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Histoire, traumatismes historiques et manipulations géopolitiques

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    AgoraVox, France
    23 dec 2011

    Histoire, traumatismes historiques et manipulations géopolitiques


    Les peuples étaient manipulés à l'époque, ils continuent à l'être
    aujourd'hui. C'est ainsi que l'on peut résumer cette énième «
    judiciarisation » de l'Histoire avec ce texte proposé à l'assemblée
    nationale et qui punirait sévèrement toute négation d'un génocide «
    juridiquement reconnu ». Dont celui des Arméniens (1915 - 1916) par «
    l'empire ottoman ». En fait par le régime des « Jeunes Turcs ». Une
    première constatation : la reconnaissance du génocide arménien en
    France est très récente (2001) et le texte se refuse d'identifier
    l'auteur du génocide. On pourrait faire l'Histoire de cette longue
    marche pour la reconnaissance, qui commence à avoir des effets vers
    les années 1980 chez les alors pays de l'est pour aboutir aux textes
    plus récents, votés après la chute du mur de Berlin (1990 - 2000).
    Certains pays, comme la Grande-Bretagne - un précédent qui pourrait
    mettre à mal les agissements de son propre empire -, se refusent
    toujours cette reconnaissance, tout comme Israël qui voulait sans
    doute garder le monopole du terme pour la shoah. On pourrait aussi
    écrire l'histoire de deux obsessions celle des Arméniens qui
    ressentent cette reconnaissance comme un des actes fondateurs de leur
    identité nationale et celle des Turcs qui refusent une telle
    reconnaissance envers et contre tout et surtout contre une partie de
    leur propre histoire, celle qui décline la rupture permettant le
    passage de l'Empire Ottoman à la Turquie Kémaliste. On oublie ainsi de
    faire l'Histoire de l'élimination des populations non turques vivant
    en Turquie, on oublie d'étudier les résultats de la politique « une
    nation une frontière » qui concerne, entre 1915 et 1924, l'ensemble de
    l'espace balkanique et de l'Asie Mineure. On oublie enfin la
    géopolitique spécifique de la région prise en tenaille entre trois
    empires (Ottoman, Austro-Hongrois et Russe) d'une part, et les visées
    britanniques et marginalement françaises, de l'autre.

    La terreur comme arme de persuasion des milices et, durant les guerres
    balkaniques (1912-1913), des armées plus ou moins régulières, le rôle
    des consulats, les faux recensements, la course en avant des uns et
    des autres pour « purifier » et uniformiser des espaces avant les
    décisions de la communauté internationale concernant la délimitation
    des frontières et en prévision de la chute des empires Austo -
    Hongrois et Ottoman (1917-1918) n'ont épargné aucun pays existant ou
    en formation.

    La « révolution » des jeunes Turks qui entérinait cette nouvelle donne
    et qui se proposait (aux dires même de Kemal Atatürk) d'échanger un
    empire infini et polyethnique contre une Etat national et homogène
    moderne derrière des frontières naturelles et sans ennemis intérieurs,
    eut comme conséquence la purification de l'espace turc de ses
    minorités (grecs, arméniens, juifs et arabes) et l'utilisation
    systématique des supplétifs kurdes (considérés comme Turks) pour
    l'accomplissement de la « sale besogne » comme cela avait déjà été le
    cas durant l'élimination des populations arméniennes (1915-1916). La
    défaite de l'Axe (Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie) consacra la
    défaite des « jeunes Turks », l'effondrement de l'empire ottoman et la
    victoire de Kemal Atatürk sur les corps expéditionnaires qui ont dû
    quitter l'espace turcs (troupes alliés à Istanbul) ou défaits (à Eski
    Sehir en ce qui concerne le corps expéditionnaire grec). Pour cela
    Atatürk s'est appuyé sur une armée certes vaincue mais dont les
    officiers, ultranationalistes, avaient perpétré le génocide arménien.
    La construction de l'Etat moderne turc s'est fait sur cette base : on
    efface tout et on recommence. D'autant plus que le crime contre les
    arméniens s'articulait sur celui des autres minorités sur la base d'un
    projet politique qui exigeait la « purification ethnique » de l'Etat
    turc. La marche forcée vers la « modernité kémalienne » fit bien
    d'autres victimes : tous ceux qui contestaient cette marche (mollahs,
    féodaux, hommes politiques, etc.), au point que l'on parle en Turquie
    du « syndrome de la corde » : de manière périodique les opposants
    (même ceux choisis par Atatürk pour jouer ce rôle) étaient pendus dès
    lors qu'ils prenaient leur rôle au sérieux. Et cela a continué jusqu'à
    l'aube du 21e siècle. On comprend mieux pourquoi il existe une volonté
    farouche, mue d'un côté par un nationalisme métaphysique se référant à
    la genèse de l'Etat turc, et d'autre par une peur, difficile à
    dépasser, d'être non conforme à cette marche kémaliste. L'armée,
    dépositaire institutionnel de cette tradition, voudrait la perpétuer
    en perpétuant les peurs des ennemis intérieurs et extérieurs. Le
    gouvernement actuel voudrait prouver l'aspect obsolète de cette
    tradition en menant une politique basée sur le principe ouvertement
    déclaré : pas d'ennemis à nos frontières, d'où une politique de la
    main tendue (souvent boycotté par l'armée) vis à vis de l'Arménie, de
    la Grèce et des pays arabes (en sacrifiant l'alliance historique avec
    Israël).

    Au moment même où la Turquie apparaît comme la puissance régionale la
    plus en état de faire des pressions sur la Syrie et de jouer un rôle
    d'intermédiaire entre l'Occident et l'Iran, voilà que l'on renforce
    les éléments les plus nationalistes de ce pays, qu'on redonne la main
    à l'armée, que l'on pousse le gouvernement actuel à surenchérir (pour
    ne pas périr). Si on le fait juste pour faire plaisir à des députés
    marseillais ou lyonnais qui cherchent la reconnaissance de la minorité
    arménienne on est simplement ignares. Mais si on le fait pour
    paralyser la Turquie dans son rôle moyen oriental (il suffit par
    exemple à Ankara de fermer les barrages pour assoiffer le régime
    syrien), alors, quoi que l'on affirme officiellement, on voudrait
    préserver, dans leur rôle de chien de Fayence, les amis - ennemis
    héréditaires (Israël, Syrie, Iran), les de gardiens de l'immobilité,
    face aux chamboulements des printemps arabes, qui reste le pire
    cauchemar d'Israël.

    Tous ceux qui ont trouvé le moment opportun pour punir la négation
    d'un génocide perpétré en 1915 sont-ils conscients qu'ils perpétuent
    un autre, qui se déroule aujourd'hui, sous leurs propres yeux, en
    Syrie ?

    http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/histoire-traumatismes-historiques-106810

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