LA "NEUTRALITE" DANS LA NEGATION DE GENOCIDE : UNE REPONSE A PAM STEINER PAR HENRY THERIAULT
armenews.com
mardi 14 juin 2011
Henry Theriault (*) exprime son soutien a Harut Sassounian lorsqu'il
repondait le 7 avril 2011 a Pam Steiner. Se placant sur les plans
politiques, philosophoques et psychologiques, il montre les vices et
les limites du raisonnement de Steiner en l'analysant avec rigueur
et clarte, en quelques formules simples (' La question qui se pose
entre les Armeniens et les Turcs, c'est le Genocide Armenien et sa
negation', 'Pourquoi ne travaille-t-elle pas plutôt avec le nombre
croissant de Turcs qui reconnaissent la verite historique', 'Les
Armeniens n'ont-ils pas suffisamment perdu dans le Genocide ?').
Au detour d'une phrase, il se demande, comme nous, qu'est-ce qui
pousse l'heritière de cette lignee de diplomates a qui les Armeniens
doivent beaucoup, a prendre le parti des negationnistes Turcs.
Gilbert Beguian
La "Neutralite" dans la Negation de Genocide : Une Reponse a Pam
Steiner
Par : Henry Theriault
Lorsque Steiner se refuse a caracteriser les faits historiques comme
il convient, c'est-a-dire conformement a la definition du genocide des
Nations Unies, c'est d'après elle soutenir de facto les negationnistes.
A la lecture du compte rendu clair et vivant d'Harut Sassounian sur
la conference du 31 mars a l'Universite de Los Angeles-Californie,
je suis passe de l'espoir a l' inquieture. Dans cette conference
sont intervenus Hasan Cemal, petit-fils de Jemal, Pam Steiner,
arrière petite-fille de l'Ambassadeur Henry Morgenthau, et Richard
Hovannisisian, historien renomme de l'Armenie moderne a l'UCLA. Par
comparaison avec les declarations un peu moins directes qu'il avait
pu faire dans le passe, l'insistance d'Hasan Cemal a employer avec
precision le terme "genocide" en reference aux "evenements de 1915"
marque de sa part une avancee, et represente de reels progrès de la
Turquie et des Turcs sur cette question. Assurement, comme j'en avais
temoigne directement, ayant pris part a la Conference du 20 avril
2010 a Ankara sur le Genocide Armenien, de plus en plus de Turcs
veulent se confronter a leur histoire vis-a-vis des Armeniens sans
detour et honnetement. Au moins pour les Turcs qui veulent prendre
une position de principe sur cette question, le mot "genocide" n'est
plus tabou en Turquie.
Pam Steiner a l'UCLA
Mon optimisme, cependant, fut de courte duree. Si les idees d'Hasan
Cemal allaient de l'avant, celles de Pam Steiner semblent regresser.
Parce que, sciemment, ce qu'elle a depuis soutenu dans une reponse
a Sassounian dans le California Courier, elle evite en toute
circonstances l'emploi du terme "genocide" pour caracteriser le sort
des Armeniens dans l'Empire Ottoman. En lisant cela, il me semble
etre transporte une decennie en arrière au temps de l'embrouille et
des manipulations politiques du projet de Commission de Reconciliation
Turquie-Armenie et meme plus loin dans le temps, alors que la negation
du Genocide Armenien etait vraiment credible et où ceux engages pour
la verite menaient un combat difficile. En peu de mots - ou meme
en en omettant un seul- le Dr Steiner donne l'impression de vouloir
nous y faire retourner, et effacer des decennies de progrès sur cette
question, progrès qui dans les cinq annees ecoulees, ont commence a
porter quelques fruits en Turquie meme.
L'indignation armenienne face aux negations turques du Genocide
Armenien ne constitue pas un problème, c'est une reponse raisonnable
et ethique a la negation qui est, comme l'explique le grand theoricien
de la negation du genocide Israel Charny, une facon de l'approuver
et une nouvelle agression contre le groupe des victimes.
