GENOCIDE ARMENIEN : INFORMATIONS SUR LES MASSACRES DE SEERT
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=75007
Publie le : 16-08-2013
Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Collectin VAN vous
invite a lire cette information publiee sur le site Imprescriptible.
Imprescriptible
Chapitre IV Des informations sur les massacres de Seert parviennent
a Mardin
Les trois pères dominicains1 et le père Armale, recueillent a Mardin
des informations sur les massacres de Seert. De leur côte, l'abbe
Naayem et le temoin chaldeen donnent des versions voisines. Ces
chroniqueurs ne sont que les porte-parole des survivants qui leur
ont confie leur recit. Le recoupement de ces rapports permet de se
faire une idee precise sur les evenements survenus a Seert de mai a
septembre 1915, avec cette part d'incertitude liee aux necessaires
contradictions des temoignages. D'autre part, dans cette region
où les chretiens sont en grande majorite armeniens, les rares
survivants des massacres sont des chaldeens. Ils parlent d'abord du
sort des chretiens de leur confession, ce qui contribue a deformer la
perception des evenements. C'est pourquoi ce recit decale de faits
survenus a distance de Mardin, mais rapportes a Mardin presente un
interet tout particulier.
Bien que la ville ne soit pas situee administrativement dans le vilayet
de Diarbekir, elle est l'un des principaux diocèses chaldeens - ce
diocèse comprend trente villages - et les chaldeens y furent tues avec
les autres chretiens. Le sandjak est rattache geographiquement a la
province de Diarbekir. En effet, il est coince entre les montagnes
du Taurus armenien au Nord, le Bohtan Sou a l'Ouest et le Tigre au
Sud. Ses voies de communication se font par le vilayet de Diarbekir.
C'est ainsi qu'après les massacres de Seert une partie des survivants
des differentes confessions se refugient a Mardin où ils racontent
leur histoire. D'autre part, la province de Bitlis est plongee dans la
guerre en mai 1915. Le vali, Mustafa Abdulhalik, beau-frère de Talaat,
ne commence a persecuter les Armeniens qu'a partir de la fin avril
1915. Il est soutenu par les Kurdes, majoritaires dans le vilayet. A
la fin mai, le vali de Van, Djevdet, beau-frère d'Enver, qui conduit
les operations militaires dans son vilayet, fait assassiner depuis le
debut de la guerre les chretiens des regions frontalières de Perse. A
la fin mai, il doit evacuer Van en hâte devant la poussee de l'armee
russe, sans avoir pu reduire les Armeniens retranches dans leurs
quartiers. Il ne peut attaquer les nestoriens du Hakkari, invincibles
dans leurs montagnes, et il s'enfuit vers le sud. Il entre a Seert
avec 8 000 soldats qu'il appelle lui-meme les " bataillons bourreaux
" - kassap tabouri. C'est dans ce contexte que sont perpetres les
massacres de Seert et des villages environnants.
