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Quand La Marine Nationale Volait Au Secours Des Armeniens

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    QUAND LA MARINE NATIONALE VOLAIT AU SECOURS DES ARMENIENS
    Par Jean Guisnel

    Le Point
    http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/jean-guisnel/quand-la-marine-nationale-volait-au-secours-des-armeniens-27-12-2011-1412777_53.php
    27 dec 2011
    France

    En 1909 et en 1915, la marine francaise a sauve des milliers
    d'Armeniens persecutes en Turquie. Georges Kevorkian a consacre un
    livre a ces interventions.

    On le sait peu, mais a deux reprises au debut du XXe siècle, des
    milliers d'Armeniens ne durent leur salut qu'a des interventions
    musclees de la marine nationale francaise. Passionne par ces episodes,
    Georges Kevorkian a enquete dans les archives historiques du ministère
    de la Defense et auprès des descendants des marins ayant participe
    a ces operations pour en faire un livre*. Entretien.

    Le Point : En avril 1909, Stephen Pichon et Marie-Georges Picquart,
    respectivement ministre des Affaires etrangères et ministre de la
    Guerre du gouvernement Clemenceau, decident d'envoyer plusieurs
    navires au secours des Armeniens de Cilicie sauvagement reprimes par
    les Turcs. Pouvez-vous nous rappeler le contexte historique de cette
    intervention ?

    Georges Kevorkian : Les Jeunes-Turcs au pouvoir depuis 1908 ont
    promulgue une Constitution qui introduit des reformes de progrès et
    une orientation plus tolerante des rapports entre les differentes
    communautes de l'Empire ottoman, notamment entre les Armeniens
    chretiens et les Turcs musulmans. Les Armeniens adhèrent a ce
    programme. Mais parmi ces Jeunes-Turcs, les nationalistes les plus
    radicaux rejettent les "infidèles". Les Armeniens sont accuses de
    menees autonomistes en Cilicie. À la mi-avril 1909, des heurts entre
    les communautes declenchent des represailles de la part des Turcs.

    Tous les chretiens sont vises. Les puissances occidentales sont
    averties de massacres dont sont principalement victimes les Armeniens
    ; elles craignent pour leurs ressortissants et leurs representants
    consulaires. Du côte francais, on craint aussi pour la vie des jesuites
    et des soeurs de Saint-Joseph-de-Lyon. Une force navale de plusieurs
    pays est alors depechee.

    À quelles operations ces navires francais seront-ils affectes et en
    quoi aideront-elles les Armeniens ?

    Le contre-amiral Louis Pivet, commandant l'escadre legère de
    Mediterranee a bord du croiseur cuirasse Jules Ferry, recoit l'ordre
    d'appareiller pour cette region. Outre le Jules Ferry, son escadre,
    comprenant le cuirasse d'escadre Verite ainsi que les croiseurs
    cuirasses Victor Hugo et Jules Michelet, se met en route pour arriver
    en bordure du golfe d'Alexandrette le 23 avril 1909. Les marins
    francais constatent que tout le quartier armenien d'Adana est en feu ;
    il en est de meme des habitations chretiennes des localites proches.

    Les refugies chretiens sont proteges avec le concours d'unites navales
    europeennes (croiseur anglais Diana, croiseur italien Piemonte,
    croiseur allemand Hambourg...). Le 27 avril, le paquebot francais
    Niger, requisitionne, embarque 2 200 chretiens (en majorite des
    Armeniens) de la baie de Bazit. Le Jules Ferry embarque, le meme jour,
    1 450 refugies, dont deux tiers de femmes et d'enfants. Quant au Jules
    Michelet, il protège par sa presence des chretiens refugies en bordure
    de mer, en baie de Kessab. Le calme revenu, après concertation avec
    les autorites ottomanes, les refugies rescapes reviennent dans leurs
    quartiers devastes ; cependant, certains quitteront pour toujours
    le pays.

    En 1915, des Armeniens de la region du mont Moïse, sur le golfe
    d'Alexandrette (aujourd'hui Iskenderun), sont accules par les Turcs.

    Leur salut viendra de la mer et de la marine francaise. Pourquoi
    est-elle intervenue ?

