Le Monde, France
1 mai 2011 dimanche
A Istanbul, la mémoire en images du génocide arménien
Le photographe Antoine Agoudjian expose " Les yeux brûlants ", travail
sur les communautés rescapées des massacres de 1915 et 1916
Sur des murs immaculés sont disposées quatre-vingt-seize photographies
en noir et blanc, une pour chaque année écoulée depuis le
déclenchement du génocide des Arméniens de l'Empire ottoman, le 24
avril 1915.
Le parcours de l'exposition " Les Yeux brûlants ", inaugurée à
Istanbul le 26 avril, marque cinq étapes géographiques, symbolisant
les cinq anciens vilayets décrétés arméniens par l'empire : Van,
Erzurum, Bitlis, Diyarbakir et Harput, des provinces aujourd'hui
situées dans l'est de la Turquie. Des régions marquées par le crime,
que le photographe Antoine Agoudjian, petit-fils de rescapés de 1915,
explore depuis une quinzaine d'années.
Ses voyages l'ont mené dans toutes les communautés arméniennes
disséminées au Moyen-Orient, mais aussi sur les chemins de la
déportation et des massacres, de l'ouest de la Turquie jusqu'aux
déserts syriens de Deir es-Zor, à la recherche d'une mémoire niée,
refoulée, mais pas totalement effacée. Cette mémoire du génocide,
inscrite dans l'ADN des survivants, est gravée sur les négatifs
d'Antoine Agoudjian. " La négation, c'est ce qui rend le génocide
encore actuel, et la vérité de la photographie aide à faire parler les
consciences ", explique l'artiste, à Istanbul.
Antoine Agoudjian a réalisé lui-même chacun des tirages en grand
format pour cette exposition, qui se tient à Istanbul jusqu'au 5 juin
et sera présentée à Paris en septembre et en octobre, à la galerie
Matignon. Son travail, tout en jeux de lumière et de contrastes,
invite à une exploration des tourments de la culture et de l'me
arménienne.
Les fantômes des victimes du génocide hantent les villages d'Anatolie,
les ruines d'églises et les communautés pétrifiées. Les ciels sont
lourds. Il peint la déportation, l'exode, le martyre des Arméniens.
Jusqu'aux funérailles du journaliste Hrant Dink, assassiné en 2007,
auxquelles il assiste. La mort habite chaque survivant. Mais des
vestiges surgit un halo d'espoir.
Surtout, en faisant découvrir " Les Yeux brûlants " au public turc, le
photographe réalise bien plus qu'une exposition. Il apporte sa
contribution artistique à un processus d'ouverture, en cours depuis
quelques années. Le génocide reste un tabou historique pour l'Etat.
Mais la société civile turque a entamé le travail de mémoire. "
L'histoire s'accélère depuis la mort de Hrant Dink, estime
l'intellectuel turc Ahmet Insel. Cette exposition s'inscrit dans ce
contexte. Nous avons déjà pu voir en Turquie plusieurs manifestations
culturelles sur la question arménienne. Osman Köker avait organisé une
exposition très importante avec les fonds d'un collectionneur de
cartes postales anciennes, qui montrait la réalité de la présence des
Arméniens avant 1915 et de leur disparition. "
Le journal de la communauté arménienne fondé par Hrant Dink, Agos,
avait publié une série de photos d'Agoudjian. Quelques mois plus tard,
une rencontre à Istanbul avec Osman Kavala, homme d'affaires et
mécène, l'un des rouages-clés du dialogue culturel entre Turcs et
Arméniens, scelle l'idée d'une exposition, au Depo, un centre culturel
à Istanbul. Pari tenu.
Le recueil des photographies d'Agoudjian, publié dans la collection
Photo Poche (Les Yeux brûlants, Actes Sud, 2006), sort lui aussi en
Turquie, en édition bilingue, turc et arménien, dans la collection
d'ouvrages historiques lancée par Osman Köker. Pour le photographe,
exposer en Turquie est également le résultat d'un cheminement
personnel. " Beaucoup trouvaient l'idée loufoque, voire inconsciente.
Mais aujourd'hui, je prends conscience que cette histoire n'est pas
que l'affaire des Arméniens. C'est le sujet de tous les gens qui ont
soif de vérité ", note-t-il.
Les rencontres à Istanbul, autour des commémorations du génocide,
organisées par quelques intellectuels et militants des droits de
l'homme, le 24 avril, ont conforté le Français Antoine Agoudjian dans
sa conviction. " J'espère que cela ouvrira la voie à d'autres
Arméniens de la diaspora qui ont envie de venir travailler ici ",
ajoute-t-il. Mais le sujet reste extrêmement sensible en Turquie.
Quelques militants ultranationalistes ont tenté de s'inviter au
vernissage de l'exposition. Ils ont été tranquillement maintenus à
distance par la police.
