TURQUIE : UNE LOI POUR LES CRIMES DE HAINE
Source/Lien : Today's Zaman
Publié le : 28-10-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - "Â" Il existe une loi sur
le crime de haine aux Ã~Itats-Unis et dans les pays européens. En
Turquie, il n'y a ni loi sur le crime de haine ni aucune enquête
détaillée Â", a déclaré Cengiz Algan qui dirige le comité
de l'Association pour le changement social. L'association est en
train de rédiger l'ébauche d'une loi qu'elle veut soumettre aux
partis politiques du nouveau Parlement. Â" Les crimes de haine sont
profondément enracinés en Turquie, dans des structures étatiques
telles que la gendarmerie, la police et l'armée Â", a déclaré Algan.
L'assassinat de Hrant Dink, du père Santoro pour ne citer que
ceux-la en sont de malheureux exemples flagrants". Le Collectif VAN
vous livre la traduction de cet article en anglais paru le 9 octobre
2011 sur le site du quotidien turc Today's Zaman.
Légende photo : Cengiz Algan
'Il faut une loi sur le crime de haine pour combattre les crimes
de haine'
Ce militant de la société civile, qui travaille sur l'ébauche
d'une loi pour lutter contre le crime de haine, a déclaré qu'il
était pratiquement impossible de traiter les crimes de haine a moins
qu'une législation n'existe.
Â" Il existe une loi sur le crime de haine aux Ã~Itats-Unis et dans
les pays européens. En Turquie, il n'y a ni loi sur le crime de
haine ni aucune enquête détaillée Â", a déclaré Cengiz Algan
qui dirige le comité de l'Association pour le changement social.
L'association est en train de rédiger l'ébauche d'une loi qu'elle
veut soumettre aux partis politiques du nouveau Parlement.
Â" Nous espérons que le parti au pouvoir, qui a obtenu un grand
mandat, avec 50% des votes aux élections du 12 juin dernier, prendra
l'initiative de faire quelque chose a ce sujet Â", a déclaré Algan.
Cependant, il a ajouté qu'il y a d'autres problèmes en Turquie en
ce qui concerne les crimes de haine, outre le manque de législation.
Â" Les crimes de haine sont profondément enracinés en Turquie,
dans des structures étatiques telles que la gendarmerie, la police
et l'armée Â", a-t-il dit.
Voici ses réponses a nos questions.
Pouvez-vous tout d'abord nous dire comment est née l'Association
pour le changement social ?
Suite au meurtre de Hrant Dink en 2007, nous avons décidé de
créer une initiative civile. Nous avons réuni des écrivains,
des journalistes et des chercheurs et nous avons décidé que
les crimes de haine avaient atteint des dimensions dramatiques
en Turquie ; ces crimes étaient organisés et ils avaient une
dimension raciste. Nous avons formé un groupe de militants sous le
nom de "Dur De !" [Dites stop au racisme et au nationalisme]. Nous
avons appelé tout le monde a s'élever contre le racisme et le
nationalisme. Au début, nous n'étions que 7 a 10 personnes,
mais nous nous sommes développés. Notre groupe rassemble 33°000
personnes sur Facebook. Nous avons 3°500 abonnés a notre mailing
; certains d'entre eux suivent nos bulletins et participent a nos
réunions et manifestations. L'Association pour le changement social
est une organisation qui emploie des professionnels. 'Dur De !'
et l'association ont les mêmes membres fondateurs et se soutiennent
mutuellement.
Vous avez dit que certains crimes de haine en Turquie partagent les
mêmes caractéristiques et qu'il existe des informations indiquant
qu'ils sont organisés. Avez-vous des exemples a donner ?
Par exemple, il y a eu un plusieurs meurtres de prêtres chrétiens.
Juste avant ces meurtres, nous avons assisté a des campagnes de
calomnies dans les médias, sur les activités des missionnaires
chrétiens en Turquie. Pour l'un de ces cas il s'agit des fameux
meurtres dans la maison d'édition Zirve Publishing House a Malatya
[en 2007, trois personnes qui vendaient des livres chrétiens ont
été sauvagement tuées]. Avant ces meurtres, tant dans les médias
locaux que nationaux, il y avait eu une grande campagne de calomnie
contre les missionnaires chrétiens en Turquie. Orhan Kemal Cengiz,
l'un des avocats des familles des victimes, en a publiquement discuté
en détails. Lorsqu'il s'est chargé de l'affaire, bien avant que le
nom d'Ergenekon (un réseau criminel clandestin accusé de vouloir
renverser le gouvernement soit prononcé), il nous a révélé
qu'il avait dit : Â" On dirait le travail du Gladio turc. Â" Cette
conviction se basait sur plusieurs faits : le meurtre en 2006 du père
Santoro a Trabzon, puis le meurtre de Hrant Dink et deux mois plus
tard les meurtres de Zirve semblaient tous être liés. L'enquête
a révélé qu'il y avait de grandes présomptions indiquant que le
réseau clandestin agissait au sein de la gendarmerie turque et que
les ultranationalistes étaient liés a ces assassinats.