Le Dr Steiner rationnalise son refus d'employer le terme "genocide"
en declarant qu'elle se pose a present comme un "facilitateur"
dans un "litige" entre Armeniens et Turcs. De ce fait, elle se doit
rester neutre et d'eviter toute declaration qui pourrait denoter une
partialite en faveur de l'une des parties. Il y a quelques problèmes
dans cette analyse personnelle. D'abord, il est impossible d'etre
"neutre" dans le sens de ne pas choisir un camp lorsqu'on est confronte
a un desaccord entre un groupe qui maintient un point de vue vrai et
un groupe qui en maintient un faux. Comme d'autres et moi-meme l'avons
releve, le but de la negation du genocide est simplement d'eviter la
reconnaissance de la verite historique d'un genocide, d'introduire le
doute. C'est ce que Bradley Smith, un infâme negationniste de la Shoah,
essayait de faire avec par exemple son communique niant la Shoah dans
le bulletin des etudiants de l'Universite Duke. Une fois la negation
prise au serieux autant que les faits vrais, les negationnistes ont
gagne, parce que la reconnaissance est dès lors perpetuellement remise
en question. La negation gagne simplement dans la mesurer où elle
est une partie admise a discuter de genocide sur un pied d'egalite,
tandis que la verite ne triomphe que dès lors que la negation est
vaincue. La relation entre les negationnistes et ceux qui sont engages
dans la verite historique n'est donc pas symetrique, et une neutralite
symetrique telle que celle adoptee par le Dr Steiner ne cadre pas
correctement avec les faits. Par son refus de caracteriser les faits
historiques comme il convient, selon la definition du genocide des
Nations-Unies, elle apporte son soutien de facto aux negationnistes.
Dans ce sens, elle ne facilitera pas l'etablissement de relations
meilleures, mais facilitera (rendra plus aisee) au contraire, la
negation du Genocide Armenien. Je suis sûr que telle n'est pas son
intention, mais tel est l'effet de son approche.
Ce defaut de neutralite de l'appel du Dr Steiner est evident
lorsqu'elle appelle "les Armeniens a reconnaïtre que les 'Turcs' [qui]
ont souffert horriblement pendant la Première Guerre Mondiale...ont
besoin de reconnaissance pour cela et le meritent !'" et que les
Armeniens doivent '"envisager de reconnaître les souffrances des
Turcs avant de recevoir une reconnaissance pour les leurs !'" On peut
difficilement comprendre comment une personne vraiment neutre dans une
situation de violence historique unilaterale pourrait comprendre que
la neutralite consisterait a minimiser les souffrances d'un groupe
et accroître les souffrances de l'autre. Cela est specialement vrai
lorsque les souffrances du premier groupe etaient causees par l'autre
mais non vice-versa. Comment les souffrances turques resultant de
causes tout a fait distinctes, qui n'ont pas ete provoquees par
l'intermediaire des Armeniens, pourraient-elles etre envisagees pour
balancer les souffrances des Armeniens dues a la violence turque ?
Avec une telle logique, il n'y a pas de limite a la consideration
de ses propres souffrances que l'un des groupes attend de l'autre,
jusqu'a l'absurde. Et ce fait ne devrait pas etre masque ou relegue
au second plan par le recours a d'autres questions. Quelles que soient
les souffrances que les Armeniens et les Turcs aient endurees ce n'est
pas cela qui cree les difficultes dans les relations entre Armeniens
et Turcs. Quand le Dr Steiner suggère que les Armeniens devraient
tout de meme l'admettre, elle perd non seulement sa neutralite mais
elle dresse un obstacle considerable au progrès des relations entre
Armeniens et Turcs.
Ensuite, l'approche du Dr Steiner demontre un grand manque de respect
pour le nombre croissant de ceux qui en Turquie reconnaissent le
Genocide Armenien comme un fait historique, et leur fait du tort. Il
n'y a pas de "conflit armenien-turc" general. Au contraire, beaucoup
d'Armeniens et de Turcs voient les choses de la meme facon. Il y a
un desaccord entre d'une part beaucoup d'Armeniens, quelques Turcs,
et beaucoup de personnes parmi les tiers et d'autre part les Turcs
qui refusent de reconnaître le fait historique du Genocide Armenien.
Il ne s'agit pas d'un conflit ethnique, mais d'un conflit sur des
principes ethiques fondamentaux. Les parties ne se determinent pas sur
les origines ethniques mais sur leur perception de faits historiques.
Troisièmement, on se demande ce qui fait croire au Dr Steiner que la
clef de l'amelioration des relations armeniennes et turques depend
des Turcs qui se sont engages dans la negation du Genocide Armenien.
Pourquoi ne travaille-t-elle pas plutôt avec le nombre croissant de
Turcs qui reconnaissent la verite historique et ne s'engage-t-elle
pas dans une ethique d'amelioration de leur societe et d'amelioration
de leurs relations avec les Armeniens a l'interieur et a l'exterieur
des frontières de la Turquie ? Pourquoi ne pas travailler avec eux sur
une base d'amelioration des relations armeniennes et turques dans leur
ensemble - quelques uns parmi nous le font sans aucun doute. Ce sont
les Turcs progressistes qui font face a leur histoire qui pourraient
etre la veritable clef du futur des relations armeniennes et turques.
