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Pietro Kuciukian : Reflexions Sur Le Negationnisme

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    PIETRO KUCIUKIAN : REFLEXIONS SUR LE NEGATIONNISME

    Source/Lien : Armenian Trends - Mes Armenies
    Publie le : 10-05-2011

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    invite a lire cette information traduite par Georges Festa et publiee
    sur le site 'Armenian Trends - Mes Armenies' le 2 mai 2011.

    Concernant la proposition Pacifici pour une loi qui reprime le
    negationnisme (1), Stefano Levi Della Torre ecrit : " La faussete
    par voie legislative suppose une verite par voie legislative ; il
    s'agit la d'un thème familier aux inquisitions et aux totalitarismes
    et desagreable pour la democratie et pour la recherche scientifique
    [...] Impossible de deleguer a une loi un combat culturel. " (2)
    Argumentation de la plus haute importance qui, outre le fait que
    j'y adhère totalement, marque l'articulation et la complexite du
    debat interne a la communaute juive et temoigne de la richesse des
    reflexions menees sur le thème de la memoire de la Shoah. Le combat
    contre le negationnisme doit etre mene sur le terrain de la recherche
    et de la culture. Les institutions, Etats et gouvernements, demeurent
    rarement fidèles aux principes de la democratie en tant que telle et
    aux choix constitutionnels, et tendent a tomber dans des compromis
    (exemple emblematique, les alliances des gouvernements avec les
    partis xenophobes et les groupes racistes) sur la base des exigences
    du moment present ; dans d'autres cas, elles tendent a utiliser les
    tragedies des peuples afin de legitimer leur passe ou leur present
    ou pour des interets economiques.

    Signalons a ce sujet, mis a part quelques exceptions, la tendance a
    faiblement reagir et au peu d' " activisme " du monde de la culture et
    de la recherche au sens large, mais aussi des communautes a travers le
    monde. Une juste " colère ", qui par ailleurs, comme le note Salvatore
    Natoli (3), manifeste une " intolerance par rapport au mal " et une
    " indignation active, une revolte contre la negation des faits et la
    reecriture de l'histoire de la part d'individus et de gouvernements :
    tel est le devoir auquel nous sommes tous appeles.

    Quelle efficacite peut avoir un combat anti-negationniste mene
    " par voie legislative " ? Une première reponse est fournie dans
    l'argumentaire qui precède. Mais je crois utile d'operer certaines
    distinctions entre le negationnisme emanant d'individus isoles, le
    negationnisme emanant de personnes influentes et le negationnisme
    emanant des Etats et des gouvernements :

    1. Une loi qui reprime le negationnisme individuel de tout un chacun
    irait a l'encontre de la liberte personnelle et serait nuisible a
    la democratie. Le negationnisme individuel peut etre combattu non
    par la censure, mais par la culture, l'education. Hrant Dink, le
    journaliste turco-armenien assassine par un fanatique nationaliste
    a Istanbul en 2007, avait declare : " Ils sont fils de l'ignorance
    ; ils nient le genocide parce qu'ils n'en savent rien. [...] Le
    brouillard qui entoure leur education depuis leur plus jeune âge en
    fait des assassins potentiels. " Tel est le cas des nationalistes
    turcs ou des kamikazes d'Al-Qaida, formes par des enseignements
    negationnistes et fondamentalistes, partant victimes d'un abus, comme
    le relève Yves Ternon. Ce qui est arrive a Varallo Sesia, lorsqu'un
    jeune Turc, residant en Italie, de bonne foi, se sentant offense
    par la position pro-Armeniens des Italiens, a tente de detruire les
    panneaux d'une exposition sur le genocide, confirme l'inutilite de
    l'anti-negationnisme par voie legislative.

    2. Dans le cas du negationnisme emanant de personnes influentes,
    d'historiens ou d'ecrivains tels que John Irving et Robert Faurisson,
    Justin McCarthy ou d'autres, la question est plus complexe. Louis
    Brandeis, avocat et juriste americain, membre de la Cour Supreme des
    Etats-Unis de 1916 a 1939, dont la memoire est liee a un profond
    engagement dans les thematiques sociales et a sa contribution
    au niveau juridique, dans le domaine du " droit a la vie privee
    [privacy] " et de la defense de la liberte de parole et d'opinion,
    s'est ainsi prononce sur la valeur de la liberte d'expression : "
    Il est des situations dans lesquelles l'on peut interdire un debat :
    lorsque existent des risques imminents ou menacants. "

    Pensons a la possibilite qu'une personne influente manifeste sa
    facon de pensee negationniste lors d'une reunion ou d'une assemblee,
    provoquant une incitation a la haine raciale ou a la violence, avec
    des consequences possibles sur la securite des personnes ; ou bien
    que ces manifestations d'opinion soient exprimees lors de moments
    historiques critiques pour les relations entre Etats et gouvernements.

    Une limitation temporaire et circonscrite de la liberte de parole
    pourrait etre en fin de compte l'unique option possible pour preserver
    la cohabitation democratique.

