LE TABOU SUR LA QUESTION ARMENIENNE SE CRAQUELLE EN TURQUIE
par Delphine Nerbollier
La Croix
Mardi 24 Janvier 2012
France
À l'egard du massacre des Armeniens en 1915, le mot meme de " genocide
" reste tabou en Turquie. Mais une multitude d'initiatives font
progresser la prise de conscience.
ISTANBUL - Près d'un siècle après les massacres commis contre les
Armeniens, la Turquie oscille entre la poursuite d'une politique
officielle de negation du genocide et une multitude d'initiatives qui
ont reussi a faire eclater le tabou. Officiellement, comme l'ont
rappele les responsables turcs ces dernières semaines, la position
etatique reste inchangee : la Turquie n'a commis aucun genocide. Ces
allegations sont meme qualifiees de " mensonges " emis par la diaspora
armenienne.
Quant aux manuels scolaires, ils evoquent les faits par le seul biais
de la " sedition " et de la " trahison " des Armeniens qui, en pleine
Première Guerre mondiale, apportèrent leur soutien a l'armee russe.
Les ecoliers turcs apprennent donc que le gouvernement Jeune Turc de
l'epoque fit deplacer la population armenienne de l'est de l'Anatolie
pour des " raisons de securite militaire ".
Cet exode vers la Syrie engendra des morts (Ankara rejette le bilan de
1,5 million de victimes avance par les Armeniens), mais il n'est pas
question de reconnaître une quelconque volonte politique d'exterminer
ce groupe ethnique. En revanche, la rhetorique officielle fait la part
belle aux " martyrs " turcs tues par des Armeniens (notamment par la
legion armenienne de l'armee francaise) a partir de 1916.
Ce discours officiel, toujours d'actualite et virulent en cette
periode de tension avec la France, tend toutefois a se craqueler.
Tournant majeur, l'assassinat en 2007 du journaliste armenien Hrant
Dink a jete dans les rues des centaines de milliers de manifestants
qui ont scande ce slogan longtemps improbable : " Nous sommes tous
armeniens ! " Deux ans auparavant, une conference avait reuni a
Istanbul universitaires et intellectuels turcs autour de cette
question. En 2006, 300 personnalites ont adresse une lettre d'excuses
a leurs " frères et soeurs armeniens " et employe le terme de " grande
catastrophe ", moins polemique que celui de genocide.
" Ce mot, je l'ai utilise dans les annees 1970, mais je ne l'utilise
plus car il est devenu un terme de jargon legal, une balle de tennis
entre des raquettes qui ont des programmes politiques et ideologiques.
Cela gène l'universitaire que je suis ", explique l'historien Ahmet
Kuyas, de l'universite Galatasaray. Rejete en Turquie pour plusieurs
raisons, le mot " genocide " est percu par de nombreux intellectuels
turcs comme un frein au timide debat qui a eclos dans le pays. Le defi
est donc de mener ce travail de memoire sans employer ce mot tabou via
des expositions, des debats et des livres. Plusieurs associations
soutiennent certains citoyens convertis ou assimiles a reaffirmer leur
identite.
" La societe civile turque fait son travail de memoire, estime le
journaliste Aris Nalci. D'ici a 2015, centenaire du genocide, on peut
envisager que les dirigeants presentent des excuses ". Quant a Ahmet
Kuyas, il se dit optimiste lorsqu'il observe les evolutions de la
Societe d'histoire turque, fer de lance de la propagande
anti-armenienne. " Elle est aujourd'hui en avance par rapport a
l'opinion publique et reconnaît la mort de centaines de milliers
d'Armeniens. Cette version va se frayer un chemin dans les manuels
scolaires. On ne parlera pas de genocide mais la responsabilite de
certains dirigeants ottomans sera ecrite noir sur blanc ".
From: Baghdasarian
par Delphine Nerbollier
La Croix
Mardi 24 Janvier 2012
France
À l'egard du massacre des Armeniens en 1915, le mot meme de " genocide
" reste tabou en Turquie. Mais une multitude d'initiatives font
progresser la prise de conscience.
ISTANBUL - Près d'un siècle après les massacres commis contre les
Armeniens, la Turquie oscille entre la poursuite d'une politique
officielle de negation du genocide et une multitude d'initiatives qui
ont reussi a faire eclater le tabou. Officiellement, comme l'ont
rappele les responsables turcs ces dernières semaines, la position
etatique reste inchangee : la Turquie n'a commis aucun genocide. Ces
allegations sont meme qualifiees de " mensonges " emis par la diaspora
armenienne.
Quant aux manuels scolaires, ils evoquent les faits par le seul biais
de la " sedition " et de la " trahison " des Armeniens qui, en pleine
Première Guerre mondiale, apportèrent leur soutien a l'armee russe.
Les ecoliers turcs apprennent donc que le gouvernement Jeune Turc de
l'epoque fit deplacer la population armenienne de l'est de l'Anatolie
pour des " raisons de securite militaire ".
Cet exode vers la Syrie engendra des morts (Ankara rejette le bilan de
1,5 million de victimes avance par les Armeniens), mais il n'est pas
question de reconnaître une quelconque volonte politique d'exterminer
ce groupe ethnique. En revanche, la rhetorique officielle fait la part
belle aux " martyrs " turcs tues par des Armeniens (notamment par la
legion armenienne de l'armee francaise) a partir de 1916.
Ce discours officiel, toujours d'actualite et virulent en cette
periode de tension avec la France, tend toutefois a se craqueler.
Tournant majeur, l'assassinat en 2007 du journaliste armenien Hrant
Dink a jete dans les rues des centaines de milliers de manifestants
qui ont scande ce slogan longtemps improbable : " Nous sommes tous
armeniens ! " Deux ans auparavant, une conference avait reuni a
Istanbul universitaires et intellectuels turcs autour de cette
question. En 2006, 300 personnalites ont adresse une lettre d'excuses
a leurs " frères et soeurs armeniens " et employe le terme de " grande
catastrophe ", moins polemique que celui de genocide.
" Ce mot, je l'ai utilise dans les annees 1970, mais je ne l'utilise
plus car il est devenu un terme de jargon legal, une balle de tennis
entre des raquettes qui ont des programmes politiques et ideologiques.
Cela gène l'universitaire que je suis ", explique l'historien Ahmet
Kuyas, de l'universite Galatasaray. Rejete en Turquie pour plusieurs
raisons, le mot " genocide " est percu par de nombreux intellectuels
turcs comme un frein au timide debat qui a eclos dans le pays. Le defi
est donc de mener ce travail de memoire sans employer ce mot tabou via
des expositions, des debats et des livres. Plusieurs associations
soutiennent certains citoyens convertis ou assimiles a reaffirmer leur
identite.
" La societe civile turque fait son travail de memoire, estime le
journaliste Aris Nalci. D'ici a 2015, centenaire du genocide, on peut
envisager que les dirigeants presentent des excuses ". Quant a Ahmet
Kuyas, il se dit optimiste lorsqu'il observe les evolutions de la
Societe d'histoire turque, fer de lance de la propagande
anti-armenienne. " Elle est aujourd'hui en avance par rapport a
l'opinion publique et reconnaît la mort de centaines de milliers
d'Armeniens. Cette version va se frayer un chemin dans les manuels
scolaires. On ne parlera pas de genocide mais la responsabilite de
certains dirigeants ottomans sera ecrite noir sur blanc ".
From: Baghdasarian