Guillaume Perrier
" Les Yeux brûlants ", DEPO, Tütün Deposu Lüleci Hendek Caddesi n° 12,
Tophane 34425 Istanbul. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 11
heures à 19 heures.Entrée gratuite. depoistanbul.net/en
From: A. Papazian
1 mai 2011 dimanche
A Istanbul, la mémoire en images du génocide arménien
Le photographe Antoine Agoudjian expose " Les yeux brûlants ", travail
sur les communautés rescapées des massacres de 1915 et 1916
Sur des murs immaculés sont disposées quatre-vingt-seize photographies
en noir et blanc, une pour chaque année écoulée depuis le
déclenchement du génocide des Arméniens de l'Empire ottoman, le 24
avril 1915.
Le parcours de l'exposition " Les Yeux brûlants ", inaugurée à
Istanbul le 26 avril, marque cinq étapes géographiques, symbolisant
les cinq anciens vilayets décrétés arméniens par l'empire : Van,
Erzurum, Bitlis, Diyarbakir et Harput, des provinces aujourd'hui
situées dans l'est de la Turquie. Des régions marquées par le crime,
que le photographe Antoine Agoudjian, petit-fils de rescapés de 1915,
explore depuis une quinzaine d'années.
Ses voyages l'ont mené dans toutes les communautés arméniennes
disséminées au Moyen-Orient, mais aussi sur les chemins de la
déportation et des massacres, de l'ouest de la Turquie jusqu'aux
déserts syriens de Deir es-Zor, à la recherche d'une mémoire niée,
refoulée, mais pas totalement effacée. Cette mémoire du génocide,
inscrite dans l'ADN des survivants, est gravée sur les négatifs
d'Antoine Agoudjian. " La négation, c'est ce qui rend le génocide
encore actuel, et la vérité de la photographie aide à faire parler les
consciences ", explique l'artiste, à Istanbul.
Antoine Agoudjian a réalisé lui-même chacun des tirages en grand
format pour cette exposition, qui se tient à Istanbul jusqu'au 5 juin
et sera présentée à Paris en septembre et en octobre, à la galerie
Matignon. Son travail, tout en jeux de lumière et de contrastes,
invite à une exploration des tourments de la culture et de l'me
arménienne.
Les fantômes des victimes du génocide hantent les villages d'Anatolie,
les ruines d'églises et les communautés pétrifiées. Les ciels sont
lourds. Il peint la déportation, l'exode, le martyre des Arméniens.
Jusqu'aux funérailles du journaliste Hrant Dink, assassiné en 2007,
auxquelles il assiste. La mort habite chaque survivant. Mais des
vestiges surgit un halo d'espoir.
Surtout, en faisant découvrir " Les Yeux brûlants " au public turc, le
photographe réalise bien plus qu'une exposition. Il apporte sa
contribution artistique à un processus d'ouverture, en cours depuis
quelques années. Le génocide reste un tabou historique pour l'Etat.
Mais la société civile turque a entamé le travail de mémoire. "
L'histoire s'accélère depuis la mort de Hrant Dink, estime
l'intellectuel turc Ahmet Insel. Cette exposition s'inscrit dans ce
contexte. Nous avons déjà pu voir en Turquie plusieurs manifestations
culturelles sur la question arménienne. Osman Köker avait organisé une
exposition très importante avec les fonds d'un collectionneur de
cartes postales anciennes, qui montrait la réalité de la présence des
Arméniens avant 1915 et de leur disparition. "
Le journal de la communauté arménienne fondé par Hrant Dink, Agos,
avait publié une série de photos d'Agoudjian. Quelques mois plus tard,
une rencontre à Istanbul avec Osman Kavala, homme d'affaires et
mécène, l'un des rouages-clés du dialogue culturel entre Turcs et
Arméniens, scelle l'idée d'une exposition, au Depo, un centre culturel
à Istanbul. Pari tenu.
Le recueil des photographies d'Agoudjian, publié dans la collection
Photo Poche (Les Yeux brûlants, Actes Sud, 2006), sort lui aussi en
Turquie, en édition bilingue, turc et arménien, dans la collection
d'ouvrages historiques lancée par Osman Köker. Pour le photographe,
exposer en Turquie est également le résultat d'un cheminement
personnel. " Beaucoup trouvaient l'idée loufoque, voire inconsciente.
Mais aujourd'hui, je prends conscience que cette histoire n'est pas
que l'affaire des Arméniens. C'est le sujet de tous les gens qui ont
soif de vérité ", note-t-il.
Les rencontres à Istanbul, autour des commémorations du génocide,
organisées par quelques intellectuels et militants des droits de
l'homme, le 24 avril, ont conforté le Français Antoine Agoudjian dans
sa conviction. " J'espère que cela ouvrira la voie à d'autres
Arméniens de la diaspora qui ont envie de venir travailler ici ",
ajoute-t-il. Mais le sujet reste extrêmement sensible en Turquie.
Quelques militants ultranationalistes ont tenté de s'inviter au
vernissage de l'exposition. Ils ont été tranquillement maintenus à
distance par la police.
Guillaume Perrier
" Les Yeux brûlants ", DEPO, Tütün Deposu Lüleci Hendek Caddesi n° 12,
Tophane 34425 Istanbul. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 11
heures à 19 heures.Entrée gratuite. depoistanbul.net/en
From: A. Papazian