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Ayse Genaysu : « Le Règne du Mensonge en Turquie »

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    TURQUIE
    Ayse Genaysu : « Le Règne du Mensonge en Turquie »


    Le négationnisme organisé, c'est le règne du mensonge. Pour obtenir
    l'adhésion, les négationnistes doivent mentir résolument et en
    permanence. Il ne peut en être autrement. La vérité, même celle
    contenue dans une information fragmentaire qui peut révéler un
    mensonge, est la pire ennemie du négationnisme. C'est pour cela que
    les négationnistes, qui ont créé un monde de mensonges, se doivent de
    combattre bec et ongles pour survivre.

    Nous vivons tous, en Turquie, dans ce monde de mensonges, à un point
    tel que nos manuels, agences de presse, documents officiels, notre
    littérature et même nos patronymes disent probablement des mensonges.
    Même nos parents ont pu nous dire des mensonges sur l'histoire de
    notre famille. Notre identité, dans son ensemble, est peut-être
    elle-même une fabrication.

    Et nous, la majorité musulmane de ce pays, nous croyons ces mensonges.
    Certains - une grande partie d'entre nous - préfèrent croire les
    mensonges juste pour mieux se fondre dans l'environnement ; certains -
    tout aussi nombreux - juste pour leur tranquillité d'esprit, évitent
    de ses poser des questions qui dérangeraient notre équilibre mental et
    nous culpabiliseraient (on sait que les punitions qu'on s'inflige
    soi-même sont pires que celles infligées par les autres). Il y a
    encore parmi nous des gens qui sont payés pour croire les mensonges et
    pour faire en sorte que les autres les croient.

    Mais mentir, ce n'est pas juste donner de fausses informations. Cacher
    la vérité c'est aussi mentir. Ainsi, certains d'entre nous, même parmi
    ceux qui se considèrent comme totalement immunisés contre les
    mensonges officiels (l'auteur de ces lignes y compris), peuvent tout à
    fait porter ce genre de mensonge - la dissimulation de la vérité - un
    effet de l'engourdissement intellectuel hérité de notre passé obscur,
    la torpeur qui éteint notre désir de rechercher la vérité.

    'Vous serez rapidement de retour'

    Les mensonges ont été au centre du Génocide des Arméniens, dès le
    début. Lors des arrestations du 24 avril 1915 à Istanbul, les
    intellectuels arméniens étaient emmenés de chez eux par des agents de
    police extrêmement polis, et comme le relate Aram Andonian dans son
    livre Exil, Traumatisme et Mort : Sur la Route de Chankiri avec
    Komitas Vartabed (Gomidas Institute 2010), on leur disait que cela ne
    prendrait pas plus de cinq minutes, qu'ils seraient rapidement de
    retour chez eux, et qu'ils ne devaient pas se faire de soucis.
    Andonian a compris pourquoi l'agent de police se comportait avec
    autant de raffinement - c'était pour ne pas alarmer ceux qu'il fallait
    encore arrêter.

    En d'autres lieux du pays, ils mentaient aux gens qui étaient chassés
    de leur village et de leur ville, leur affirmant qu'ils pourraient
    revenir et que leurs biens seraient gardés par les soins du
    gouvernement en attendant leur retour.

    Le processus génocidaire s'est développé au cours des mois et des
    années qui ont suivi sur la base de mensonges à à chacune de ses
    phases.

    La négation du mal -inconcevable, indescriptible, et irréversible -
    commis et sa régénération avec les mensonges corrompt entièrement le
    système. La négation se reproduit elle-même dans les mensonges.

    Le mensonge est continuellement au centre des mythes fondateurs de la
    République de Turquie. La notoire `guerre de libération` de 1919-1922
    était elle aussi construite et soutenue sur une supercherie. Elle a
    été présentée comme une révolte nationale pour l'indépendance ; alors
    que, la guerre déclarée contre les puissances alliées avait été mise à
    profit pour éradiquer ce qui restait des communautés non-musulmanes
    d'Asie Mineure à la suite du Génocide des Arméniens et le Génocide des
    Assyriens et des Grecs.

    Les dirigeants kémalistes ont menti aux Kurdes, également. Ils ont
    convaincu les notables kurdes de prendre part à la campagne militaire
    comme la seule façon d'arrêter les Arméniens et les Grecs de revenir
    et de réclamer leurs biens confisqués.

