SORTIR DU NéGATIONNISME
Stephane
armenews.com
mardi 17 janvier 2012
En présentant des excuses aux Kurdes alévis pour un massacre commis
en 1937, le Premier ministre Erdogan donne l'espoir aux Arméniens
et aux autres minorités spoliées de voir leurs droits reconnus.
Le 23 novembre 2011 est une date qu'il faudra marquer d'une pierre
blanche. C'est ce jour-la en effet que, pour la première fois
en Turquie, un Premier ministre a dévoilé au nom de l'Etat, en
s'appuyant sur des archives, une page sombre de notre histoire qui
nous fait honte. Et le plus important, c'est que, en prime, il a
demandé pardon pour cela. Même si cet événement s'inscrit dans
un contexte de politique politicienne - donnant au parti au pouvoir,
l'AKP, l'occasion de mettre le principal parti d'opposition, le CHP,
en difficulté -, on peut néanmoins dire qu'avec cette déclaration
un seuil très important a été franchi.
Chez nous, en Orient, la formation de bon nombre d'Etats-nations
s'est faite sur fond de nettoyage ethnique et religieux,
et d'homogénéisation de la société. Les Etats issus de ce
processus perpétuent d'ailleurs un système fondé sur une politique
négationniste, sur l'oubli et le rejet de tout travail de mémoire.
Dans un tel contexte, ces sociétés se retrouvent a stagner et a
avoir peur. D'autres sociétés, en revanche, parce qu'elles ont
placé l'être humain au centre de leurs valeurs, ont réussi a
ouvrir la porte a la possibilité d'assumer leur passé. Y a-t-il
encore quelqu'un chez nous qui ignore ce qui s'est passé en 1937-1938
dans la région du Dersim [est de l'Anatolie] ? Selon les documents
officiels, 13 000 personnes y ont été assassinées et 11 000 autres
déportées par l'armée, qui appliquait les ordres d'un gouvernement
dont l'objectif n'était autre alors que l'anéantissement de ce
particularisme local. Cette politique n'était pas une réaction a un
quelconque soulèvement local : il s'agissait d'un massacre planifié
dès 1926.
Mais il y a d'autres parts d'ombre dans notre histoire pour lesquelles
nous devrions également demander pardon et qui concernent la période
républicaine [a partir de 1923] : les événements de 1934 qui
ont abouti a l'expulsion des Juifs de Thrace [partie européenne
de la Turquie], l'impôt sur le revenu [varlik vergisi] en 1942
[discriminatoire a l'égard des non-musulmans], les événements
de septembre 1955 [pogroms visant principalement les Grecs,
les Arméniens et les Juifs d'Istanbul], la spoliation des biens
des Grecs en 1963, la prison de Diyarbakir en 1980 [où la torture
fut massivement pratiquée] ou encore les exécutions illégales
commanditées par l'Etat pendant les années 1990... Les occasions
de se confronter a un passé douloureux ne manquent donc pas.
La société turque n'ignore pas que ces pages sombres de notre
histoire ne sont pas seulement l'apanage de la période républicaine.
L'incroyable tragédie qui commence a la fin du XIXe siècle et qui
culmine avec un génocide [le génocide arménien] flagrant en 1915
n'a-t-elle pas, de par sa dimension idéologique, rendu possible
l'usage d'une brutalité qui a pu être pratiquée aussi après
l'instauration de la république et qui nous ramène aujourd'hui
a cette époque ? Nous savons désormais ce qui s'est passé, mais
nous persistons a le nier. Souhaitons que les excuses présentées
par Tayyip Erdogan marquent vraiment le début d'une nouvelle ère.
http://www.courrierinternational.com/article/2011/12/01/sortir-du-negationnisme
Stephane
armenews.com
mardi 17 janvier 2012
En présentant des excuses aux Kurdes alévis pour un massacre commis
en 1937, le Premier ministre Erdogan donne l'espoir aux Arméniens
et aux autres minorités spoliées de voir leurs droits reconnus.
Le 23 novembre 2011 est une date qu'il faudra marquer d'une pierre
blanche. C'est ce jour-la en effet que, pour la première fois
en Turquie, un Premier ministre a dévoilé au nom de l'Etat, en
s'appuyant sur des archives, une page sombre de notre histoire qui
nous fait honte. Et le plus important, c'est que, en prime, il a
demandé pardon pour cela. Même si cet événement s'inscrit dans
un contexte de politique politicienne - donnant au parti au pouvoir,
l'AKP, l'occasion de mettre le principal parti d'opposition, le CHP,
en difficulté -, on peut néanmoins dire qu'avec cette déclaration
un seuil très important a été franchi.
Chez nous, en Orient, la formation de bon nombre d'Etats-nations
s'est faite sur fond de nettoyage ethnique et religieux,
et d'homogénéisation de la société. Les Etats issus de ce
processus perpétuent d'ailleurs un système fondé sur une politique
négationniste, sur l'oubli et le rejet de tout travail de mémoire.
Dans un tel contexte, ces sociétés se retrouvent a stagner et a
avoir peur. D'autres sociétés, en revanche, parce qu'elles ont
placé l'être humain au centre de leurs valeurs, ont réussi a
ouvrir la porte a la possibilité d'assumer leur passé. Y a-t-il
encore quelqu'un chez nous qui ignore ce qui s'est passé en 1937-1938
dans la région du Dersim [est de l'Anatolie] ? Selon les documents
officiels, 13 000 personnes y ont été assassinées et 11 000 autres
déportées par l'armée, qui appliquait les ordres d'un gouvernement
dont l'objectif n'était autre alors que l'anéantissement de ce
particularisme local. Cette politique n'était pas une réaction a un
quelconque soulèvement local : il s'agissait d'un massacre planifié
dès 1926.
Mais il y a d'autres parts d'ombre dans notre histoire pour lesquelles
nous devrions également demander pardon et qui concernent la période
républicaine [a partir de 1923] : les événements de 1934 qui
ont abouti a l'expulsion des Juifs de Thrace [partie européenne
de la Turquie], l'impôt sur le revenu [varlik vergisi] en 1942
[discriminatoire a l'égard des non-musulmans], les événements
de septembre 1955 [pogroms visant principalement les Grecs,
les Arméniens et les Juifs d'Istanbul], la spoliation des biens
des Grecs en 1963, la prison de Diyarbakir en 1980 [où la torture
fut massivement pratiquée] ou encore les exécutions illégales
commanditées par l'Etat pendant les années 1990... Les occasions
de se confronter a un passé douloureux ne manquent donc pas.
La société turque n'ignore pas que ces pages sombres de notre
histoire ne sont pas seulement l'apanage de la période républicaine.
L'incroyable tragédie qui commence a la fin du XIXe siècle et qui
culmine avec un génocide [le génocide arménien] flagrant en 1915
n'a-t-elle pas, de par sa dimension idéologique, rendu possible
l'usage d'une brutalité qui a pu être pratiquée aussi après
l'instauration de la république et qui nous ramène aujourd'hui
a cette époque ? Nous savons désormais ce qui s'est passé, mais
nous persistons a le nier. Souhaitons que les excuses présentées
par Tayyip Erdogan marquent vraiment le début d'une nouvelle ère.
http://www.courrierinternational.com/article/2011/12/01/sortir-du-negationnisme