Des motifs communs : ultranationalisme et haine basés sur l'origine
ethnique ou la religion
En examinant ces cas, nous voyons que les tueurs semblent avoir des
motifs communs : l'ultranationalisme et la haine basés sur l'origine
ethnique ou la religion.
Exactement et nous savons d'après les documents du tribunal qu'Ogun
Samast, l'assassin de Dink, ne connaissait même pas le nom de
Dink. Il savait juste qu'il était arménien. Mais il était absurde
qu'un jeune de 17 ans fasse le voyage de Trabzon a Ä°stanbul pour
tuer quelqu'un dont il ne savait presque rien. Il existait déja
une hostilité dans la société envers les Arméniens, et depuis
la première conférence arménienne en Turquie en 2005 - qui a
déclenché une grande controverse car elle incluait la version
arménienne des arguments liés a la question du génocide - cette
hostilité s'est envenimée, puis Dink a été assassiné. En ce
qui concerne le meurtre du père Santoro, il avait précédemment
été menacé par des gens qui sont aujourd'hui des accusés dans
le procès de Dink. Ces personnes l'avaient battu, presque a mort,
avant même son assassinat. Il y a même davantage de violations des
droits humains impliquant a cet égard encore davantage de meurtres,
mais l'assassinat de Dink a été un point de rupture.
Pourquoi cela ?
Car tout ce qui est lié a la question arménienne est un sujet qui
possède toutes les raisons appropriées pour inciter a la haine
en Turquie.
Que nous apprend votre travail sur le projet "Les crimes de haines
dans la presse nationale : 10 ans, 10 exemples" ?
Depuis 2008, nous avons mené un scan rétrospectif des médias
comprenant 20 journaux nationaux qui représentent jusqu'a 80 % des
journaux en circulation dans le pays. Nous avons recensé 30°000
exemples d'informations qui peuvent être qualifiées d'incitation
a la haine. Nous avons fait une liste de 5°000 articles, puis nous
l'avons réduite a 200. Pour notre publication, nous avons utilisé
10 exemples dans le livre. Nous avons découvert que le discours
de haine dans les médias concerne l'origine ethnique et la race,
la nationalité, l'identité sexuelle et l'orientation sexuelle,
la religion et la foi, les tendances politiques, la propriété, les
handicaps physiques, le niveau d'éducation et le statut social. Le
résultat le plus dramatique a été que sur 5°000 articles, 21%
pouvaient être catégorisés comme discours de haine et 79% comme
crimes de haine. Sur ces 79% de crimes de haine, 47% étaient basés
sur l'origine ethnique. Les médias utilisent essentiellement l'origine
ethnique pour inciter a la haine.
Je me souviens d'une étude semblable et plus récente effectuée par
la Fondation Hrant Dink qui indiquait que les Kurdes et les Arméniens
étaient les groupes les plus ciblés dans la presse a cet égard
et que les Arméniens étaient le groupe le plus ciblé en matière
"d'animosité", qui est une catégorie du discours de haine. Les Grecs,
les chrétiens en général et les juifs étaient souvent aussi les
sujets de l'actualité ou d'articles qui contenaient un discours
de haine.
Les crimes de haine et les discours de haine sont distincts. Mais
il ne fait aucun doute qu'ils sont liés en pratique. Le discours de
haine engendre le risque du crime de haine.
Les crimes de haine peuvent être révélés grâce a des enquêtes
sérieuses et approfondies
Qu'est-ce qui fait d'un crime, un crime de haine ?
