La Croix, France
Jeudi 4 Avril 2013
La Turquie face à son histoire arménienne
ESSAI Ce travail de terrain de deux journalistes français évoque le
rapport de la Turquie contemporaine à la question arménienne
par ROTIVEL Agnès
La Turquie et le fantôme arménien de Laure Marchand et Guillaume
Perrier Actes Sud, 224 p., 23 EUR
Longtemps la question arménienne fut taboue en Turquie, elle ne l'est
plus aujourd'hui. Non par la volonté des autorités turques. Mais parce
que les fantômes des victimes du génocide arménien ne cessent de
réapparaître dans la vie des Turcs. Le pays ne peut y échapper, même
s'il a tout fait pour gommer leur existence.
Lorsque Laure Marchand et Guillaume Perrier, tous deux journalistes
français, s'installent en Turquie en 2005 comme correspondants pour Le
Figaro et Le Nouvel Observateur, et Le Monde, un comité d'historiens
turcs organise pour la première fois une conférence intitulée: « Les
Arméniens ottomans au moment du déclin de l'Empire ». La conférence
suscite des réactions haineuses de la part des partis nationalistes, «
mais, se souvient Laure Marchand, pour la première fois, le mot
génocide était prononcé publiquement ». Le tabou était brisé.
Lors de leurs reportages dans le pays, les deux journalistes se
rendent compte que la présence arménienne est partout, contrairement
au discours officiel qui ne reconnaissait la présence que d'environ 60
000 Arméniens à - Istanbul et plus un seul en Anatolie.
La réalité est en fait bien différente. « Dans le pays, nous
rencontrions des hommes et des femmes qui nous chuchotaient qu'ils
étaient arméniens. Soit ils avaient caché leur véritable identité
pendant toutes ces années, soit ils avaient été islamisés. On se
rendait compte que ces gens-là avaient traversé le XX e siècle dans
l'ombre. » D'où l'idée d'écrire un livre sur ces fantômes qui hantent
le pays. D'autant qu'une fois de plus, le 19 janvier 2007, l'actualité
les rattrape, lorsque le journaliste arménien Hrant Dink, militant de
la réconciliation, est assassiné.
Sur la question arménienne, ils découvrent que la société turque est
plus en avance que l'État, dont le discours officiel nie toujours les
massacres. « Les Turcs ont de plus en plus conscience qu'il s'est bien
passé quelque chose et que l'Empire ottoman a eu une responsabilité
dans ces événements. » Ce que montrent les témoignages rapportés tout
au long de leur livre.
La publication du Livre de ma grand-mère, de Fethiye çetin, est un
événement. L'auteur turque y raconte comme elle découvre que sa propre
grand-mère est arménienne, un fait qui lui a toujours été caché. « Ce
livre a vraiment débloqué les mémoires et les consciences. Tout le
monde se sentait concerné », poursuit Laure Marchand. L'histoire a
bouleversé les Turcs, levant le voile sur des secrets similaires dans
de nombreuses familles.
En 2015, les Arméniens commémoreront le centenaire du génocide, ils
espèrent que ce sera l'occasion aussi, pour la Turquie et ses
responsables politiques, de regarder son histoire et, peut-être, d'en
faire une nouvelle lecture.
Jeudi 4 Avril 2013
La Turquie face à son histoire arménienne
ESSAI Ce travail de terrain de deux journalistes français évoque le
rapport de la Turquie contemporaine à la question arménienne
par ROTIVEL Agnès
La Turquie et le fantôme arménien de Laure Marchand et Guillaume
Perrier Actes Sud, 224 p., 23 EUR
Longtemps la question arménienne fut taboue en Turquie, elle ne l'est
plus aujourd'hui. Non par la volonté des autorités turques. Mais parce
que les fantômes des victimes du génocide arménien ne cessent de
réapparaître dans la vie des Turcs. Le pays ne peut y échapper, même
s'il a tout fait pour gommer leur existence.
Lorsque Laure Marchand et Guillaume Perrier, tous deux journalistes
français, s'installent en Turquie en 2005 comme correspondants pour Le
Figaro et Le Nouvel Observateur, et Le Monde, un comité d'historiens
turcs organise pour la première fois une conférence intitulée: « Les
Arméniens ottomans au moment du déclin de l'Empire ». La conférence
suscite des réactions haineuses de la part des partis nationalistes, «
mais, se souvient Laure Marchand, pour la première fois, le mot
génocide était prononcé publiquement ». Le tabou était brisé.
Lors de leurs reportages dans le pays, les deux journalistes se
rendent compte que la présence arménienne est partout, contrairement
au discours officiel qui ne reconnaissait la présence que d'environ 60
000 Arméniens à - Istanbul et plus un seul en Anatolie.
La réalité est en fait bien différente. « Dans le pays, nous
rencontrions des hommes et des femmes qui nous chuchotaient qu'ils
étaient arméniens. Soit ils avaient caché leur véritable identité
pendant toutes ces années, soit ils avaient été islamisés. On se
rendait compte que ces gens-là avaient traversé le XX e siècle dans
l'ombre. » D'où l'idée d'écrire un livre sur ces fantômes qui hantent
le pays. D'autant qu'une fois de plus, le 19 janvier 2007, l'actualité
les rattrape, lorsque le journaliste arménien Hrant Dink, militant de
la réconciliation, est assassiné.
Sur la question arménienne, ils découvrent que la société turque est
plus en avance que l'État, dont le discours officiel nie toujours les
massacres. « Les Turcs ont de plus en plus conscience qu'il s'est bien
passé quelque chose et que l'Empire ottoman a eu une responsabilité
dans ces événements. » Ce que montrent les témoignages rapportés tout
au long de leur livre.
La publication du Livre de ma grand-mère, de Fethiye çetin, est un
événement. L'auteur turque y raconte comme elle découvre que sa propre
grand-mère est arménienne, un fait qui lui a toujours été caché. « Ce
livre a vraiment débloqué les mémoires et les consciences. Tout le
monde se sentait concerné », poursuit Laure Marchand. L'histoire a
bouleversé les Turcs, levant le voile sur des secrets similaires dans
de nombreuses familles.
En 2015, les Arméniens commémoreront le centenaire du génocide, ils
espèrent que ce sera l'occasion aussi, pour la Turquie et ses
responsables politiques, de regarder son histoire et, peut-être, d'en
faire une nouvelle lecture.