UN " CASUS BELLI " POUR LA TURQUIE
Stephane
armenews.com
jeudi 16 fevrier 2012
Le Senat a adopte lundi soir la proposition de loi reprimant
la negation du genocide armenien ; le texte avait ete vote par
l'Assemblee nationale le 22 decembre dernier. Ce scrutin ouvre une
periode de tension grave entre la France et la Turquie et le ministre
des Affaires etrangères, Alain Juppe, ne cache pas sa mauvaise humeur.
EN TURQUIE, le gouvernement, la presse et l'opinion sont revoltes
contre une loi qu'ils jugent injuste et " raciste ". Les Turcs, deja
outres par la mauvaise volonte des Europeens au sujet de l'adhesion
de la Turquie a l'Union des Vingt-Sept et informes de l'hostilite
personnelle de Nicolas Sarkozy a cette adhesion, sont maintenant
exasperes par une initative parlementaire, soutenue, de toute evidence,
par l'Elysee, qui les transforme tous en delinquants potentiels
puisqu'ils nient la realite du genocide. En France meme, de nombreux
historiens ont mis en garde l'opinion contre l'ingerence de la classe
politique dans un dossier qui ne devrait appartenir qu'aux historiens.
Un debat de dix ans.
Le debat ne date pas de l'annee dernière. La France a reconnu le
genocide armenien en 2001. Une proposition de loi qui reprimait la
negation de tout genocide a ete adoptee par l'Assemblee en 2006,
mais, sur intervention du gouvernement, elle n'a pu etre soumise
au Senat en 2008. Treize ans auparavant, l'historien americain
Bernard Lewis affirmait que, pour qu'il y ait genocide, il faut
qu'un gouvernement ait concu le projet de detruire un peuple, comme
ce fut le cas du Troisième Reich et du peuple juif. Lewis ne pensait
pas que le gouvernement de Turquie (" Jeunes-Turcs ") etait implique
dans le genocide armenien qui a eu lieu d'avril 1915 a juillet 1918
et s'est traduit par l'elimination de quelque un million deux cent
mille Armeniens d'Anatolie. La thèse de Lewis, exposee en 1993, fut
decriee, mais soutenue par des historiens comme Madeline Reberioux et
Pierre Nora, lequel n'a pas change d'avis : il a averti les Francais,
a plusieurs reprises, depuis deux mois, des consequences negatives du
melange des genres, action politique et recherche historique. Trente et
une personnalites, dont Claude Lanzmann et Serge Klarsfeld, affirment,
pour leur part, que " le legislateur ne s'est pas immisce sur le
territoire de l'historien ".
Tous ces arguments sont servis avec une once de componction et avec
la distance que doit prendre le chercheur. Ils n'en traduisent pas
moins l'une de ces vives passions que nourrit chacun de nos debats de
societe. Car, après tout, dans le cas de la Shoah, la France a adopte
une loi pour punir le negationnisme et le revisionnisme. Pourquoi,
dans l'absolu, ne devrait-elle avoir une position identique sur la
negation des autres genocides ? Peut-etre parce que les historiens
sont divises sur le genocide armenien, les uns estimant qu'il reunit
tous les elements qui en font un precurseu du genocide juif, les autres
comparant plutôt le conflit opposant les Turcs aux Armeniens a ce qui
s'est passe en Yougoslavie entre Serbes et Croates, entre musulmans
et chretiens. L'etalonnage de ces evenements tragiques de l'histoire
est embarrassant : les peuples victimes d'un genocide n'ont pas envie,
quoi qu'on en dise, de porter cette qualification en sautoir ; mais
ceux a qui on la conteste croient la meriter, a tort ou a raison.
LE DEBAT SUR LE NEGATIONNISME PORTE EN REALITE SUR LE GENOCIDE LUI-MÊME
En revanche, il est impossible de separer la loi recemment adoptee du
contexte electoral. Bien qu'on comprenne mal que la majorite actuelle
ait pris tant de peine et de risques pour s'assurer le vote " armenien
" (pas plus de 200 000 suffrages), ce n'est pas un hasard si la
proposition a surgi dans la majorite a quelques mois du premier tour.
Le plus surprenant, c'est qu'elle ait souleve un debat très vif,
avec des prises de position tranchees, aussi bien a droite qu'a gauche.
C'est ainsi que des senateurs socialistes, pourtant conscients de la
man~\uvre engagee par l'UMP, sont restes fidèles a leur conviction
et ont vote pour le texte, alors que la majorite au Senat a bascule a
gauche en septembre dernier. Il n'en reste pas moins que l'on n'aurait
jamais dû soumettre la politique etrangère de la France a un calcul
electoral et que les consequences de la colère turque risquent d'etre
très prejudiciables a notre pays. De toute facon, il est infiniment
preferable que les Francais votent au nom de ce qu'ils croient bon
pour la France, plutôt qu'en fonction d'un quelconque particularisme
ou de l'interet d'un groupe.
