont les habitants sont de fervents adeptes de l'entrée de la Turquie
en Europe.
LE FIGARO. Comment vous êtes-vous intéressé aux Araméens de Turquie ?
Sébastien de COURTOIS. Complètement par hasard, bien que je sois un
passionné de l'Orient. Avec un ami, nous étions dans l'est de la
Turquie, il y a cinq ans, à la recherche d'églises arméniennes,
autour du lac de Van. Le bus s'est trompé de direction et nous nous
sommes arrêtés dans un lieu inconnu. Alors que je croyais qu'il n'y
avait plus de chrétiens sur place, j'ai croisé un prêtre sur la
route. Il s'exprimait dans un français parfait. C'était le père
Joseph, curé de Mardin et ancien élève des dominicains de Mossoul, en
Irak. Il nous a invités à visiter les monastères, plus haut dans la
montagne, près de la ville de Midyat, dans le massif du Tur Abdin («
la montagne des serviteurs de Dieu »). Quinze d'entre eux sont encore
en service. Dans les villages alentours vivent 2 000 habitants dont
les ancêtres ont été christianisés aux IIe et IIIe siècles. Cette
poche chrétienne située aux portes du Kurdistan, cousine de celles
qui existent en Syrie, a survécu au cours de l'histoire, malgré les
massacres, les discriminations.
Quelle a été votre première impression sur place ?
Cette rencontre a d'abord été un coup de foudre spirituel. La foi de
ces citoyens turcs qui parlent la langue du Christ est totalement
authentique, elle a traversé les ges. J'ai voulu qu'elle soit
visible sur les photos, sur ces visages qui sortent de l'Ancien
Testament. L'architecture est ensuite saisissante. Les monastères,
construits entre le IVe et le VIIIe siècle, ont un style unique,
influencé par l'antiquité, Byzance, la Syrie du Nord... Jusque très
récemment on n'avait qu'une très petite idée de ce témoignage de
l'histoire. La seule grande étude a été menée en 1911 par
l'archéologue et exploratrice anglaise Gertrude Bell. Aujourd'hui, je
travaille avec l'Unesco pour que ce site soit inscrit au patrimoine
mondial de l'humanité.
Ne risque-t-on pas de faire de ce lieu une sorte de « réserve
culturelle protégée » des chrétiens de Turquie ?
C'est un risque. Mais il faut faire quelque chose. La moyenne d'ge
des quelque 2 000 habitants est très élevée. Les Kurdes font pression
pour récupérer leurs maisons et les jeunes chrétiens ont le regard
fixé sur l'Occident. Ils ne pensent qu'à partir. Je crains que ce
livre soit le premier et le dernier. Certaines photos ne pourraient
déjà plus être faites. Pourtant, il y a encore deux ans, les Turcs
les empêchaient toujours d'enseigner leur propre langue et de
transmettre leur culture. Au cours des premiers de nos cinq voyages
sur place, les écoles étaient clandestines... Aujourd'hui, depuis que
la Turquie a lancé une opération de séduction en direction de
l'Europe, la situation s'est bien améliorée.
Vous espérez un renouveau de cette communauté ?
Je le constate ! Je crois en un devoir de mémoire que les Turcs
pourraient avoir. Nous assistons aussi à une certaine renaissance du
monachisme depuis cinq ans. Des jeunes syriaques qui vivent à
Istanbul, viennent dans le Tur Abdin pour retrouver leurs racines,
apprendre leur langue. Ils restent sur place quelques années et
contribuent à la renaissance du lieu. La diaspora est aussi très
présente. Il y a vingt ans, ces villages n'avaient pas l'électricité.
Ils ont aujourd'hui Internet et sont reliés au monde entier. Les
habitants sont de fervents adeptes de l'intégration de la Turquie en
Europe.