    Fin octobre 1914, l'Empire ottoman se joint aux forces allemandes
    et autrichiennes (Empires centraux) pour combattre le bloc des pays
    de l'Entente (Grande-Bretagne, France et Russie). C'est ce qu'on a
    appele le "theâtre oriental" de la Grande Guerre. En septembre 1915,
    la 3e escadre de la flotte de combat francaise en Mediterranee, aux
    ordres de l'amiral Gabriel Darrieus (qui vient de prendre le relais
    de l'amiral Louis Dartige du Fournet devenant chef de l'armee navale
    en Mediterranee), patrouille le long des côtes de Syrie, proches du
    golfe d'Alexandrette et du mont Moïse (Musa Dagh). Le 10 septembre,
    le croiseur Guichen apercoit des groupes d'hommes descendant de la
    montagne vers la plage : plusieurs milliers d'Armeniens accules
    a la mer fuient la barbarie des Turcs qui les pourchassent pour
    les deporter (la mort leur etant promise), en application du crime
    "genocidaire" decide par les autorites ottomanes. Ils brandissent
    un pavillon de la Croix-Rouge, des pavillons francais, et (dit-on)
    un drap sur lequel a ete dessinee la croix du Christ. La decision est
    prise par l'amiral Dartige du Fournet, avant de quitter son escadre :
    "Il faut sauver ces Armeniens chretiens (combattants, femmes, enfants,
    vieillards) du joug des bachi-bouzouks, les Turcs, nos ennemis."

    Dans quelles conditions cette operation de sauvetage de grande ampleur
    s'est-elle deroulee ? Quel en fut le bilan ?

    L'accord demande aux autorites francaises de Paris tarde a venir,
    mais l'organisation du secours est bien en place et sera executee
    par l'amiral Darrieus du 11 au 13 septembre. Au total, le nombre
    d'Armeniens sauves par cette operation navale s'elève, très exactement,
    a 4 092, dont 8 blesses, repartis comme suit : le croiseur cuirasse
    amiral Charner : 347, le croiseur cuirasse Desaix : 303, le croiseur de
    3e classe D'Estrees : 459, le croiseur auxiliaire Foudre : 1 042, le
    croiseur de 1re classe Guichen : 1 941. Ces refugies vont etre places
    dans des camps situes a proximite de Port-Saïd, grâce a l'accord des
    autorites anglaises qui les accueillent le 14 septembre.

    Parmi ces refugies se trouvent des combattants dont certains
    rejoindront la legion armenienne du general francais Julien Dufieux,
    en 1920.

    Ces episodes de l'histoire navale de la France sont peu connus.

    Sont-ils commemores avec une intensite suffisante, a vos yeux ?

    Ils sont connus par la plupart des Armeniens, grâce notamment au roman
    Les 40 jours de Musa Dagh de Franz Werfel, paru en 1934. D'autres
    ouvrages evoquent ces evenements et les actes heroïques des marins
    francais. Les memoires des amiraux des escadres du Levant en font
    etat. Ce qu'on doit retenir des ecrits de ces derniers, c'est le
    decalage entre leurs actions de protection des chretiens d'Orient et
    le recul (pour ne pas dire l'abandon) de la diplomatie francaise en
    1922 et 1923 (desastreux traite de Lausanne). La France n'est plus dès
    lors "protectrice des chretiens d'Orient". La sortie de mon ouvrage
    a favorise plusieurs commemorations. Le 5 mai 2010, un hommage a ete
    rendu devant la tombe de l'amiral Dartige du Fournet a Saint-Chamassy
    (Dordogne) en presence du maire du village, du sous-prefet de la
    Dordogne et de descendants d'Armeniens sauves du mont Moïse. Le 15
    octobre 2010, a Toulon, une ceremonie d'hommage a ete rendue a la
    marine francaise par le secretaire d'Etat aux Anciens Combattants M.

    Hubert Falco, maire de Toulon, en presence de l'ambassadeur d'Armenie
    en France et d'autorites civiles et militaires, dont le prefet
    maritime. Une plaque est posee au musee de la Marine, près de
    l'Arsenal maritime.

    La flotte francaise au secours des Armeniens (1909-1915), Marines
    editions, 127 pages, 23,20 euros. ISBN : 978-2357430099

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