La ville de Seert est a cinquante kilomètres au sud-ouest de
Bitlis, a quatre jours de marche de Mardin, dans une vallee riante
formee par le fleuve Bohtan, sur le versant sud des montagnes du
Sassoun. Elle est entouree de vallons couvert de vignobles, de
figuiers, d'amandiers, de grenadiers et de noisetiers. Ses maisons
a deux etages sont construites avec du gypse, une sorte de plâtre,
ce qui les rend humides et fragiles2. De loin, avec ses maisons
blanches, la ville a belle allure. Mais les demeures sont souvent
delabrees et les egouts s'ecoulent a l'air libre dans les rues. Le
sandjak de Seert comprend plus de 60 000 chretiens, dont 25 000
Armeniens apostoliques3, 20 000 jacobites, 15 000 chaldeens, des
Syriens catholiques et quelques nestoriens. La population de la ville
de Seert est estimee en 1914 a 7 442 habitants, dont 3 320 Kurdes
et 4 032 Armeniens (423 maisons), qui disposent de deux eglises
(apostolique dediee aux saints Thaddee et Barthelemy et catholique)
et d'un temple protestant4. L'eveche du diocèse armenien est installe
dans le monastère voisin de Saint-Jacques. Ce decompte ne mentionne pas
les autres communautes. Or le merkez-caza de Seert regroupe trente-six
villages, en majorite chaldeens et jacobites. Sur les 12 000 chretiens
de ce caza, 7 000 au moins sont chaldeens, pour la plupart des
villageois. Le diocèse chaldeen de Seert est sous la responsabilite
de l'archeveque, Monseigneur Addaï Scheer. Ce prelat est un ancien
elève des dominicains de Mossoul. C'est aussi un savant celèbre par
ses recherches historiques. Les pères dominicains francais ont une
maison a Seert. Ils possèdent un couvent, deux ecoles de garcons et
de filles et un orphelinat tenu par des s~\urs de la Presentation,
assistees par quatre chretiennes de la ville. Le 21 novembre 1914,
trois semaines après l'entree en guerre de l'Empire ottoman, les trois
missionnaires, les pères Michel de Boisset, Louis Sayegh et Chariot,
sont invites a regagner la France et ils confient les affaires de
leurs ecoles et de leur orphelinat aux religieux et enseignants
sujets ottomans5.
L'intendance est assuree par Suleiman dont le frère dirige le couvent
El-Choufa au Liban6. Les six s~\urs tertiaires, de nationalite
ottomane, restent a Seert. L'eglise de la mission devient une mosquee
et l'ecole un magasin militaire. Les orphelins, comme les s~\urs,
sont victimes des tracasseries de la police7.
Au mois de mai 1915, une bande kurde se dirige sur Seert. Monseigneur
Addaï offre cinq cents livres au mutessarif, Hilmi bey, qui fait
eloigner les Kurdes. Le chef de la municipalite, Abdul Rezzak,
ami de plusieurs familles chaldeennes, est destitue et remplace par
Hami effendi qui voue aux chretiens une haine fanatique. Des bruits
circulent, annoncant tantôt l'arrivee des Kurdes, tantôt celle des
soldats. Les massacres de Seert auraient commence brutalement, le 5
juin 1915, a l'arrivee de Djevdet et de ses bataillons bourreaux. En
fait, son armee ne reste pas longtemps a Seert. Elle se dirige vers
Bitlis. Après avoir ete rejoint par le 5e corps expeditionnaire de
Halil, Djevdet investit Bitlis a la mi-juin et y detruit la population
chretienne.
Selon les temoignages des survivants, il apparaît que la presence de
cette armee provoque une ruee sur les maisons armeniennes, et que le
processus, ainsi amorce, reprend ensuite selon le protocole habituel.
Dans un rapport remis au ministère des Affaires etrangères francais, le
16 janvier 1918, le consul de France a Bassorah reproduit le temoignage
d'un chaldeen, qui pourrait faire croire que les massacres ont eu
lieu sur place : " On peut considerer notre diocèse chaldeen de Seert
comme tout a fait extermine. En fait, les registres du gouvernement
ne portent que les noms de 767 hommes, mais ce ne sont que les noms de
ceux qui furent fusilles en une fois sur le penchant d'une colline qui
se trouve a une heure de la ville. Le nombre est beaucoup plus grand
de ceux qui furent tues dans les maisons et les rues. Les massacres
durèrent plus d'un mois. Ils commencèrent vers la mi-mai 1915 et ne
finirent qu'au mois de juin. Personne ne fut epargne. Les tchatals
[tchete] se chargèrent des chretiens de la ville et les Kurdes de
ceux des villages...8 "
Le recit du père Armale et les temoignages de survivants chaldeens
recueillis par l'abbe Naayem permettent de reconstituer les etapes
de la suppression des chretiens de Seert qui a lieu selon le schema
habituel9.