Selon les normes internationales, il faut d'abord qu'un délit criminel
soit commis et le crime commis doit avoir un motif partial. C'est ce
motif biaisé, ce préjugé, qui distingue les crimes de haine des
crimes ordinaires. Le crime peut être une atteinte a la propriété,
un meurtre, une agression etc. Tout comme pour le discours de
haine, les individus ou les groupes visés par les crimes de haine
partagent certaines caractéristiques - telles que l'origine ethnique,
l'identité nationale, les croyances et les pratiques religieuses. Il
faut que des enquêtes sérieuses et approfondies soient effectuées
pour ces crimes, afin de prouver que c'est un préjugé qui a conduit
a ce crime. Il y a eu des cas avérés aux Ã~Itats-Unis après le
11 septembre, car certains crimes commis a l'encontre de musulmans
ont été motivés par des préjugés envers les musulmans vivant
dans le pays. Il existe une législation pour le crime de haine aux
Ã~Itats-Unis et dans les pays membres de l'union européenne. En
Turquie, il n'existe ni enquête détaillée ni législation pour le
crime de haine.
Pourquoi a votre avis n'y a t-il aucune enquête détaillée
pour de tels crimes en Turquie, est-ce en raison d'une absence de
législation ?
L'absence de législation est un facteur important, mais comme je
le disais précédemment, les crimes de haine sont profondément
enracinés en Turquie, dans des structures étatiques telles que
la gendarmerie, la police et l'armée. Les avocats des familles
des victimes de l'affaire Zirve ont découvert que les meurtres
ont été commis a Malatya alors que l'ex-commandant en chef de
l'armée, le Général HurÅ~_it Tolon [qui est aujourd'hui un suspect
dans le procès Ergenekon] faisaient des briefings et des discours
anti-missionnaires dans cette même ville. Il y a aussi l'exemple de
la campagne d'un groupe d'autodéfense de Selendi, a Manisa d'où
environ 70 Roms ont été chassés l'an dernier. Il y a tant de
choses a faire en Turquie en ce qui concerne le discours de haine et
le crime de haine, mais tout d'abord il nous faut une législation
pour définir ce qui constitue un crime de haine.
Existe-t-il une volonté au sein du Parlement turc de prendre des
mesures a cet égard ?
Je peux dire que le gouvernement actuel est plus ouvert a de telles
initiatives, mais actuellement aucun travail n'est effectué au
Parlement sur une législation sur le crime de haine. Cependant, il y
a eu des procès sans précédent, dans lesquels les articles 215 et
216 du Code pénal turc [TCK] -- liés a "l'incitation a la haine" et a
"l'apologie d'un acte criminel" - ont été correctement utilisés.
Cependant, le besoin existe d'une approche plus claire et resserrée,
en ce qui concerne les crimes de haine, par le biais d'une nouvelle
loi sur le crime de haine. C'est un sujet qui concerne une vaste
fraction de la société.
'Un autre exemple est le refus de louer des appartements a des Kurdes'
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Toutes les attitudes de haine ne débouchent pas sur des crimes
de haine ou ne mènent pas au meurtre. Il peut y avoir des délits
criminels que l'on peut considérer comme étant des crimes de haine.
Par exemple, une personne ayant un handicap physique veut louer un
appartement mais elle a besoin que le propriétaire fasse construire
une rampe d'accès afin qu'elle puisse accéder facilement a
l'immeuble.
Si le propriétaire refuse de louer l'appartement a cette personne,
les motifs du propriétaire peuvent être questionnés. Un autre
exemple est le refus de louer des appartements a des Kurdes. Ces
deux refus méritent une enquête sur les motifs et les préjugés
qui les motivent.
Ã~@ quel niveau en êtes-vous dans l'élaboration de la loi sur le
crime de haine ?
Nous avons consulté des experts de l'OSCE [Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe] et de l'ADL [La Ligue
Anti-Diffamation]. Nous avons étudié de nombreux cas. Les avocats
turcs travaillent a l'élaboration d'un texte législatif et nous
espérons le terminer avant la fin de l'année. L'an dernier, deux
propositions ont été faites au Parlement. Un député a demandé
l'extension de l'Article 216 et un autre député a dit que le meurtre
de Hrant Dink était un crime de haine et une législation sur le crime
de haine devrait exister en Turquie. Il n'y a aucune autre proposition
ou motion au Parlement concernant les crimes de haine. L'IHOP [Human
Rights Joint Platform, a Ankara] a travaillé sur l'ébauche d'un texte
et l'a soumis au Parlement, mais c'était une loi anti-discrimination.
Quelle est la différence des approches des crimes de haine au
Ã~Itats-Unis et en Europe ?
Les Américains ont une large définition de la liberté d'expression
et ils ne sont pas pro-restriction. En Europe, il y a de graves
restrictions de la liberté d'expression. Si l'on regarde la situation
en Turquie, on voit que les médias jouent un grand rôle a cet égard.