    La résistance des Kurdes à réaliser et à affronter la vérité était
    violemment réprimée à chaque fois, et des générations de Turcs ont été
    éduqués dans l'idée que les barbares kurdes - des traîtres - avaient
    été une menace pour l'état, et que le gouvernement n'avait aucune
    autre option que d'apporter `la paix` et `l'ordre` mais aussi `la
    civilisation` à la région où prévalait `la sauvagerie`. Tel était le
    mensonge sur l'extermination du peuple de Dersim en 1938.

    Les Turcs sont les meilleurs de toutes les nations !

    Une suite sans précédents de mensonges a été institutionnalisée par le
    nouvel appareil d'état par le recours à de pseudo-historiens qui
    étaient instruits de réécrire l'histoire de la nation - dans la forme
    de la fameuse Thèse de l'Histoire Turque , selon laquelle il était
    `prouvé` que la nation turque est à l'origine de tout ce qu'il y a de
    bon dans le monde, et que son peuple est le meilleur dans toutes les
    catégories : l'honnêteté, le courage, l'innovation, l'adresse, etc.

    Les mensonges sont le fondement du système en Turquie, un outil de
    répression utilisé à chaque période de l'histoire républicaine. Cela
    prendrait des volumes entiers de livres si l'on voulait les mentionner
    tous. Pour donner un exemple : le bombardement de la maison d'Ataturk
    à Salonique était un mensonge, un mensonge qui avait conduit à brûler
    vifs des prêtres grecs, le viol de centaines de femmes, des lynchages,
    et la profanation de lieux chrétiens au cours des pogromes de deux
    jours à Istanbul les 6 et 7 septembre 1955 - une réplique de la Nuit
    de Cristal - qui conduisit des milliers de non-musulmans, Grecs pour
    la plupart, hors de leurs terres ancestrales.

    Les mensonges n'ont jamais cessé lors des coups d'état militaires et
    entre temps, des pseudo-démocraties. Tout comme le mensonge selon
    lequel la mosquée de Marache avait été détruite par les `communistes`,
    qui avait valu aux Alévis 'être assiégés chez eux et sur les lieux de
    leur travail. Au cours du pogrom qui avait duré pendant deux jours,
    près de 150 Alévis, parmi lesquels des enfants, avaient été massacrés
    par la foule fasciste en 1978, sous un gouvernement `démocratique` et
    `civil`.

    'Nous tuons pour votre bien'

    Le coup d'état militaire de 1980 et la période qui a suivi - le règne
    de la terreur - était l'incarnation d'un mensonge du début à la fin.
    L'armée avait pris le pouvoir pour le bien de la nation. Les
    exécutions, la mort de gens sous la torture, les prisons pleines de
    monde, c'était pour le bien des Turcs.

    Les années 1990 ont été également des années de mensonge. L'incendie
    et la destruction de milliers de villages kurdes, causant la
    dispersion de millions de Kurdes, n'ont jamais été reconnus.

    Ce n'est qu'après vingt ans que des bribes de vérité sont révélées sur
    la mort de certains fonctionnaires de haut-niveau en service au plus
    fort de la guerre contre le mouvement armé kurde. On a dit que ces
    agents s'étaient suicidés, mais des procès ont été intentés par leur
    famille ; des enquêtes approfondies sur les conditions de leur mort
    ont été faites, qui ont mis en lumière encore mensonges, sous la forme
    de faux documents officiels rédigés par l'autorité militaire, des
    témoignages manipulés, mention de témoins en mission ailleurs au
    moment des événements, etc.

    Mais le mensonge le plus gros, qui couvre tous les autres comme un
    dôme invisible, est celui selon lequel aucun génocide, ni sur les
    Arméniens ni sur aucun autre peuple chrétien, n'aurait été commis `par
    le peuple turc` sur ces terres ; c'est ce mensonge qui sert de socle
    sur lequel ont été construits tous les autres.

    Préparatifs pour 2015

    L'intensité des mensonges est actuellement en augmentation en Turquie,
    à l'approche du 100ème anniversaire du Génocide des Arméniens, dont
    les organisations arméniennes à travers le monde prévoient
    commémoration.

    L'état turc, jusqu'à présent, n'a pris directement ou officiellement
    aucune disposition, mais emploie à huis-clos la `société civile` pour
    organiser des campagnes contre les `mensonges arméniens`.