Quatrièmement, si le Dr Steiner a raison lorsqu'elle dit qu'il y a
quelque potentiel d'amelioration des relations dans le travail avec
les urcs qui nient le Genocide Armenien plutôt qu'avec les (ou en
plus des) Turcs qui le reconnaissent, deux points en decoulent encore.
D'abord, il semblerait crucial d'inclure les Turcs qui reconnaissent
le Genocide Armenien dans tout groupe de Turcs engage dans tout projet
de conciliation. Non seulement cela dispenserait les Armeniens de
la charge injustement mise sur eux de defendre la verite historique
elementaire, mais elle offrirait aussi aux Turcs resistants un
modèle de conduite et de pensee qui leur servirait positivement
tout en leur montrant qu'on peut a la fois maintenir l'identite et
la dignite turques et reconnaître le Genocide Armenien. En outre,
si le Dr Steiner soutient le statu quo entre negation et "conflit",
tout progrès devient en fait impossible sans que les Armeniens ne
sacrifient la verite historique pour appaiser les Turcs qui nient le
Genocide. Cela pourrait deboucher sur une relation de dompteur a dompte
entre les groupes, mais au detriment de la dignite et de la serenite
des Armeniens. Les Armeniens n'ont-ils pas suffisamment perdu dans
le Genocide ? Doivent-ils maintenant accepter cette charge ultime
pour permettre a beaucoup d'individus turcs qui se conduisent d'une
facon irresponsable psychologiquement et ethiquement de se sentir
mieux sans faire ce qu'il conviendrait de faire ? Cette approche est
dommageable et insultante vis a vis des Armeniens, a qui on dirait
une fois de plus de rentrer chez eux, sachant ce que l'etat turc et
la societe turque leur ont pris dans ce genocide, c'est a dire tout,
et qu'il n'ont plus qu'a sourire et arreter de se plaindre.
Mais cela suggère, finalement, qu'un tel processus serait bon
pour ceux qui nient le genocide. D'où le cinquième problème :
l'approche du Dr Steiner est dommageable a ceux qui persistent
dans la negation et acceptent de travailler avec elle. En effet,
cette approche est quelque part une "habilitation". En permettant a
la negation du genocide de figurer legitimement dans le processus
du dialogue, le Dr Steiner permet aux Turcs de nier le genocide,
les Turcs qui pour des raisons diverses ne peuvent pas ou ne veulent
pas faire face a leur histoire. Une approche bien meilleure serait
de mettre a profit ce processus pour aider ces Turcs a depasser leur
problème. Ils nient peut-etre le genocide du fait de leur perception
d'une identite nationale affaiblie en lutte, tandis que la Turquie est
passee du rang de puissance de premier ordre a celui de puissance
secondaire, inferieure aux USA, la Russie, la Chine, le Japon,
la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et beaucoup d'autres,
une puissance qui cède du terrain depuis plus de un siècle. Le
processus de dialogue et de reconciliation, en particulier s'il
impliquait des Turcs qui reconnaissent le Genocide, pourrait aider ces
negationnistes a depasser leurs blocages psychologiques vis a vis de
la reconnaissance du Genocide Armenien, a leur apprendre comment etre
fiers de leur identite tout en reconnaissant ses aspects negatifs -
et bien sûr construire cette identite de facon positive, precisement
en reconnaissant et en gerant ses aspects negatifs, en sorte que sa
valeur ne repose plus sur la negation et l'illusion mais sur une vertu
qu'ils ont eux-memes atteinte. Autrement, ces negationnistes sortiront
du processus comme ils y sont entres, vivant dans un monde fragile et
precaire de negation et de crainte de la verite. Quoiqu'ils puissent
penser de la facon dont le Dr Steiner les aidera a soutenir leur
front negationniste, ils ne tireront aucun benefice d'un tel processus.
Il y a une dimension ethique a cette question. L'un des grands
philosophe de l'ethique de la tradition philosophique occidentale,
Emmanuel kant, maintenait que tout etre rationnel a la responsabilite
de traiter les autres etres rationnels comme des fins en eux-memes
et non simplement comme des moyens a nos propres fins. C'est l'une
des bases des droits de l'homme moderne. En consequence de quoi,
Kant soutenait que mentir aux autres est toujours une erreur, meme
lorsqu'on le fait pour epargner leurs sentiments, les mettre plus
a l'aise, etc. Les gens ont la capacite de faire face a la verite
de facon responsable et entière, et la leur cacher est de fait une
atteinte a leur dignite, les reduire a l'etat de personne inferieure,
les juger incapables de vivre comme une personne. On peut appliquer ce
proncipe aux negationnistes du genocide. Noius avons la responsabilite
de leur dire la verite. Quand le Dr Steiner passe sous silence sa
reconnaissance personnelle du Genocide parce que cela offenserait
ou isolerait les Turcs, elle les traite en realite come des etres
inferieursincapables de penser et d'agir comme des personnes. Cela
n'est pas une base pour l'amelioration des relations armenienne
et turque ou l'avenir des negationnistes comme etres humains. Les
negationnistes du genocide ne sont pas des enfants, ce sont des gens,
et meritent d'etre traites comme des personnes. Rapprochement et
conciliation serieux doivent etre abordes avec la reconnaissance des
faits tels qu'ils existent, par respect pour les parties concernees.