Il faut qu'il y ait un contrôle plus strict sur la contribution
des médias aux discours de haine et aux crimes de haine. L'un des
règlements du RTUK [Radio and Television Supreme Council] indique
qu'il ne devrait pas y avoir de diffusions incitant a la haine parmi le
peuple. Cependant, cette règle n'est pas appliquée. Nous commencerons
bientôt a envoyer des bulletins d'informations régulièrement et
fréquemment, pour montrer les mauvais exemples dans les médias. Nous
savons qu'il y a beaucoup de personnes dans les médias turcs qui
sont sensibles a cette question et donc nous espérons avoir leur
soutien. Nous avons aussi sur notre site Internet une section le
"Raciste du mois." Malheureusement, la plupart du temps ce sont des
auteurs dans les médias qui apparaissent dans cette section.
Quelle est la situation en termes de discours de haine dans les
médias depuis l'assassinat de Hrant Dink ?
Depuis cette date, le discours de haine n'a plus été utilisé
directement dans les grands titres, mais il l'est dans les sous-titres
et les articles.
'Nous espérons que le parti au pouvoir prendra l'initiative de
pousser la loi sur le crime de haine'
Qu'allez-vous faire pendant votre campagne pour faire accepter une
telle motion au Parlement ?
Nous allons rencontrer les représentants de chaque parti politique.
Nous espérons que le parti au pouvoir, qui a eu un grand mandat,
avec 50% des votes lors des élections générales du 12 juin,
prendra l'initiative de faire adopter cette loi.
Qui sont les victimes silencieuses des crimes de haine ?
Elles ne sont pas silencieuses uniquement en Turquie, mais partout
dans le monde. En général, elles ont peur d'être encore plus
stigmatisées si elles parlent. Elles préfèrent restées cachées.
Lorsque les avocats sont allés a Selendi pour parler avec les victimes
sur ce qu'il s'était passé, ils ont beaucoup de mal a trouver des
gens qui ont accepté de parler des événements. Nous avons lancé
un projet a cet égard.
Quel est-il ?
Nous essayons de former une coalition ou une plateforme pour
les victimes des crimes de haine et ceux qui travaillent sur la
question des crimes de haine. Il existe des groupes spécifiques
qui travaillent sur la question, par exemple le LGBT [lesbian, gay,
bisexual and transgender], ou des groupes avec des sensibilités
islamiques. Nous avons organisé des meetings dans tout le pays ces
deux dernières années afin de rassembler davantage d'organisations
qui travaillent en vue d'une loi sur le crime de haine. Nous devons
Å"uvrer ensemble, car nous souffrons tous de discrimination. Nous
avons un autre site Internet Nefretme.org [Ne hais pas] - où des
organisations travaillant sur les droits humains, la discrimination
et les crimes de haine peuvent se regrouper. Nous avons organisé un
festival avec ces groupes les 19 et 20 novembre.
D'autres projets ?
Nous allons former une équipe de contrôle comprenant des juristes
qui enquêteront sur les crimes de haine la où ils surviennent. Ils
mèneront une investigation sur la question et fourniront une aide
juridique aux victimes de crime de haine. Nous prévoyons également
de mettre en place un service d'assistance téléphonique pour les
victimes de crimes de haine. Nous avons déja eu des appels. Nous
avons découvert qu'un citoyen kurdo-arménien de Turquie avait subi
un crime de haine dans un bureau gouvernemental, mais malgré ses
efforts pour que justice soit faite, il n'a rien pu obtenir. Ce cas
est maintenant devant la Cour européenne des droits de l'homme. Si
l'Ã~Itat turc est déclaré coupable dans cette affaire, nous aurons a
payer des compensations en tant que nation. Nous aimerions fournir un
service d'assistance aux victimes de ce genre de crimes. Notre objectif
premier est d'introduire une loi sur le crime de haine. Et pour finir,
nous aimerions dresser la situation des crimes de haine en Turquie.
________________________________________
Cengiz Algan
Ex-professeur d'anglais, Cengiz Algan traduit aujourd'hui des livres et
il est a la tête du comité de l'Association pour le changement social
qui a été fondé en février 2009. Il est un militant actif de la
société civile. En 2002, il a été l'un des membres fondateurs de
"SavaÅ~_a Hayır Koalisyonu" ("No to War Coalition" connu aujourd'hui
sous le nom de "Global Peace and Justice Coalition") créé contre
la guerre en Irak.