    La manifestation récente et désormais bien connue sur Khodjalou du 26
    février a été la marque la plus visible et la première d'une campagne
    de mobilisation contre les Arméniens. Bien que le soutien à la fois
    des états turc et azerbaïdjanais étaient évidents, elle est présentée
    comme une initiative de la société civile.

    Les universités dirigent cette campagne `civile`. Au cours des mois
    qui viennent de s'écouler, les interventions des `chercheurs`
    négationnistes ont été organisées à l'Université Suleyman Demirel à
    Isrparta, à l'Université Dumplupinar à Kutahya, à l'Université Afyon
    Kacatepe, et à l'Université Ataturk d'Erzéroum. Cette campagne
    négationniste a même adopté une stratégie d'infiltration des
    structures sociales en faisant appel à la culture populaire, un medium
    très puissant pour prendre le contrôle mental de l'homme de la rue.

    Séries télévisées dramatiques sur `les mensonges arméniens`

    La majorité des Turcs est apparemment passionnée par les séries TV -
    productions sans fin d'amour, de haine, de complots sanglants, de
    défaites, de victoires. Elles sont au centre de la journée des Turcs
    de la classe moyenne, la couche la plus nombreuse de la population
    turque. Une série TV sur la `Question Arménienne` est en préparation.
    Sur l'Internet, une description du spectacle soutient qu'elle ne
    répandra pas la haine entre les Arméniens et les Turcs, mais dira au
    contraire la `vérité.` Mais - quelle surprise !- les conseillers
    appelés pour ces séries dramatiques, issus de l'académie, sont tous
    des négationnistes réputés qui prennent part aux conférences des
    universités sur les `atrocités arméniennes` de Khodjalou ; qui
    écrivent des livres négationnistes ; qui sont les porte-parole de la
    thèse officielle de l'état. Qui plus est, la productrice a siégé
    pendant longtemps au bureau exécutif du parti AKP et est membre de
    l'une des circonscriptions les plus peuplées d'Istanbul comme
    représentante de son parti. Les mensonges sur l'histoire arménienne
    seront ainsi instillés plus facilement et de façon plus convaincante
    que par des études scientifiques et universitaires.

    Et les `pro-Arméniens` ?

    J'ai parlé, au début, de ceux d'entre nous `...qui se considèrent
    comme totalement immunisés contre les mensonges officiels.` Dans le
    numéro du 27 février du quotidien Radikal, considéré comme le seul
    journal `de gauche` de la grande presse, un article d'Onur Caymaz,
    écrivain progressiste et démocrate, est paru. Caymaz, dans son
    article, condamne sans réserve le discours de haine employé dans la
    manifestation de Taksim sur Khodjalou. A tel point que le titre en
    était : `nous sommes tous des salauds !` en réponse à la banderole de
    la manifestation sur laquelle on lisait : `Vous êtes tous des
    Arméniens, vous êtes tous des salauds !`.

    Ayant exprimé son dégoût envers une telle haine arménienne (je dois
    dire, de façon très remarquable), il a donné un exemple pour montrer
    qu'il n'est du côté d'aucune atrocité contre une autre. Sur ce point,
    il a cité un `livre` dont le titre est Renaissance de nos Ames par
    Zori Balayan, 'qui a pris part au massacre de Khodjalou', et décrit la
    torture commise à un `turc` gé de 13 ans à Khodjalou. La citation est
    très longue, Balayan décrivant avec un évident plaisir et satisfaction
    de soi, les détails sur la façon dont il a enlevé la peau de l'abdomen
    et des membres du garçon, un `sein coupé` de sa mère enfoncé dans sa
    bouche pour l'empêcher de crier de douleur. La citation continue,
    Balayan expliquant comment, docteur en médecine et humaniste par
    profession` il était insensible à le vue du jeune garçon mourant ou
    perdant son sang pendant sept minutes ; il ne ressentait une
    `renaissance de son me` par la vengeance d'un centième de ce que les
    Turcs avaient fait` à ses ancêtres.