Cela, bien sûr, n'est pas vrai seulement pour les Turcs. J'ai ete
eleve comme citoyen des Etats-Unis et forme comme une jeune personne
dans le chauvinisme simpliste americain. Je n'avais aucun interet a
reconnaître les points negatifs de l'identite et de l'histoire des
USA - genocides de l'Amerique naissante, racisme, guerres d'agression,
conquetes imperiales, etc. Il y a beaucoup dans la societe americaine
qui m'a pousse a continuer dans cette attitude, mais heureusement au
cours de mes etudes du deuxième cycle et superieures, j'ai rencontre
des gens, lu des livres et traverse des experiences qui m'ont force
a confronter la realite telle qu'elle eest vraiment, le bon et le
mauvais cîte des Etats-Unis, avec un oeil a toute epreuve. Le processus
n'etait pas facile, mais il a ete, finalement, très productif et m'a
aide a devenir une personne qui je l'espère contribue a ameliorer
les Etats-Unis plutôt qu'a entretenir ses erreurs.
Je conclus avec une reflexion finale pour les Armeniens. Il ne fait
aucun doute que l'Ambassadeur Morgenthau merite d'etre loue pour ce
qu'il a fait pour les Armeniens pendant le Genocide. Il n'y a pas de
doute non plus que les membres de sa famille ont continue a soutenir
positivement les Armeniens depuis l'epoque du Genocide. Mais cela ne
veut pas dire que les Armeniens doivent accepter inconditionnellement
tout et n'importe quoi d'un membre de la famille Morgenthau. Nous
avons le droit de defier et de contester l'approche du Dr Steiner si on
choisit de le faire, et ses liens familiaux ne doivent pas influer sur
notre evaluation de ses vues et de ses actions.En realite, bien sûr,
le Dr Steiner et d'autres comme elle sont membres de l'elite au pouvoir
aux USA et ont accès aux ressources, a la legitimite et aux relations
que la plupart des Armeniens - specialement les chercheurs armeniens et
les militants dont je suis - n'ont pas. Nous ne sommes jamais invites
a conduire des projets a Harvard, nous ne pouvons faire entendre
notre voix a un niveau eleve des cercles politiques où sont prises
les decisions. Nous devons en etre conscients et rester vigilants. La
position n'est pas un substitut a la droiture ethique, et nous devons
resister a la tendance entree en nous par des siècles de violence,
de vulnerabilite, de tuerie, de viol et de destruction pour acceder
sans conditions aux demandes d'un quelconque pouvoir qui nous offre
un vague espoir de sauvetage, de soutien, de futur. Quel que soit le
niveau du sentiment de desespoir de la Republique Armenienne vis-a-vis
de la Turquie, beaucoup d'Armeniens a travers le monde luttent encore,
heritiers du Genocide, et nous devons affronter la realite historique
nous aussi et ne pas la nier : lorsque nous avons fait confiance aux
elites au pouvoir aux USA, en Turquie et a celles d'autres pays et
societes, nous nous sommes nous memes presqu'inevitablement prepares
a porter atteinte et meme a detruire.
Si le Dr Steiner modifie son approche pour le raprochement pour eviter
tout danger ou dommage aux Armeniens, ce que j'ai souligne plus haut,
alors nous avons toutes les raisons de travailler avec elle. Mais
si elle maintient dans ses positions, les aspects qui creent des
problèmes, nous serons obliges de reconnaître les consequences
probablement negatives d'un dialogue selon ces termes.
(*) Henry C. Theriault a obtenu son doctorat en philosophie en
1999 de l'Universite du Massachusetts avec une specialisation en
philosophie sociame et politique. Il est actuellement professeur
et occue la chaire du departement de philosophie de l'UNiversite
d'Etat de Worcester, où il a enseigne depuis 1998. Depuis 2007, il a
participe comme coediteur en chef du journal revu par les pairs des
Etudes et la Prevention du Genocide. Ses recherches sont concentrees
sur l'approche philosophique des questions liees au genocide, en
particulier la negation du genocide, la justice a long terme, et le
rôle de la violence contre les femmes dans les genocides ? Il a donne
beaucoup de conferences aux USA et dans le monde.
