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Syrie: "Nous Etions Des Insectes, Les Geôliers Des Machines A Broyer

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    SYRIE: "NOUS ETIONS DES INSECTES, LES GEÔLIERS DES MACHINES A BROYER"

    L'Express, France
    24 avril 2013

    Propos recueillis par Catherine Gouëset, publie le 24/04/2013 a 14:40,
    mis a jour a 21:46

    Aram Karabet, un Syrien d'origine armenienne, emprisonne pendant
    treize ans pour son appartenance au Parti communiste, temoigne, dans
    un livre paru chez Actes Sud, des tortures infligees a des milliers
    d'opposants. L'Express l'a rencontre.

    Militant communiste syrien, Aram Karabet, arrete en 1987 par les
    services de renseignements, a passe sept ans dans une prison de Damas,
    puis six ans dans le terrible penitencier de Palmyre. Le recit qu'il a
    tire de son experience, Treize ans dans les prisons syriennes, voyage
    vers l'inconnu, vient d'etre publie en francais par les editions
    Actes Sud. L'Express l'a rencontre.

    Vous decrivez des scènes d'une violence inouïe. Où le regime
    trouve-t-il les geôliers et les bourreaux pour commettre de tels actes?

    Tout d'abord, je tiens a preciser que je n'ai aucunement exagere
    les scènes de violence, de torture, d'humiliation par lesquelles
    moi et mes camarades sommes passes. Non seulement tout ce que je
    decris correspond a des choses vecues, mais je peux meme dire que
    la maîtrise que j'ai de ma langue ne suffit pas a exprimer toute
    l'horreur a laquelle nous avons ete confrontes.

    La brutalite des bourreaux s'explique sans doute par l'endoctrinement
    auquel ils ont ete soumis. On a entre dans le crâne de ces soldats,
    des jeunes d'a peine 18 ou 19 ans au moment de leur recrutement, que
    les prisonniers sont des traîtres a la patrie, des espions d'Israël,
    des salopards... On leur a inculque la haine de ces renegats.

    Le culte de la personnalite cree autour de Hafez-el-Assad, sa quasi
    deification dans un pays où il n'y a pas d'institutions dignes de ce
    nom, y est aussi pour quelque chose. On a enseigne a ces jeunes une
    devotion absolue au "president eternel" avant de leur expliquer que
    tous ces prisonniers veulent sa perte, sa mort.

    Les geôliers ont aussi de veritables seances de formation a la torture,
    par exemple au moyen de planches où sont fixes des modèles de pieds
    en metal, afin qu'ils s'entraînent a frapper la plante des pieds a
    l'aide de câbles, pour causer le maximum de souffrance possible. Le
    regime s'efforce d'inculquer aux matons un sentiment de toute puissance
    vis a vis des prisonniers. "Il ne peut pas se defendre, alors vas-y,
    lâche-toi, tu peux l'ecraser comme un cafard". Le detenu est transforme
    en insecte et le geôlier en machine a broyer.

    Comment expliquer les scènes de procès où l'on fait reference de
    facon sourcilleuse a un pretendu Code penal, alors que dans le meme
    temps les detenus sont traites avec l'arbitraire le plus absolu?

    Les personnes arretees au debut des annees 1980 l'ont ete sans aucun
    jugement, pendant une douzaine d'annees. Le president decidait selon
    son bon vouloir de leur sort. Mais au debut des annees 1990, le regime
    a cherche a normaliser ses relations avec l'Occident. Il s'est engage
    dans l'operation "Tempete du desert" contre l'Irak, et dans le cadre
    de la Conference de Madrid (consacree au conflit israelo-palestinien),
    il esperait recuperer le Golan occupe. Les Americains et les Europeens
    ont alors demande des gestes en matière de droits de l'Homme, en
    particulier envers les prisonniers politiques. D'où ces parodies
    de procès. Nous aurions prefere qu'ils n'aient pas lieu. On etait
    passibles de douze ans a quinze ans de detention pour appartenance
    a un parti politique non autorise. Un allègement de peine n'etait
    possible qu'a trois conditions: renier le parti auquel on appartenait,
    renoncer a toute activite politique, et accepter de devenir un
    indicateur. Comme plusieurs de mes camarades, j'ai refuse, et j'ai
    ete envoye dans l'enfer de Palmyre.

    Pourquoi le regime, qui etait allie de l'URSS, persecutait-il les
    communistes sur son territoire?