Dès le 5 juin, les maisons sont pillees par les soldats et les notables
sont arretes - parmi eux, ceux des familles Mansour, Aboche, Kerendi,
Nasri, Sado, Hikari -, ainsi que les pretres - seul, Monseigneur
Addaï parvient a s'echapper pour etre ensuite tue [recit S1]. Ils
sont rassembles dans la caserne et depouilles de leurs vetements
par les tchete. Le regiment de tchete est constitue de deserteurs
sortis de leur cachette pour etre enrôles dans cette milice et de
brigands. Des notables musulmans de Seert les commandent. Ces miliciens
ont pour toute arme une epee. Pendant quatre jours ces detenus sont
tortures. Le mardi 8 juin, la maison des dominicains est assaillie
par les soldats, envahie et pillee. La superieure, s~\ur Suzanne,
est rouee de coups. Plusieurs jeunes filles sont enlevees. Le 9 juin,
par groupes de sept, les detenus sont conduits par une centaine de
tchete a une heure de Seert, dans la vallee Zeryebe. Un religieux
syrien catholique du couvent Saint-Ephrem de Mardin prononce un court
preche : il exhorte ces hommes a mourir dans la foi du Christ. Ils
sont ensuite egorges.
Pendant un mois, les femmes vivent calfeutrees dans leurs maisons
où elles cachent les hommes qui ont echappe aux perquisitions et
pillages. Le jour, elles circulent d'une maison a l'autre, par les
terrasses, et elles rentrent la nuit dans leurs maisons videes en
apportant la nourriture. Quelques musulmans font, pour elles, leurs
achats en ville. Elles les remontent par des cordes descendues des
fenetres. Puis la menace d'une deportation se precise. Par des ruses
diverses, les fonctionnaires et les soldats etablissent des listes
des chretiens restes dans leurs maisons et recensent les objets de
valeurs qu'ils ont preserves.
Le 11 juillet, un dimanche matin, les maisons chretiennes sont
evacuees. Femmes et enfants sont reunis dans la cour de la caserne où
ils passent la nuit. Le lendemain, ils sont deportes avec un convoi
de femmes venu de Bitlis. Au total, ce sont plus de 1 000 femmes
qui partent de Seert par ce premier convoi. Les enfants qui les
accompagnent ont tous moins de six ans. Les autres ont ete enleves ou
tues. Elles marchent par des chemins caillouteux, devetues, mourant de
faim et de soif, epuisees par la chaleur, leurs enfants dans les bras.
Plusieurs jours après, elles arrivent a Savour. Elles ne sont guère
plus de 250. Le kaïmakam demande a Mardin ce qu'il doit en faire.
Bedreddine lui repond qu'il doit les garder, ce qui signifie les faire
disparaître. Elles partent alors dans des chemins de montagne. Une
femme accouche en route d'un enfant mort-ne. Contrainte de poursuivre,
elle meurt peu après. Le reste du convoi parvient dans une vallee,
Wadi-Waweli, où des Kurdes les attendent. Ils lapident les deportees,
prennent leurs vetements et enlèvent quelques jeunes filles [recits
S2 et S3].