http://www.armenianweekly.com/author/henry-theriault/
Traduction Gilbert Beguian
From: A. Papazian
armenews.com
mardi 14 juin 2011
Henry Theriault (*) exprime son soutien a Harut Sassounian lorsqu'il
repondait le 7 avril 2011 a Pam Steiner. Se placant sur les plans
politiques, philosophoques et psychologiques, il montre les vices et
les limites du raisonnement de Steiner en l'analysant avec rigueur
et clarte, en quelques formules simples (' La question qui se pose
entre les Armeniens et les Turcs, c'est le Genocide Armenien et sa
negation', 'Pourquoi ne travaille-t-elle pas plutôt avec le nombre
croissant de Turcs qui reconnaissent la verite historique', 'Les
Armeniens n'ont-ils pas suffisamment perdu dans le Genocide ?').
Au detour d'une phrase, il se demande, comme nous, qu'est-ce qui
pousse l'heritière de cette lignee de diplomates a qui les Armeniens
doivent beaucoup, a prendre le parti des negationnistes Turcs.
Gilbert Beguian
La "Neutralite" dans la Negation de Genocide : Une Reponse a Pam
Steiner
Par : Henry Theriault
Lorsque Steiner se refuse a caracteriser les faits historiques comme
il convient, c'est-a-dire conformement a la definition du genocide des
Nations Unies, c'est d'après elle soutenir de facto les negationnistes.
A la lecture du compte rendu clair et vivant d'Harut Sassounian sur
la conference du 31 mars a l'Universite de Los Angeles-Californie,
je suis passe de l'espoir a l' inquieture. Dans cette conference
sont intervenus Hasan Cemal, petit-fils de Jemal, Pam Steiner,
arrière petite-fille de l'Ambassadeur Henry Morgenthau, et Richard
Hovannisisian, historien renomme de l'Armenie moderne a l'UCLA. Par
comparaison avec les declarations un peu moins directes qu'il avait
pu faire dans le passe, l'insistance d'Hasan Cemal a employer avec
precision le terme "genocide" en reference aux "evenements de 1915"
marque de sa part une avancee, et represente de reels progrès de la
Turquie et des Turcs sur cette question. Assurement, comme j'en avais
temoigne directement, ayant pris part a la Conference du 20 avril
2010 a Ankara sur le Genocide Armenien, de plus en plus de Turcs
veulent se confronter a leur histoire vis-a-vis des Armeniens sans
detour et honnetement. Au moins pour les Turcs qui veulent prendre
une position de principe sur cette question, le mot "genocide" n'est
plus tabou en Turquie.
Pam Steiner a l'UCLA
Mon optimisme, cependant, fut de courte duree. Si les idees d'Hasan
Cemal allaient de l'avant, celles de Pam Steiner semblent regresser.
Parce que, sciemment, ce qu'elle a depuis soutenu dans une reponse
a Sassounian dans le California Courier, elle evite en toute
circonstances l'emploi du terme "genocide" pour caracteriser le sort
des Armeniens dans l'Empire Ottoman. En lisant cela, il me semble
etre transporte une decennie en arrière au temps de l'embrouille et
des manipulations politiques du projet de Commission de Reconciliation
Turquie-Armenie et meme plus loin dans le temps, alors que la negation
du Genocide Armenien etait vraiment credible et où ceux engages pour
la verite menaient un combat difficile. En peu de mots - ou meme
en en omettant un seul- le Dr Steiner donne l'impression de vouloir
nous y faire retourner, et effacer des decennies de progrès sur cette
question, progrès qui dans les cinq annees ecoulees, ont commence a
porter quelques fruits en Turquie meme.
L'indignation armenienne face aux negations turques du Genocide
Armenien ne constitue pas un problème, c'est une reponse raisonnable
et ethique a la negation qui est, comme l'explique le grand theoricien
de la negation du genocide Israel Charny, une facon de l'approuver
et une nouvelle agression contre le groupe des victimes.