©Traduction de l'anglais C.Gardon pour le Collectif VAN - 28 octobre
2011 - 07:10 - www.collectifvan.org
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From: A. Papazian
Source/Lien : Today's Zaman
Publié le : 28-10-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - "Â" Il existe une loi sur
le crime de haine aux Ã~Itats-Unis et dans les pays européens. En
Turquie, il n'y a ni loi sur le crime de haine ni aucune enquête
détaillée Â", a déclaré Cengiz Algan qui dirige le comité
de l'Association pour le changement social. L'association est en
train de rédiger l'ébauche d'une loi qu'elle veut soumettre aux
partis politiques du nouveau Parlement. Â" Les crimes de haine sont
profondément enracinés en Turquie, dans des structures étatiques
telles que la gendarmerie, la police et l'armée Â", a déclaré Algan.
L'assassinat de Hrant Dink, du père Santoro pour ne citer que
ceux-la en sont de malheureux exemples flagrants". Le Collectif VAN
vous livre la traduction de cet article en anglais paru le 9 octobre
2011 sur le site du quotidien turc Today's Zaman.
Légende photo : Cengiz Algan
'Il faut une loi sur le crime de haine pour combattre les crimes
de haine'
Ce militant de la société civile, qui travaille sur l'ébauche
d'une loi pour lutter contre le crime de haine, a déclaré qu'il
était pratiquement impossible de traiter les crimes de haine a moins
qu'une législation n'existe.
Â" Il existe une loi sur le crime de haine aux Ã~Itats-Unis et dans
les pays européens. En Turquie, il n'y a ni loi sur le crime de
haine ni aucune enquête détaillée Â", a déclaré Cengiz Algan
qui dirige le comité de l'Association pour le changement social.
L'association est en train de rédiger l'ébauche d'une loi qu'elle
veut soumettre aux partis politiques du nouveau Parlement.
Â" Nous espérons que le parti au pouvoir, qui a obtenu un grand
mandat, avec 50% des votes aux élections du 12 juin dernier, prendra
l'initiative de faire quelque chose a ce sujet Â", a déclaré Algan.
Cependant, il a ajouté qu'il y a d'autres problèmes en Turquie en
ce qui concerne les crimes de haine, outre le manque de législation.
Â" Les crimes de haine sont profondément enracinés en Turquie,
dans des structures étatiques telles que la gendarmerie, la police
et l'armée Â", a-t-il dit.
Voici ses réponses a nos questions.
Pouvez-vous tout d'abord nous dire comment est née l'Association
pour le changement social ?
Suite au meurtre de Hrant Dink en 2007, nous avons décidé de
créer une initiative civile. Nous avons réuni des écrivains,
des journalistes et des chercheurs et nous avons décidé que
les crimes de haine avaient atteint des dimensions dramatiques
en Turquie ; ces crimes étaient organisés et ils avaient une
dimension raciste. Nous avons formé un groupe de militants sous le
nom de "Dur De !" [Dites stop au racisme et au nationalisme]. Nous
avons appelé tout le monde a s'élever contre le racisme et le
nationalisme. Au début, nous n'étions que 7 a 10 personnes,
mais nous nous sommes développés. Notre groupe rassemble 33°000
personnes sur Facebook. Nous avons 3°500 abonnés a notre mailing
; certains d'entre eux suivent nos bulletins et participent a nos
réunions et manifestations. L'Association pour le changement social
est une organisation qui emploie des professionnels. 'Dur De !'
et l'association ont les mêmes membres fondateurs et se soutiennent
mutuellement.
Vous avez dit que certains crimes de haine en Turquie partagent les
mêmes caractéristiques et qu'il existe des informations indiquant
qu'ils sont organisés. Avez-vous des exemples a donner ?
Par exemple, il y a eu un plusieurs meurtres de prêtres chrétiens.
Juste avant ces meurtres, nous avons assisté a des campagnes de
calomnies dans les médias, sur les activités des missionnaires
chrétiens en Turquie. Pour l'un de ces cas il s'agit des fameux
meurtres dans la maison d'édition Zirve Publishing House a Malatya
[en 2007, trois personnes qui vendaient des livres chrétiens ont
été sauvagement tuées]. Avant ces meurtres, tant dans les médias
locaux que nationaux, il y avait eu une grande campagne de calomnie
contre les missionnaires chrétiens en Turquie. Orhan Kemal Cengiz,
l'un des avocats des familles des victimes, en a publiquement discuté
en détails. Lorsqu'il s'est chargé de l'affaire, bien avant que le
nom d'Ergenekon (un réseau criminel clandestin accusé de vouloir
renverser le gouvernement soit prononcé), il nous a révélé
qu'il avait dit : Â" On dirait le travail du Gladio turc. Â" Cette
conviction se basait sur plusieurs faits : le meurtre en 2006 du père
Santoro a Trabzon, puis le meurtre de Hrant Dink et deux mois plus
tard les meurtres de Zirve semblaient tous être liés. L'enquête
a révélé qu'il y avait de grandes présomptions indiquant que le
réseau clandestin agissait au sein de la gendarmerie turque et que
les ultranationalistes étaient liés a ces assassinats.