    Même si on ne savait pas qu'un tel livre de Zori Balayan n'existait
    pas, il devrait être tout à fait évident, d'après le langage employé
    pour décrire la torture, que la citation était totalement fabriquée.
    Ce qui était choquant, c'est que la citation n'était pas faite par un
    ultranationaliste turc, un haïsseur d'Arméniens, mais par une personne
    qui dénonce sincèrement le racisme et la discrimination. Quelques
    jours après la parution de cet article, Caymaz écrivit sur son blog
    personnel qu'il avait eu tort, qu'il était évident que Zori Balayan
    n'avait pas écrit ce livre et que les citations étaient fausses. Il
    dit avoir entendu parler de ce livre par le médecin azéri, invité avec
    d'autres à une émission de télévision. Caymaz était apparemment
    dépourvu du moindre soupçon quand à la possibilité qu'une partie au
    conflit puisse mentir. Mais où a-t-il trouvé cette citation ? J'ai
    cherché moi-même, et j'ai découvert qu'elle n'apparaissait que sur les
    sites web ultranationalistes. Même cela ne l'a pas enclin à avoir des
    soupçons. Et le comité éditorial du journal Radikal n'a pas trouvé que
    cette citation outrageusement cruelle était douteuse. Les mensonges,
    ainsi, trouvent facilement leur chemin dans les media progressistes et
    leur audience.

    Des mensonges pour nous tous

    J'ai aussi dit au début, `y compris l'auteur de ces mots,` parlant du
    véhicule de cette sorte de mensonge spécifique, c'est-à-dire cacher la
    vérité. Il n'y a que quelques mois que je me suis intéressée à
    l'histoire du membre de l'ASALA Levon Ekmedjian, qui a été exécuté par
    pendaison en 1983 à Ankara à la suite d'un jugement militaire, sur
    l'accusation d'avoir été l'un des auteurs du `massacre d'Esenboga` à
    Ankara en 1982. Nous, membres ou sympathisants des partis et groupes
    socialistes-révolutionnaires de cette époque, quelques uns en prison,
    d'autres dans la clandestinité en Turquie, d'autres encore réfugiés
    dans des pays étrangers, nous croyions la relation que le régime
    militaire faisait de l'attaque d'Esenboga. Même si parmi eux étaient
    des personnes exceptionnelles, aucune ne s'est jamais exprimée. Le
    silence absolu à propos d'Ekmedjian dans la mémoire des
    `révolutionnaires` et dans les livres sur le thème des personnes
    exécutées sous le régime militaire des années 1980 indique clairement
    la façon dont on évitait de mettre en doute le rapport officiel
    relatif à l'attaque d'Esenboga de l'Asala, et comment nous avons tout
    simplement ignoré le cas de Levon Ekmedjian.

    Des fissures dans la plus gardée des places fortes

    Mais la vie réserve toujours des surprises ; elle comporte en
    elle-même un tel dynamisme qu'aucun plan pour cacher la vérité ne peut
    servir indéfiniment, dans la mesure où l'élément humain est impliqué.

    De nos jours, des articles circulent dans les media sociaux concernant
    Levon Ekmedjian - ses photographies, les récits de ses camarades - un
    certain nombre de Turcs et de Kurdes échangent activement des
    informations nouvellement acquises entre eux. Cela est très important
    dans la mesure où l'Armée Secrète de Libération de l'Arménie est
    peut-être encore le seul sujet absolument intouchable parmi tous les
    autres sujets liés à la Question Arménienne, même dans les milieux
    socialistes, et reste un outil inestimable de manipulation pour
    l'appareil négationniste.

    Avec la manifestation de Khodjalou d'Istanbul, les mensonges officiels
    sur le conflit du Karabagh sont devenus aussi vulnérables au fur et à
    mesure que les personnes, au moins celles qui veulent savoir la
    vérité, ont de plus en plus accès au point de vue arménien sur les
    événements.

    Oui, le négationnisme organisé signifie le règne du mensonge. Mais
    même les forteresses du mensonge sont destinées à s'écrouler, quand un
    jour ou l'autre apparaît une fissure qui se propage et part dans
    toutes les directions, fragilisant l'ensemble de la structure. Il
    n'est que de se poser des questions, refuser d'être convaincu,
    chercher à en savoir plus, et le dire aux autres. Et la Turquie ne
    fait pas exception à cette règle.

    Ecrit par Ayse Gunaysu le 11 mai 2012

    The Armenien Weelkly

    Traduction de Gilbert Béguian

    dimanche 20 mai 2012
    Stéphane ©armenews.com

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