JACQUES GUYON: ENCORE UNE LOI QUI FAIT UNE HISTOIRE
Charente Libre
18 mai 2006
Une fois encore, les historiens se retrouvent en butte a cette
tentation qu'ont les parlementaires de vouloir instaurer une histoire
officielle, erigee en verite intangible et a laquelle on ne peut que
se soumettre.
Et voila a nouveau les historiens remontes comme des pendules
contre les parlementaires ! Hier c'etait contre ceux de l'UMP qui
avaient vote la loi finalement ravalee sur l'aspect positif de la
colonisation. Aujourd'hui, c'est contre des deputes socialistes qui ont
pris l'initiative de deposer une proposition de loi visant a instituer
des sanctions penales contre la negation du genocide armenien.
Une fois encore, les historiens se retrouvent en butte a cette
tentation qu'ont ces temps-ci les parlementaires de vouloir instaurer
une histoire officielle, erigee en verite intangible et a laquelle
on ne peut que se soumettre au risque de sanctions penales. Cette
tentation très totalitaire - l'histoire officielle a de tout temps ete
l'apanage des dictatures - se pare une fois encore de plus ou moins
bons sentiments. Il s'agirait de lutter contre le negationnisme. Sauf
que ce negationnisme-la vient d'abord, et depuis 1918, du gouvernement
turc. Sauf que si on entend depuis quelques semaines les menaces
de retorsion economique d'Ankara, personne ne peut imaginer une
seconde que c'est cette loi qui va lui faire changer sa lecture
de l'histoire. Si ce pays reconnaît les massacres de centaines de
milliers d'Armeniens, il refute le terme de genocide.
Dès lors, on imagine mal qu'un jour la justice francaise condamne
(comme le prevoit le texte depose ce matin a l'Assemblee) le Premier
ministre turc, Recep Erdogan, a un an de prison et 45 000 euros
d'amende... Par contre, la loi du 29 janvier 2001 par laquelle l'Etat
francais (comme ensuite le Parlement europeen) a reconnu ces massacres
comme le premier genocide du XXe siècle, est largement suffisante pour
amener Ankara a plus de realisme: il suffit de lier l'adhesion de ce
pays a l'UE a cette condition. Il est d'ailleurs piquant que ce soit
du parti socialiste, qui pourtant milite pour l'entree de la Turquie,
que vienne cette initiative... Pour ce qui est des profanations
de monuments armeniens ou autres actes inadmissibles commis sur
le sol francais, il existe un arsenal juridique suffisant pour les
sanctionner sans qu'une nouvelle loi vienne epaissir notre maquis
juridique. Dès lors, on ne peut que s'etonner de cette initiative
parlementaire qui ne fait qu'en rajouter a la judiciarisation
actuelle et ne peut qu'encourager la victimisation galopante et les
surenchères communautaires. A moins precisement que les voix de la
forte communaute armenienne de France aient un tout autre echo a la
veille des elections de 2007. Si cette loi etait votee, nul doute que
les historiens de demain y verraient comme une loi... de circonstances.
--Boundary_(ID_4+7U6byb9QwuA2a77bb vWQ)--
Charente Libre
18 mai 2006
Une fois encore, les historiens se retrouvent en butte a cette
tentation qu'ont les parlementaires de vouloir instaurer une histoire
officielle, erigee en verite intangible et a laquelle on ne peut que
se soumettre.
Et voila a nouveau les historiens remontes comme des pendules
contre les parlementaires ! Hier c'etait contre ceux de l'UMP qui
avaient vote la loi finalement ravalee sur l'aspect positif de la
colonisation. Aujourd'hui, c'est contre des deputes socialistes qui ont
pris l'initiative de deposer une proposition de loi visant a instituer
des sanctions penales contre la negation du genocide armenien.
Une fois encore, les historiens se retrouvent en butte a cette
tentation qu'ont ces temps-ci les parlementaires de vouloir instaurer
une histoire officielle, erigee en verite intangible et a laquelle
on ne peut que se soumettre au risque de sanctions penales. Cette
tentation très totalitaire - l'histoire officielle a de tout temps ete
l'apanage des dictatures - se pare une fois encore de plus ou moins
bons sentiments. Il s'agirait de lutter contre le negationnisme. Sauf
que ce negationnisme-la vient d'abord, et depuis 1918, du gouvernement
turc. Sauf que si on entend depuis quelques semaines les menaces
de retorsion economique d'Ankara, personne ne peut imaginer une
seconde que c'est cette loi qui va lui faire changer sa lecture
de l'histoire. Si ce pays reconnaît les massacres de centaines de
milliers d'Armeniens, il refute le terme de genocide.
Dès lors, on imagine mal qu'un jour la justice francaise condamne
(comme le prevoit le texte depose ce matin a l'Assemblee) le Premier
ministre turc, Recep Erdogan, a un an de prison et 45 000 euros
d'amende... Par contre, la loi du 29 janvier 2001 par laquelle l'Etat
francais (comme ensuite le Parlement europeen) a reconnu ces massacres
comme le premier genocide du XXe siècle, est largement suffisante pour
amener Ankara a plus de realisme: il suffit de lier l'adhesion de ce
pays a l'UE a cette condition. Il est d'ailleurs piquant que ce soit
du parti socialiste, qui pourtant milite pour l'entree de la Turquie,
que vienne cette initiative... Pour ce qui est des profanations
de monuments armeniens ou autres actes inadmissibles commis sur
le sol francais, il existe un arsenal juridique suffisant pour les
sanctionner sans qu'une nouvelle loi vienne epaissir notre maquis
juridique. Dès lors, on ne peut que s'etonner de cette initiative
parlementaire qui ne fait qu'en rajouter a la judiciarisation
actuelle et ne peut qu'encourager la victimisation galopante et les
surenchères communautaires. A moins precisement que les voix de la
forte communaute armenienne de France aient un tout autre echo a la
veille des elections de 2007. Si cette loi etait votee, nul doute que
les historiens de demain y verraient comme une loi... de circonstances.
--Boundary_(ID_4+7U6byb9QwuA2a77bb vWQ)--