Deux convois suivent, le deuxième quinze jours après - il comprend
des Armeniennes et des jacobites -, le troisième huit jours après le
deuxième - il regroupe 600 femmes chaldeennes. Le 16 août, quelques
survivantes parviennent a Mardin où elles font au père Armale le
recit de ces evenements. Parmi elles, une s~\ur dominicaine, la s~\ur
Wareina, accompagnee de trois autres femmes. Elles appartiennent
au troisième et dernier convoi. Les deportees ont marche dans des
conditions aussi insupportables que les femmes des deux autres
convois. A chaque etape, les tchete passaient au cours de la nuit
avec des torches. Ils choisissaient leurs victimes, les violaient
et les tuaient. La s~\ur, qui marchait en compagnie de sa mère, de
ses s~\urs et de leurs enfants, s'etait barbouille le visage pour
s'enlaidir. La mère est assassinee, une de ses s~\urs tuees pour
avoir refuse de suivre un Kurde. Elle-meme est laissee pour morte
et rejoint a Mardin l'eglise Saint-Ephrem, où elle a la joie de
retrouver les trois pères dominicains de Mossoul. Sur 350 femmes de
son convoi, elles sont seulement10 a survivre. Près de Mardin, les
femmes se sont procure des hardes pour se vetir. Le père Berre les
accueille a Saint-Ephrem. Il les confie a Monseigneur Tappouni qui
les envoie se retablir au couvent des s~\urs, puis les fait conduire
a Mossoul. Dans son rapport au ministère des Affaires etrangères, le
père Berre mentionne le recit de la religieuse, s~\ur Wareina : " Une
des religieuses institutrices indigènes de notre mission appartenant a
notre residence de Seert, dans le Kurdistan, nous rejoignit a Mardin
dans le courant de septembre 1915 et nous donna des renseignements
precis sur les massacres dont elle avait ete temoin...
Presque tous les chretiens de Seert, Armeniens, Chaldeens et Syriens
catholiques, au nombre d'environ 12 000, avaient ete massacres. Des
familles entières avaient ete torturees dans leurs maisons. Un pretre
chaldeen, ancien elève de notre seminaire de Mossoul, avait ete coupe
en morceaux dans les rues de cette ville. Beaucoup d'hommes avaient
subi aussi, dans les rues, d'atroces supplices. La population musulmane
avait pris part au carnage. L'archeveque chaldeen de Seert, Monseigneur
Addaï Scheer, ancien elève de notre seminaire, qui avait essaye de
fuir, fut rejoint en route et fusille par les gendarmes envoyes a sa
poursuite. On forma ensuite des convois de femmes et d'enfants qui
furent achemines de divers côtes. Nos religieuses institutrices et
plusieurs jeunes filles elèves de leurs ecoles furent emmenees avec
un grand nombre d'autres femmes sur le chemin qui conduit de Seert a
Mardin. Elles furent livrees, vers le milieu de la route, a des bandes
de Kurdes qui les attendaient a un endroit indique a l'avance. Après
les avoir depouillees de leurs vetements, ces barbares, aides par les
gendarmes, les attachèrent par petits groupes les unes aux autres ;
des enfants etaient lies avec leur mère. Chaque groupe fut place,
comme une cible, a une certaine distance et lapide par ces energumènes
qui hurlaient de joie quand les coups avaient bien porte. Un chef
kurde d'un village voisin, saisi de compassion, emmena dans sa maison
une vingtaine de ces pauvres femmes et pourvut genereusement a leur
entretien pendant plusieurs mois. Il donna la liberte a quelques
unes d'entre elles après s'etre assure qu'elles seraient recueillies
a Mardin dans des maisons chretiennes. Notre institutrice fut de ce
nombre. Il nous envoya, plus tard, deux elèves de nos ecoles de Seert.
Plusieurs femmes de Seert qui avaient ete emmenees dans d'autres
convois vinrent aussi se refugier a Mardin. Leur temoignage confirma
les renseignements qui nous avaient ete donnes sur les massacres de
cette region. Elles avaient assiste aux tortures de tout genre subies
par leurs malheureuses compagnes 10 ".
Soixante femmes et enfants de Seert sont rachetees aux Kurdes par
l'archeveque chaldeen de Mardin, Monseigneur Israël. Il s'agit sans
doute de deportees du troisième convoi11 [Recit S4].