Des motifs communs : ultranationalisme et haine basés sur l'origine
ethnique ou la religion
En examinant ces cas, nous voyons que les tueurs semblent avoir des
motifs communs : l'ultranationalisme et la haine basés sur l'origine
ethnique ou la religion.
Exactement et nous savons d'après les documents du tribunal qu'Ogun
Samast, l'assassin de Dink, ne connaissait même pas le nom de
Dink. Il savait juste qu'il était arménien. Mais il était absurde
qu'un jeune de 17 ans fasse le voyage de Trabzon a Ä°stanbul pour
tuer quelqu'un dont il ne savait presque rien. Il existait déja
une hostilité dans la société envers les Arméniens, et depuis
la première conférence arménienne en Turquie en 2005 - qui a
déclenché une grande controverse car elle incluait la version
arménienne des arguments liés a la question du génocide - cette
hostilité s'est envenimée, puis Dink a été assassiné. En ce
qui concerne le meurtre du père Santoro, il avait précédemment
été menacé par des gens qui sont aujourd'hui des accusés dans
le procès de Dink. Ces personnes l'avaient battu, presque a mort,
avant même son assassinat. Il y a même davantage de violations des
droits humains impliquant a cet égard encore davantage de meurtres,
mais l'assassinat de Dink a été un point de rupture.
Pourquoi cela ?
Car tout ce qui est lié a la question arménienne est un sujet qui
possède toutes les raisons appropriées pour inciter a la haine
en Turquie.
Que nous apprend votre travail sur le projet "Les crimes de haines
dans la presse nationale : 10 ans, 10 exemples" ?
Depuis 2008, nous avons mené un scan rétrospectif des médias
comprenant 20 journaux nationaux qui représentent jusqu'a 80 % des
journaux en circulation dans le pays. Nous avons recensé 30°000
exemples d'informations qui peuvent être qualifiées d'incitation
a la haine. Nous avons fait une liste de 5°000 articles, puis nous
l'avons réduite a 200. Pour notre publication, nous avons utilisé
10 exemples dans le livre. Nous avons découvert que le discours
de haine dans les médias concerne l'origine ethnique et la race,
la nationalité, l'identité sexuelle et l'orientation sexuelle,
la religion et la foi, les tendances politiques, la propriété, les
handicaps physiques, le niveau d'éducation et le statut social. Le
résultat le plus dramatique a été que sur 5°000 articles, 21%
pouvaient être catégorisés comme discours de haine et 79% comme
crimes de haine. Sur ces 79% de crimes de haine, 47% étaient basés
sur l'origine ethnique. Les médias utilisent essentiellement l'origine
ethnique pour inciter a la haine.
Je me souviens d'une étude semblable et plus récente effectuée par
la Fondation Hrant Dink qui indiquait que les Kurdes et les Arméniens
étaient les groupes les plus ciblés dans la presse a cet égard
et que les Arméniens étaient le groupe le plus ciblé en matière
"d'animosité", qui est une catégorie du discours de haine. Les Grecs,
les chrétiens en général et les juifs étaient souvent aussi les
sujets de l'actualité ou d'articles qui contenaient un discours
de haine.
Les crimes de haine et les discours de haine sont distincts. Mais
il ne fait aucun doute qu'ils sont liés en pratique. Le discours de
haine engendre le risque du crime de haine.
Les crimes de haine peuvent être révélés grâce a des enquêtes
sérieuses et approfondies
Qu'est-ce qui fait d'un crime, un crime de haine ?