Le Dr Steiner rationnalise son refus d'employer le terme "genocide"
en declarant qu'elle se pose a present comme un "facilitateur"
dans un "litige" entre Armeniens et Turcs. De ce fait, elle se doit
rester neutre et d'eviter toute declaration qui pourrait denoter une
partialite en faveur de l'une des parties. Il y a quelques problèmes
dans cette analyse personnelle. D'abord, il est impossible d'etre
"neutre" dans le sens de ne pas choisir un camp lorsqu'on est confronte
a un desaccord entre un groupe qui maintient un point de vue vrai et
un groupe qui en maintient un faux. Comme d'autres et moi-meme l'avons
releve, le but de la negation du genocide est simplement d'eviter la
reconnaissance de la verite historique d'un genocide, d'introduire le
doute. C'est ce que Bradley Smith, un infâme negationniste de la Shoah,
essayait de faire avec par exemple son communique niant la Shoah dans
le bulletin des etudiants de l'Universite Duke. Une fois la negation
prise au serieux autant que les faits vrais, les negationnistes ont
gagne, parce que la reconnaissance est dès lors perpetuellement remise
en question. La negation gagne simplement dans la mesurer où elle
est une partie admise a discuter de genocide sur un pied d'egalite,
tandis que la verite ne triomphe que dès lors que la negation est
vaincue. La relation entre les negationnistes et ceux qui sont engages
dans la verite historique n'est donc pas symetrique, et une neutralite
symetrique telle que celle adoptee par le Dr Steiner ne cadre pas
correctement avec les faits. Par son refus de caracteriser les faits
historiques comme il convient, selon la definition du genocide des
Nations-Unies, elle apporte son soutien de facto aux negationnistes.
Dans ce sens, elle ne facilitera pas l'etablissement de relations
meilleures, mais facilitera (rendra plus aisee) au contraire, la
negation du Genocide Armenien. Je suis sûr que telle n'est pas son
intention, mais tel est l'effet de son approche.
Ce defaut de neutralite de l'appel du Dr Steiner est evident
lorsqu'elle appelle "les Armeniens a reconnaïtre que les 'Turcs' [qui]
ont souffert horriblement pendant la Première Guerre Mondiale...ont
besoin de reconnaissance pour cela et le meritent !'" et que les
Armeniens doivent '"envisager de reconnaître les souffrances des
Turcs avant de recevoir une reconnaissance pour les leurs !'" On peut
difficilement comprendre comment une personne vraiment neutre dans une
situation de violence historique unilaterale pourrait comprendre que
la neutralite consisterait a minimiser les souffrances d'un groupe
et accroître les souffrances de l'autre. Cela est specialement vrai
lorsque les souffrances du premier groupe etaient causees par l'autre
mais non vice-versa. Comment les souffrances turques resultant de
causes tout a fait distinctes, qui n'ont pas ete provoquees par
l'intermediaire des Armeniens, pourraient-elles etre envisagees pour
balancer les souffrances des Armeniens dues a la violence turque ?
Avec une telle logique, il n'y a pas de limite a la consideration
de ses propres souffrances que l'un des groupes attend de l'autre,
jusqu'a l'absurde. Et ce fait ne devrait pas etre masque ou relegue
au second plan par le recours a d'autres questions. Quelles que soient
les souffrances que les Armeniens et les Turcs aient endurees ce n'est
pas cela qui cree les difficultes dans les relations entre Armeniens
et Turcs. Quand le Dr Steiner suggère que les Armeniens devraient
tout de meme l'admettre, elle perd non seulement sa neutralite mais
elle dresse un obstacle considerable au progrès des relations entre
Armeniens et Turcs.
Ensuite, l'approche du Dr Steiner demontre un grand manque de respect
pour le nombre croissant de ceux qui en Turquie reconnaissent le
Genocide Armenien comme un fait historique, et leur fait du tort. Il
n'y a pas de "conflit armenien-turc" general. Au contraire, beaucoup
d'Armeniens et de Turcs voient les choses de la meme facon. Il y a
un desaccord entre d'une part beaucoup d'Armeniens, quelques Turcs,
et beaucoup de personnes parmi les tiers et d'autre part les Turcs
qui refusent de reconnaître le fait historique du Genocide Armenien.
Il ne s'agit pas d'un conflit ethnique, mais d'un conflit sur des
principes ethiques fondamentaux. Les parties ne se determinent pas sur
les origines ethniques mais sur leur perception de faits historiques.
Troisièmement, on se demande ce qui fait croire au Dr Steiner que la
clef de l'amelioration des relations armeniennes et turques depend
des Turcs qui se sont engages dans la negation du Genocide Armenien.
Pourquoi ne travaille-t-elle pas plutôt avec le nombre croissant de
Turcs qui reconnaissent la verite historique et ne s'engage-t-elle
pas dans une ethique d'amelioration de leur societe et d'amelioration
de leurs relations avec les Armeniens a l'interieur et a l'exterieur
des frontières de la Turquie ? Pourquoi ne pas travailler avec eux sur
une base d'amelioration des relations armeniennes et turques dans leur
ensemble - quelques uns parmi nous le font sans aucun doute. Ce sont
les Turcs progressistes qui font face a leur histoire qui pourraient
etre la veritable clef du futur des relations armeniennes et turques.
Quatrièmement, si le Dr Steiner a raison lorsqu'elle dit qu'il y a
quelque potentiel d'amelioration des relations dans le travail avec
les urcs qui nient le Genocide Armenien plutôt qu'avec les (ou en
plus des) Turcs qui le reconnaissent, deux points en decoulent encore.