    3. Le cas du negationnisme emanant des Etats et des gouvernements est
    different. C'est le cas, pour ne citer que quelques exemples, de la
    Turquie pour le genocide armenien ou de l'Iran pour la Shoah. Est-il
    possible de supposer l'approbation d'une loi supranationale visant
    a atteindre les representants des gouvernements responsables d'actes
    ou d'expressions publiques de negationnisme ?

    Concernant cette question, je voudrais evoquer certaines situations
    problematiques, consequence directe du negationnisme des Etats et
    des gouvernements :

    - au Musee Archeologique de Milan, en 1995, au lendemain de
    l'inauguration de l'exposition qui montrait les photographies de
    l'officier allemand Armin T. Wegner, temoin oculaire du genocide des
    Armeniens dans les deserts de Mesopotamie, le consul de Turquie a
    Milan, en l'absence du directeur, est parvenu a la faire fermer. Un
    jour plus tard, l'exposition fut rouverte suite a l'intervention du
    maire ;

    - en 1996, les restes d'Enver Pacha, un des triumvirs du gouvernement
    des Jeunes-Turcs responsable du genocide, furent transferes depuis
    l'Asie Centrale et emmenes en Turquie pour y etre honores et, recemment
    encore, ont ete eriges des monuments en souvenir des bourreaux,
    qui ont suscite des reactions assez vives au sein de la communaute
    armenienne dans la mère patrie et en diaspora ;

    - a Lyon, en 2008, un groupe nourri de representants des Loups Gris
    turcs (parti extremiste du MHP) est intervenu afin d'empecher la
    commemoration du genocide armenien du 24 Avril ; des affrontements
    et des echauffourees en ont resulte ;

    - Ahmadinejad, en Iran, continue de nier la Shoah. Il a organise
    un congrès international sur le thème de la Shoah afin d'obtenir le
    soutien des milieux universitaires pour sa position negationniste. Vu
    les rapports internationaux difficiles entre les Etats, de tels
    choix apparaissent en substance provocateurs et plutôt risques, en
    particulier lorsqu'on a a c~\ur l'objectif de la paix dans les zones
    de conflits en cours ou " en suspens ".

    Il emerge clairement de ces exemples que nous nous trouvons face
    au negationnisme en tant que mensonge, deliberement porte en avant
    par un Etat sur la base d'exigences du present, et face a la mise
    en ~\uvre d'un abus a l'egard de ceux auxquels il n'est pas donne
    de connaître la verite historique, un negationnisme qui a eu et qui
    continue d'avoir de lourdes consequences sur les communautes qui ont
    subi le crime de genocide et sur les descendants des survivants qui
    ne peuvent accorder de sepulture a leurs morts.

    Certains Etats, exploitant de facon cynique et instrumentale la
    faiblesse de leurs propres citoyens, leur ignorance et leur bonne foi,
    reecrivent l'histoire en falsifiant les faits et nient la realite
    criminelle des persecutions et de l'extermination de generations
    entières ; ils sèment la culture de la haine et de la peur de l'autre,
    contraignant les peuples a grandir au sein des fondamentalismes,
    des radicalisations de la pensee, des extremismes : a ce propos,
    ne devrions-nous pas nous souvenir que nous nous trouvons, une
    fois de plus, face a des regimes totalitaires et oppressifs, a des
    niveaux divers, et que cela constitue une attaque violente contre la
    democratie ?

    La verite historique est niee et, s'il est vrai que l'on se trompe
    en soumettant a la justice des argumentations historiographiques,
    parce que l'on entre alors sur un terrain difficile et delicat
    (comme l'a note Simonetta Fiori au sujet de la Decision cadre sur le
    thème des negationnismes du 28 novembre 2008, adoptee par l'Union
    Europeenne) (4), il est vrai aussi qu'une declaration precise,
    immediate et unitaire, qui emanerait des plus hautes instances de
    l'Union Europeenne, de l'ONU, des associations qui luttent pour les
    droits de l'homme a travers le monde, une declaration qui aurait la
    plus grande diffusion, une declaration reiteree face a la negation
    reiteree, une declaration qui serait aussi un appel a tous les hommes
    de bonne volonte, pourrait constituer une contribution decisive a un
    possible changement de cap et servir de base a l'elaboration d'une
    loi partagee et efficace, capable de depasser les nationalismes et
    les questions de denomination.

    Il ne s'agit pas de reprimer les opinions, ni d'instituer par voie
    legislative ce qui est historiquement avere, en usurpant le terrain
    des historiens ; il s'agit de faire emerger une question morale a
    des fins morales : sanctionner publiquement et d'un commun accord,
    de manière energique, le negationnisme des Etats et des gouvernements
    qui constitue un mensonge au niveau le plus eleve. Une parole commune,
    empreinte d'une forte " universalite ", car expression de la conscience
    nouvelle des droits de l'homme issue des boucheries des guerres,
    confèrerait une vigueur nouvelle a l'autorite des temoins, dont la
    parole s'affaiblit d'autant plus qu'elle n'est progressivement plus
    ecoutee. Le negationnisme des Etats et des gouvernements ne se combat
    pas, comme l'a observe Yves Ternon, par une loi nationale, mais par
    une loi supranationale : une loi " anti-negationniste " qu'il convient
    de soumettre a l'ONU, comparable a la Convention pour la prevention et
    la repression du crime de genocide, approuvee par l'Assemblee Generale
    le 9 decembre 1948, pierre angulaire afin de s'ouvrir a l'espoir d'une
    histoire qui ne soit plus marquee par la violence politique de masse,
    ni par des operations de purification ethnique.