Stephane
armenews.com
jeudi 16 fevrier 2012
Le Senat a adopte lundi soir la proposition de loi reprimant
la negation du genocide armenien ; le texte avait ete vote par
l'Assemblee nationale le 22 decembre dernier. Ce scrutin ouvre une
periode de tension grave entre la France et la Turquie et le ministre
des Affaires etrangères, Alain Juppe, ne cache pas sa mauvaise humeur.
EN TURQUIE, le gouvernement, la presse et l'opinion sont revoltes
contre une loi qu'ils jugent injuste et " raciste ". Les Turcs, deja
outres par la mauvaise volonte des Europeens au sujet de l'adhesion
de la Turquie a l'Union des Vingt-Sept et informes de l'hostilite
personnelle de Nicolas Sarkozy a cette adhesion, sont maintenant
exasperes par une initative parlementaire, soutenue, de toute evidence,
par l'Elysee, qui les transforme tous en delinquants potentiels
puisqu'ils nient la realite du genocide. En France meme, de nombreux
historiens ont mis en garde l'opinion contre l'ingerence de la classe
politique dans un dossier qui ne devrait appartenir qu'aux historiens.
Un debat de dix ans.
Le debat ne date pas de l'annee dernière. La France a reconnu le
genocide armenien en 2001. Une proposition de loi qui reprimait la
negation de tout genocide a ete adoptee par l'Assemblee en 2006,
mais, sur intervention du gouvernement, elle n'a pu etre soumise
au Senat en 2008. Treize ans auparavant, l'historien americain
Bernard Lewis affirmait que, pour qu'il y ait genocide, il faut
qu'un gouvernement ait concu le projet de detruire un peuple, comme
ce fut le cas du Troisième Reich et du peuple juif. Lewis ne pensait
pas que le gouvernement de Turquie (" Jeunes-Turcs ") etait implique
dans le genocide armenien qui a eu lieu d'avril 1915 a juillet 1918
et s'est traduit par l'elimination de quelque un million deux cent
mille Armeniens d'Anatolie. La thèse de Lewis, exposee en 1993, fut
decriee, mais soutenue par des historiens comme Madeline Reberioux et
Pierre Nora, lequel n'a pas change d'avis : il a averti les Francais,
a plusieurs reprises, depuis deux mois, des consequences negatives du
melange des genres, action politique et recherche historique. Trente et
une personnalites, dont Claude Lanzmann et Serge Klarsfeld, affirment,
pour leur part, que " le legislateur ne s'est pas immisce sur le
territoire de l'historien ".
Tous ces arguments sont servis avec une once de componction et avec
la distance que doit prendre le chercheur. Ils n'en traduisent pas
moins l'une de ces vives passions que nourrit chacun de nos debats de
societe. Car, après tout, dans le cas de la Shoah, la France a adopte
une loi pour punir le negationnisme et le revisionnisme. Pourquoi,
dans l'absolu, ne devrait-elle avoir une position identique sur la
negation des autres genocides ? Peut-etre parce que les historiens
sont divises sur le genocide armenien, les uns estimant qu'il reunit
tous les elements qui en font un precurseu du genocide juif, les autres
comparant plutôt le conflit opposant les Turcs aux Armeniens a ce qui
s'est passe en Yougoslavie entre Serbes et Croates, entre musulmans
et chretiens. L'etalonnage de ces evenements tragiques de l'histoire
est embarrassant : les peuples victimes d'un genocide n'ont pas envie,
quoi qu'on en dise, de porter cette qualification en sautoir ; mais
ceux a qui on la conteste croient la meriter, a tort ou a raison.
LE DEBAT SUR LE NEGATIONNISME PORTE EN REALITE SUR LE GENOCIDE LUI-MÊME
En revanche, il est impossible de separer la loi recemment adoptee du
contexte electoral. Bien qu'on comprenne mal que la majorite actuelle
ait pris tant de peine et de risques pour s'assurer le vote " armenien
" (pas plus de 200 000 suffrages), ce n'est pas un hasard si la
proposition a surgi dans la majorite a quelques mois du premier tour.
Le plus surprenant, c'est qu'elle ait souleve un debat très vif,
avec des prises de position tranchees, aussi bien a droite qu'a gauche.
C'est ainsi que des senateurs socialistes, pourtant conscients de la
man~\uvre engagee par l'UMP, sont restes fidèles a leur conviction
et ont vote pour le texte, alors que la majorite au Senat a bascule a
gauche en septembre dernier. Il n'en reste pas moins que l'on n'aurait
jamais dû soumettre la politique etrangère de la France a un calcul
electoral et que les consequences de la colère turque risquent d'etre
très prejudiciables a notre pays. De toute facon, il est infiniment
preferable que les Francais votent au nom de ce qu'ils croient bon
pour la France, plutôt qu'en fonction d'un quelconque particularisme
ou de l'interet d'un groupe.