D'abord, il semblerait crucial d'inclure les Turcs qui reconnaissent
le Genocide Armenien dans tout groupe de Turcs engage dans tout projet
de conciliation. Non seulement cela dispenserait les Armeniens de
la charge injustement mise sur eux de defendre la verite historique
elementaire, mais elle offrirait aussi aux Turcs resistants un
modèle de conduite et de pensee qui leur servirait positivement
tout en leur montrant qu'on peut a la fois maintenir l'identite et
la dignite turques et reconnaître le Genocide Armenien. En outre,
si le Dr Steiner soutient le statu quo entre negation et "conflit",
tout progrès devient en fait impossible sans que les Armeniens ne
sacrifient la verite historique pour appaiser les Turcs qui nient le
Genocide. Cela pourrait deboucher sur une relation de dompteur a dompte
entre les groupes, mais au detriment de la dignite et de la serenite
des Armeniens. Les Armeniens n'ont-ils pas suffisamment perdu dans
le Genocide ? Doivent-ils maintenant accepter cette charge ultime
pour permettre a beaucoup d'individus turcs qui se conduisent d'une
facon irresponsable psychologiquement et ethiquement de se sentir
mieux sans faire ce qu'il conviendrait de faire ? Cette approche est
dommageable et insultante vis a vis des Armeniens, a qui on dirait
une fois de plus de rentrer chez eux, sachant ce que l'etat turc et
la societe turque leur ont pris dans ce genocide, c'est a dire tout,
et qu'il n'ont plus qu'a sourire et arreter de se plaindre.
Mais cela suggère, finalement, qu'un tel processus serait bon
pour ceux qui nient le genocide. D'où le cinquième problème :
l'approche du Dr Steiner est dommageable a ceux qui persistent
dans la negation et acceptent de travailler avec elle. En effet,
cette approche est quelque part une "habilitation". En permettant a
la negation du genocide de figurer legitimement dans le processus
du dialogue, le Dr Steiner permet aux Turcs de nier le genocide,
les Turcs qui pour des raisons diverses ne peuvent pas ou ne veulent
pas faire face a leur histoire. Une approche bien meilleure serait
de mettre a profit ce processus pour aider ces Turcs a depasser leur
problème. Ils nient peut-etre le genocide du fait de leur perception
d'une identite nationale affaiblie en lutte, tandis que la Turquie est
passee du rang de puissance de premier ordre a celui de puissance
secondaire, inferieure aux USA, la Russie, la Chine, le Japon,
la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et beaucoup d'autres,
une puissance qui cède du terrain depuis plus de un siècle. Le
processus de dialogue et de reconciliation, en particulier s'il
impliquait des Turcs qui reconnaissent le Genocide, pourrait aider ces
negationnistes a depasser leurs blocages psychologiques vis a vis de
la reconnaissance du Genocide Armenien, a leur apprendre comment etre
fiers de leur identite tout en reconnaissant ses aspects negatifs -
et bien sûr construire cette identite de facon positive, precisement
en reconnaissant et en gerant ses aspects negatifs, en sorte que sa
valeur ne repose plus sur la negation et l'illusion mais sur une vertu
qu'ils ont eux-memes atteinte. Autrement, ces negationnistes sortiront
du processus comme ils y sont entres, vivant dans un monde fragile et
precaire de negation et de crainte de la verite. Quoiqu'ils puissent
penser de la facon dont le Dr Steiner les aidera a soutenir leur
front negationniste, ils ne tireront aucun benefice d'un tel processus.
Il y a une dimension ethique a cette question. L'un des grands
philosophe de l'ethique de la tradition philosophique occidentale,
Emmanuel kant, maintenait que tout etre rationnel a la responsabilite
de traiter les autres etres rationnels comme des fins en eux-memes
et non simplement comme des moyens a nos propres fins. C'est l'une
des bases des droits de l'homme moderne. En consequence de quoi,
Kant soutenait que mentir aux autres est toujours une erreur, meme
lorsqu'on le fait pour epargner leurs sentiments, les mettre plus
a l'aise, etc. Les gens ont la capacite de faire face a la verite
de facon responsable et entière, et la leur cacher est de fait une
atteinte a leur dignite, les reduire a l'etat de personne inferieure,
les juger incapables de vivre comme une personne. On peut appliquer ce
proncipe aux negationnistes du genocide. Noius avons la responsabilite
de leur dire la verite. Quand le Dr Steiner passe sous silence sa
reconnaissance personnelle du Genocide parce que cela offenserait
ou isolerait les Turcs, elle les traite en realite come des etres
inferieursincapables de penser et d'agir comme des personnes. Cela
n'est pas une base pour l'amelioration des relations armenienne
et turque ou l'avenir des negationnistes comme etres humains. Les
negationnistes du genocide ne sont pas des enfants, ce sont des gens,
et meritent d'etre traites comme des personnes. Rapprochement et
conciliation serieux doivent etre abordes avec la reconnaissance des
faits tels qu'ils existent, par respect pour les parties concernees.