    Le Parti communiste syrien a soutenu le parti Baas depuis sa prise de
    pouvoir en 1963 et a continue a le faire après le coup d'Etat qui a
    porte Hafez el-Assad a la tete du pays en 1970. Mais cela a entraîne
    une grave crise en son sein. Les dissensions se sont aussi accrues
    dans le contexte de divisions du bloc communiste dans le monde,
    notamment entre Moscou et Pekin. Certains membres du PC syrien ont
    conteste le suivisme du parti vis-a-vis de l'URSS et du regime. Puis,
    au moment de l'intervention syrienne au Liban en 1976, la branche du
    parti a laquelle j'appartenais, le Parti communiste syrien (Bureau
    politique), dirigee par Riad al-Turk - a pris clairement position
    contre cette politique.

    Ensuite, en 1980, notre parti a ete l'un des fers de lance de la
    creation d'un front de l'opposition, le Rassemblement patriotique
    democratique. Dans son programme, le Front democratique faisait
    l'autocritique des positions anterieures de la gauche arabe et
    militait pour un regime democratique, la separation des pouvoirs,
    le multipartisme,la liberte syndicale et celle de la presse... C'est
    pourquoi le pouvoir s'est acharne sur nous avec tant de hargne. Le
    PC officiel, -qui s'etait lui aussi scinde en deux-, a en revanche
    continue de soutenir le regime et avait des ministres au gouvernement.

    Ces gens-la n'ont pas leve le petit doigt pour defendre les anciens
    camarades que nous etions quand nous avons ete persecutes.

    Comment etaient les relations avec les prisonniers politiques des
    autres mouvements?

    Sur le plan humain, elles etaient très correctes. Nous partagions la
    meme experience des coups, de la torture. Il nous arrivait de discuter
    de choses et d'autres, mais nous evitions les sujets politiques,
    surtout avec les Frères musulmans. Nous avions tous conscience de la
    necessite d'eviter les tensions, pour rester solidaires et tenir bon
    face aux brimades, a la repression.

    Une telle brutalisation de la societe a-t-elle laisse des traces?

    Dès sa prise de pouvoir, le clan el-Assad avait dans l'idee qu'il etait
    la pour l'eternite. Le changement ne lui paraissait pas envisageable;
    le regime etait inebranlable et se maintiendrait coûte que coûte,
    par la ruse, la corruption ou la terreur. En prison, on nous disait
    "Nous sommes vos maîtres. Nous vous ecraserons jusqu'au dernier. Mais
    si l'impossible devait se produire, si vous l'emportiez, alors
    ecrasez-nous". Ils montraient ainsi leur determination a aller
    jusqu'au bout.

    Je crois que dans tous les villages et villes de Syrie, il est
    impossible de trouver une famille qui n'ait pas eu l'un des siens
    humilie, emprisonne, torture ou tue au cours des 40 annees du regime
    al-Assad. Cela explique la determination et le courage des opposants,
    mais aussi la violence d'une partie d'entre eux. C'est soit on gagne,
    soit on meurt. Ils savent que le regime ne transigera pas, qu'il n'y
    a pas d' alternative.

    Comment jugez vous la situation actuelle en Syrie?

    L'indecision de la communaute internationale contribue a faire durer la
    tragedie. Les Americains n'ont pas une politique claire vis-a-vis de la
    Syrie. Les Europeens non plus d'ailleurs. Un jour ils annoncent qu'ils
    vont aider l'opposition, le lendemain ils reculent. On a l'impression
    que tout le monde accepte l'idee que les Syriens se massacrent entre
    eux, que le pays se dechire. Les Occidentaux se satisfont de cette
    dechirure. Un jour, les deux parties seront si epuisees qu'elles
    accepteront n'importe quelle solution, y compris le partage du pays,
    que ce soit un partage du pouvoir ou du territoire.

    Un peu a la facon de ce qui s'est passe en Irak, où l'on a un pouvoir
    chiite a Bagdad, avec une region kurde autonome de fait et une zone
    sunnite hors de contrôle.

    Le souvenir enfui de la rivière Khabour

    Pendant ses longues annees de captivite et de souffrance, Aram Karabet
    s'evadait des murs de la prison en se rememorant ses jeux d'enfants au
    bord de la rivière Khabour, les senteurs de la menthe sauvage, l'eclat
    des coquelicots sur les berges, les baignades et les parties de peche.

    Quand il est enfin rentre chez lui après treize ans de captivite,
    en août 2000, un des premiers reflexes a ete de retourner au bord
    de la rivière. Mais il n'a trouve qu'un lit desseche. La secheresse
    et l'accaparement de l'eau par les grands proprietaires terriens
    ont vide la rivière. Les paysans ruines ont emigre vers les grandes
    villes. Ils ont echoue dans les faubourgs de Damas, ceux-la meme qui
    sont devenus des foyers de contestation.

    Farouk Mardam-Bey a assure la traduction de l'arabe.

    http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/syrie-nous-etions-des-insectes-les-geoliers-des-machines-a-broyer_1243618.html



    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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