    Dans le cas armenien, la negation du genocide, construite dans le
    contexte de sa mise en ~\uvre, a provoque le silence des premières
    generations, un retard historiographique et, comme l'a note Catherine
    Coquio, " la difficulte pour la litterature armenienne de se constituer
    en pensee temoin et critique de l'evenement ".

    Relevons cependant que, recemment, l'on observe une realite
    differente : face au negationnisme obstine du gouvernement turc,
    les deuxièmes et troisièmes generations dans la mère patrie et en
    diaspora se sont regroupees, ont manifeste un nouvel elan afin de
    s'opposer a la negation des faits ; la memoire, renforcee par le
    negationnisme, est devenue un instrument de construction identitaire ;
    les temoignages se sont multiplies, recueillis et partages par des non
    Armeniens ; un interet renouvele s'est diffuse parmi les historiens
    de profession et, aux côtes du recit du Metz Yeghern, la Grande
    Catastrophe, l'on assiste aujourd'hui a un reexamen de l'histoire et
    de la culture armenienne. Les memoires individuelles des souffrances
    sont devenues une memoire historique partagee. Le recouvrement de
    la verite historique, accompli par les Armeniens pour eux-memes,
    que partagent tant de non Armeniens dans les pays de la diaspora et,
    meme si cela est encore fragile, aussi en Turquie, aide a surmonter
    la fracture que le genocide cree dans l'histoire des peuples.

    En conclusion, j'avance l'hypothèse, un brin provocatrice, que
    la Turquie, ayant elimine avec les Armeniens, les Grecs et autres
    minorites, la part la plus europeenne de sa realite ethnique, s'est
    dirigee vers une sorte de " suicide politique " (comme il en est
    advenu de l'Allemagne hitlerienne laquelle, via la destruction des
    Juifs, a detruit la culture, la science, la litterature, la poesie,
    la musique, l'art aux niveaux les plus hauts).

    Si tout cela n'etait pas arrive, la Turquie aurait pu etre aujourd'hui,
    depuis longtemps, dans l'Union Europeenne.

    De meme, le negationnisme obstine des gouvernements turcs, comme je
    l'ai deja souligne, n'a rien fait d'autre que fortifier la memoire des
    Armeniens, rassembler la diaspora dans le monde entier (sept millions)
    et l'arrimer solidement a la mère patrie (trois millions).

    Ouvrir un debat et une comparaison transversale sur le thème du
    negationnisme, domaine dans lequel se manifestent des positions
    diverses, constitue, dans le champ des reflexions sur les genocides
    au 20ème siècle, une opportunite pour operer un elargissement de la
    memoire, comme il en a ete lors du passage de l'approfondissement du
    mal vers la reflexion sur le bien. La memoire du bien, les figures
    exemplaires des Justes, des temoins de verite, des resistants moraux,
    entres de plein droit dans la recherche historique, ont renforce
    les thèmes classiques de la reflexion sur la Shoah et sur les
    genocides du 20ème siècle, eclairant d'une lumière nouvelle l'âge
    des totalitarismes.

    NdT

    1. Allusion a l'article de Riccardo Pacifici, president de la
    Communaute Juive de Rome, intitule " Negazionismo, l'appello di
    Pacifici : L'Italia adotti una legge per punirlo ", suivi d'une lettre
    de R. P., intitulee " Finito il tempo delle ipocrisie ", parus in
    La Repubblica, 15/10/2010 - www.repubblica.it 2. Stefano Levi Della
    Torre, " Sulla proposta di Riccardo Pacifici per una legge che punisca
    il negazionismo ", Rete Eco / Ebrei contro l'occupazione, 05/11/2010 -
    http://rete-eco.it/fr/nouvelles/italie/17085-sulla-proposta-di-riccardo-pacifici-per-una-legge-che-punisca-il-negazionismo.html
    3. Salvatore Natoli, universitaire, philosophe contemporain, auteur
    de nombreux ouvrages sur l'ethique et le neo-paganisme - Wikipedia 4.
    http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:328:0055:0058:FR:PDF
    L'article cite de Simonetta Fiori, " Intervista a Carlo Ginzburg /
    La verita non è di stato " [Entretien avec Carlo Ginzburg / La verite
    ne relève pas de l'Etat] est paru in La Repubblica, 21/10/2010.

    _____________

    Source :
    http://www.comunitaarmena.it/akhtamar/akhtamar%20numero%20114%20%2824%20aprile%29.pdf
    Traduction de l'italien : © Georges Festa - 05.2011 Avec l'aimable
    autorisation d'Emanuele Aliprandi, redacteur en chef d'Akhtamar
    on line.

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