Cela, bien sûr, n'est pas vrai seulement pour les Turcs. J'ai ete
eleve comme citoyen des Etats-Unis et forme comme une jeune personne
dans le chauvinisme simpliste americain. Je n'avais aucun interet a
reconnaître les points negatifs de l'identite et de l'histoire des
USA - genocides de l'Amerique naissante, racisme, guerres d'agression,
conquetes imperiales, etc. Il y a beaucoup dans la societe americaine
qui m'a pousse a continuer dans cette attitude, mais heureusement au
cours de mes etudes du deuxième cycle et superieures, j'ai rencontre
des gens, lu des livres et traverse des experiences qui m'ont force
a confronter la realite telle qu'elle eest vraiment, le bon et le
mauvais cîte des Etats-Unis, avec un oeil a toute epreuve. Le processus
n'etait pas facile, mais il a ete, finalement, très productif et m'a
aide a devenir une personne qui je l'espère contribue a ameliorer
les Etats-Unis plutôt qu'a entretenir ses erreurs.
Je conclus avec une reflexion finale pour les Armeniens. Il ne fait
aucun doute que l'Ambassadeur Morgenthau merite d'etre loue pour ce
qu'il a fait pour les Armeniens pendant le Genocide. Il n'y a pas de
doute non plus que les membres de sa famille ont continue a soutenir
positivement les Armeniens depuis l'epoque du Genocide. Mais cela ne
veut pas dire que les Armeniens doivent accepter inconditionnellement
tout et n'importe quoi d'un membre de la famille Morgenthau. Nous
avons le droit de defier et de contester l'approche du Dr Steiner si on
choisit de le faire, et ses liens familiaux ne doivent pas influer sur
notre evaluation de ses vues et de ses actions.En realite, bien sûr,
le Dr Steiner et d'autres comme elle sont membres de l'elite au pouvoir
aux USA et ont accès aux ressources, a la legitimite et aux relations
que la plupart des Armeniens - specialement les chercheurs armeniens et
les militants dont je suis - n'ont pas. Nous ne sommes jamais invites
a conduire des projets a Harvard, nous ne pouvons faire entendre
notre voix a un niveau eleve des cercles politiques où sont prises
les decisions. Nous devons en etre conscients et rester vigilants. La
position n'est pas un substitut a la droiture ethique, et nous devons
resister a la tendance entree en nous par des siècles de violence,
de vulnerabilite, de tuerie, de viol et de destruction pour acceder
sans conditions aux demandes d'un quelconque pouvoir qui nous offre
un vague espoir de sauvetage, de soutien, de futur. Quel que soit le
niveau du sentiment de desespoir de la Republique Armenienne vis-a-vis
de la Turquie, beaucoup d'Armeniens a travers le monde luttent encore,
heritiers du Genocide, et nous devons affronter la realite historique
nous aussi et ne pas la nier : lorsque nous avons fait confiance aux
elites au pouvoir aux USA, en Turquie et a celles d'autres pays et
societes, nous nous sommes nous memes presqu'inevitablement prepares
a porter atteinte et meme a detruire.
Si le Dr Steiner modifie son approche pour le raprochement pour eviter
tout danger ou dommage aux Armeniens, ce que j'ai souligne plus haut,
alors nous avons toutes les raisons de travailler avec elle. Mais
si elle maintient dans ses positions, les aspects qui creent des
problèmes, nous serons obliges de reconnaître les consequences
probablement negatives d'un dialogue selon ces termes.
(*) Henry C. Theriault a obtenu son doctorat en philosophie en
1999 de l'Universite du Massachusetts avec une specialisation en
philosophie sociame et politique. Il est actuellement professeur
et occue la chaire du departement de philosophie de l'UNiversite
d'Etat de Worcester, où il a enseigne depuis 1998. Depuis 2007, il a
participe comme coediteur en chef du journal revu par les pairs des
Etudes et la Prevention du Genocide. Ses recherches sont concentrees
sur l'approche philosophique des questions liees au genocide, en
particulier la negation du genocide, la justice a long terme, et le
rôle de la violence contre les femmes dans les genocides ? Il a donne
beaucoup de conferences aux USA et dans le monde.
http://www.armenianweekly.com/author/henry-theriault/
Traduction Gilbert Beguian
From: A. Papazian