Selon les normes internationales, il faut d'abord qu'un délit criminel
soit commis et le crime commis doit avoir un motif partial. C'est ce
motif biaisé, ce préjugé, qui distingue les crimes de haine des
crimes ordinaires. Le crime peut être une atteinte a la propriété,
un meurtre, une agression etc. Tout comme pour le discours de
haine, les individus ou les groupes visés par les crimes de haine
partagent certaines caractéristiques - telles que l'origine ethnique,
l'identité nationale, les croyances et les pratiques religieuses. Il
faut que des enquêtes sérieuses et approfondies soient effectuées
pour ces crimes, afin de prouver que c'est un préjugé qui a conduit
a ce crime. Il y a eu des cas avérés aux Ã~Itats-Unis après le
11 septembre, car certains crimes commis a l'encontre de musulmans
ont été motivés par des préjugés envers les musulmans vivant
dans le pays. Il existe une législation pour le crime de haine aux
Ã~Itats-Unis et dans les pays membres de l'union européenne. En
Turquie, il n'existe ni enquête détaillée ni législation pour le
crime de haine.
Pourquoi a votre avis n'y a t-il aucune enquête détaillée
pour de tels crimes en Turquie, est-ce en raison d'une absence de
législation ?
L'absence de législation est un facteur important, mais comme je
le disais précédemment, les crimes de haine sont profondément
enracinés en Turquie, dans des structures étatiques telles que
la gendarmerie, la police et l'armée. Les avocats des familles
des victimes de l'affaire Zirve ont découvert que les meurtres
ont été commis a Malatya alors que l'ex-commandant en chef de
l'armée, le Général HurÅ~_it Tolon [qui est aujourd'hui un suspect
dans le procès Ergenekon] faisaient des briefings et des discours
anti-missionnaires dans cette même ville. Il y a aussi l'exemple de
la campagne d'un groupe d'autodéfense de Selendi, a Manisa d'où
environ 70 Roms ont été chassés l'an dernier. Il y a tant de
choses a faire en Turquie en ce qui concerne le discours de haine et
le crime de haine, mais tout d'abord il nous faut une législation
pour définir ce qui constitue un crime de haine.
Existe-t-il une volonté au sein du Parlement turc de prendre des
mesures a cet égard ?
Je peux dire que le gouvernement actuel est plus ouvert a de telles
initiatives, mais actuellement aucun travail n'est effectué au
Parlement sur une législation sur le crime de haine. Cependant, il y
a eu des procès sans précédent, dans lesquels les articles 215 et
216 du Code pénal turc [TCK] -- liés a "l'incitation a la haine" et a
"l'apologie d'un acte criminel" - ont été correctement utilisés.
Cependant, le besoin existe d'une approche plus claire et resserrée,
en ce qui concerne les crimes de haine, par le biais d'une nouvelle
loi sur le crime de haine. C'est un sujet qui concerne une vaste
fraction de la société.
'Un autre exemple est le refus de louer des appartements a des Kurdes'
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Toutes les attitudes de haine ne débouchent pas sur des crimes
de haine ou ne mènent pas au meurtre. Il peut y avoir des délits
criminels que l'on peut considérer comme étant des crimes de haine.
Par exemple, une personne ayant un handicap physique veut louer un
appartement mais elle a besoin que le propriétaire fasse construire
une rampe d'accès afin qu'elle puisse accéder facilement a
l'immeuble.
Si le propriétaire refuse de louer l'appartement a cette personne,
les motifs du propriétaire peuvent être questionnés. Un autre
exemple est le refus de louer des appartements a des Kurdes. Ces
deux refus méritent une enquête sur les motifs et les préjugés
qui les motivent.
Ã~@ quel niveau en êtes-vous dans l'élaboration de la loi sur le
crime de haine ?
Nous avons consulté des experts de l'OSCE [Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe] et de l'ADL [La Ligue
Anti-Diffamation]. Nous avons étudié de nombreux cas. Les avocats
turcs travaillent a l'élaboration d'un texte législatif et nous
espérons le terminer avant la fin de l'année. L'an dernier, deux
propositions ont été faites au Parlement. Un député a demandé
l'extension de l'Article 216 et un autre député a dit que le meurtre
de Hrant Dink était un crime de haine et une législation sur le crime
de haine devrait exister en Turquie. Il n'y a aucune autre proposition
ou motion au Parlement concernant les crimes de haine. L'IHOP [Human
Rights Joint Platform, a Ankara] a travaillé sur l'ébauche d'un texte
et l'a soumis au Parlement, mais c'était une loi anti-discrimination.
Quelle est la différence des approches des crimes de haine au
Ã~Itats-Unis et en Europe ?
Les Américains ont une large définition de la liberté d'expression
et ils ne sont pas pro-restriction. En Europe, il y a de graves
restrictions de la liberté d'expression. Si l'on regarde la situation
en Turquie, on voit que les médias jouent un grand rôle a cet égard.