Le sort des s~\urs dominicaines de Seert preoccupe au premier chef
le frère Simon, d'autant que plusieurs sont originaires de Mardin. Il
s'agit des six s~\urs tertiaires " indigènes ", donc restees après le
depart des pères francais de la mission de Seert - la seule survivante
est la s~\ur Wareina, refugiee a Saint-Ephrem. La superieure, s~\ur
Suzanne Kahka, soixante-trois ans, fondatrice de la maison de Seert,
part avec le convoi du 12 juillet. Elle tombe, epuisee, après trois
jours de marche. Peu après, elle est depouillee de ses vetements par
les miliciens convoyeurs et tuee d'une balle en plein c~\ur. A Savour,
a quinze heures de Mardin, trois autres s~\urs, filles de notables
de Mardin, sont lapidees par des Kurdes : Anna, fille d'Hakouf Habo,
trente trois ans ; Seïdi, fille de Saïd Sado, trente ans ; Radji,
de la famille Kerendi, trente ans. La s~\ur Warda meurt après le
premier jour de marche, lorsque la caravane s'arrete a Daradja Tellen,
poignardee par des tchete. Ses tantes et une nièce qui l'accompagnent
sont tuees quelques heures après12.
Seuls restent a Seert un groupe d'enfants qui sont nourris de temps
en temps jusqu'a ce qu'on les tue a l'approche de l'armee russe. Les
musulmans de la ville s'approprient les biens meubles et immeubles
des chretiens. Ils fouillent les maisons de fond en comble et sondent
les murs où ils decouvrent parfois de l'argent cache. Ils pillent
les magasins et dilapident les produits. La cathedrale chaldeenne
est transformee en ecurie et le cimetière chretien est profane. Les
trente-six villages chaldeens des environs sont rases, leurs habitants
tues sur place ou conduits a Seert pour partir avec les convois13. A
Redwan, où vivent 500 chaldeens, les femmes et les enfants sont enduits
de petrole et brûles14. Pour le seul diocèse chaldeen, ce sont trente
et une eglises, sept chapelles et un ancien couvent qui sont detruits.
L'informateur chaldeen du consul de France a Bassorah donne
cependant une version differente des evenements de Seert, puisqu'il
confirme l'arrivee a Mossoul de deportees chretiennes appartenant
a differentes confessions : " Les femmes armeniennes de Seert
arrivèrent les premières a Mossoul. De 1 700 qu'elles etaient en
partant, a peine 600 ou 700 arrivèrent, et dans un etat lamentable,
après huit jours de marches forcees. Les arrivantes etaient toutes
des femmes âgees. Les jeunes avaient ete ravies par les Kurdes ou
vendues et tuees par les gendarmes. Elles furent installees dans
la maison du delegue apostolique, habillees a neuf par le consul
allemand [Holstein] : elles eurent ensuite le sort des autres. Les
femmes chaldeennes de Seert eurent un sort plus malheureux encore,
mais avec cela une conduite heroïque et digne d'admiration. Après
avoir resiste pendant près d'un mois aux sollicitations impudiques
des officiers turcs et de leur soldatesque devergondee, elles furent
traitees sans pitie a cause de leur vertu. On leur avait promis de
les laisser dans leurs foyers après la disparition de leurs maris et
enfants. Pour se mettre a l'abri des dangers qu'elles couraient, elles
s'etaient reunies dans les cinq ou six grandes maisons du quartier
chaldeen. Elles furent delogees en fin de compte de leurs abris et
conduites dans une direction inconnue. Elles sortirent de la ville
en cortège, toutes habillees en noir, et en larmes. Les tertiaires
dominicaines, au nombre de seize, les precedaient et chantaient des
cantiques [il n'y avait que six s~\urs tertiaires a Seert].