Il faut qu'il y ait un contrôle plus strict sur la contribution
des médias aux discours de haine et aux crimes de haine. L'un des
règlements du RTUK [Radio and Television Supreme Council] indique
qu'il ne devrait pas y avoir de diffusions incitant a la haine parmi le
peuple. Cependant, cette règle n'est pas appliquée. Nous commencerons
bientôt a envoyer des bulletins d'informations régulièrement et
fréquemment, pour montrer les mauvais exemples dans les médias. Nous
savons qu'il y a beaucoup de personnes dans les médias turcs qui
sont sensibles a cette question et donc nous espérons avoir leur
soutien. Nous avons aussi sur notre site Internet une section le
"Raciste du mois." Malheureusement, la plupart du temps ce sont des
auteurs dans les médias qui apparaissent dans cette section.
Quelle est la situation en termes de discours de haine dans les
médias depuis l'assassinat de Hrant Dink ?
Depuis cette date, le discours de haine n'a plus été utilisé
directement dans les grands titres, mais il l'est dans les sous-titres
et les articles.
'Nous espérons que le parti au pouvoir prendra l'initiative de
pousser la loi sur le crime de haine'
Qu'allez-vous faire pendant votre campagne pour faire accepter une
telle motion au Parlement ?
Nous allons rencontrer les représentants de chaque parti politique.
Nous espérons que le parti au pouvoir, qui a eu un grand mandat,
avec 50% des votes lors des élections générales du 12 juin,
prendra l'initiative de faire adopter cette loi.
Qui sont les victimes silencieuses des crimes de haine ?
Elles ne sont pas silencieuses uniquement en Turquie, mais partout
dans le monde. En général, elles ont peur d'être encore plus
stigmatisées si elles parlent. Elles préfèrent restées cachées.
Lorsque les avocats sont allés a Selendi pour parler avec les victimes
sur ce qu'il s'était passé, ils ont beaucoup de mal a trouver des
gens qui ont accepté de parler des événements. Nous avons lancé
un projet a cet égard.
Quel est-il ?
Nous essayons de former une coalition ou une plateforme pour
les victimes des crimes de haine et ceux qui travaillent sur la
question des crimes de haine. Il existe des groupes spécifiques
qui travaillent sur la question, par exemple le LGBT [lesbian, gay,
bisexual and transgender], ou des groupes avec des sensibilités
islamiques. Nous avons organisé des meetings dans tout le pays ces
deux dernières années afin de rassembler davantage d'organisations
qui travaillent en vue d'une loi sur le crime de haine. Nous devons
Å"uvrer ensemble, car nous souffrons tous de discrimination. Nous
avons un autre site Internet Nefretme.org [Ne hais pas] - où des
organisations travaillant sur les droits humains, la discrimination
et les crimes de haine peuvent se regrouper. Nous avons organisé un
festival avec ces groupes les 19 et 20 novembre.
D'autres projets ?
Nous allons former une équipe de contrôle comprenant des juristes
qui enquêteront sur les crimes de haine la où ils surviennent. Ils
mèneront une investigation sur la question et fourniront une aide
juridique aux victimes de crime de haine. Nous prévoyons également
de mettre en place un service d'assistance téléphonique pour les
victimes de crimes de haine. Nous avons déja eu des appels. Nous
avons découvert qu'un citoyen kurdo-arménien de Turquie avait subi
un crime de haine dans un bureau gouvernemental, mais malgré ses
efforts pour que justice soit faite, il n'a rien pu obtenir. Ce cas
est maintenant devant la Cour européenne des droits de l'homme. Si
l'Ã~Itat turc est déclaré coupable dans cette affaire, nous aurons a
payer des compensations en tant que nation. Nous aimerions fournir un
service d'assistance aux victimes de ce genre de crimes. Notre objectif
premier est d'introduire une loi sur le crime de haine. Et pour finir,
nous aimerions dresser la situation des crimes de haine en Turquie.
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Cengiz Algan
Ex-professeur d'anglais, Cengiz Algan traduit aujourd'hui des livres et
il est a la tête du comité de l'Association pour le changement social
qui a été fondé en février 2009. Il est un militant actif de la
société civile. En 2002, il a été l'un des membres fondateurs de
"SavaÅ~_a Hayır Koalisyonu" ("No to War Coalition" connu aujourd'hui
sous le nom de "Global Peace and Justice Coalition") créé contre
la guerre en Irak.
©Traduction de l'anglais C.Gardon pour le Collectif VAN - 28 octobre
2011 - 07:10 - www.collectifvan.org
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