Leur superieure, une vieille, fut tuee a coups de crosse parce qu'elle
ne pouvait plus se traîner [s~\ur Suzanne]. Un certain nombre d'entre
elles, dit-on, avec plusieurs autres jeunes filles se jetèrent dans
une rivière et perirent ainsi pour echapper aux poursuites de leurs
bourreaux. D'autres furent prises par les Kurdes. Le plus grand nombre
s'extenuèrent en route ou perirent sous les coups des gendarmes qui
les pressaient de marcher tantôt dans une direction, tantôt dans une
autre. J'ai vu 9 d'entre elle, (5 femmes et 4 fillettes), de mes
proches, arriver a Mossoul dans un etat piteux. Après mon depart,
j'ai appris que deux nièces et deux petits neveux etaient venus se
joindre a mes parents a Mossoul. A y ajouter quatre cousines et un
cousin encore a Mossoul, une quinzaine de filles a Mardin, une dizaine
de personnes a Alep, une quarantaine de femmes retenues par les Kurdes
dans le village de Tello, a une heure a l'est de Seert, peut-etre une
vingtaine d'autres a Seert meme et dans les autres villages, en tout
a peine une centaine de personnes, c'est tout ce qui reste du diocèse
chaldeen de Seert qui comptait 7 000 a 8 000 âmes. Le reste, eveque,
clerge de la ville et des trente petits villages qui composaient le
diocèse a complètement disparu15 ".
1) Malheureusement le recit du père Rhetore sur Seert s'interrompt
après quelques pages : les pp. 300 a 314 manquent.
2) V. Cuinet, op. cit., vol. II, p. 601.
3) R. Kevorkian, op. cit., p. 502.
4) Ibid., p. 503.
5) J. M. Merigoux, Va a Ninive ! Un dialogue avec l'Irak. Mossoul et
les villages chretiens, op. cit., pp. 459-461.
6) Al qoucara [trad. B], p. 386.
7) J. M. Merigoux, op. cit., p. 460.
8) MAE, A 394-3. " Les victimes de la nation chaldeenne dans les
massacres d'Armenie ", pp. 186-194.
9) J. Naayem, Les Assyro-chaldeens et les Armeniens massacres par
les Turcs, op. cit., pp. 48-96. Une liste des fonctionnaires et des
notables musulmans qui dirigent les massacres et les pillages a Seert
figure pp. 57-58.
10) A. Beylerian, art. cit., pp. 90-91.
11) J. Naayem, op. cit., p. 87.
12) H. Simon, op. cit., pp. 170-171 ; cf. infra, fiches biographiques.
13) La liste des principaux villages chaldeens figure dans J. Naayem,
op. cit., p. 49.
14) Ibidem, p. 87.
15) MAE, A 394-3. " Les victimes de la nation chaldeenne dans les
massacres d'Armenie ", pp. 191-192.
sommaire - suite
© Revue d'Histoire Armenienne Contemporaine pour toutes les editions |
© Yves Ternon pour le texte Mardin 1915
Retour a la rubrique
Source/Lien : Imprescriptible.fr
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=75007
Publie le : 16-08-2013
Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Collectin VAN vous
invite a lire cette information publiee sur le site Imprescriptible.
Imprescriptible
Chapitre IV Des informations sur les massacres de Seert parviennent
a Mardin
Les trois pères dominicains1 et le père Armale, recueillent a Mardin
des informations sur les massacres de Seert. De leur côte, l'abbe
Naayem et le temoin chaldeen donnent des versions voisines. Ces
chroniqueurs ne sont que les porte-parole des survivants qui leur
ont confie leur recit. Le recoupement de ces rapports permet de se
faire une idee precise sur les evenements survenus a Seert de mai a
septembre 1915, avec cette part d'incertitude liee aux necessaires
contradictions des temoignages. D'autre part, dans cette region
où les chretiens sont en grande majorite armeniens, les rares
survivants des massacres sont des chaldeens. Ils parlent d'abord du
sort des chretiens de leur confession, ce qui contribue a deformer la
perception des evenements. C'est pourquoi ce recit decale de faits
survenus a distance de Mardin, mais rapportes a Mardin presente un
interet tout particulier.
Bien que la ville ne soit pas situee administrativement dans le vilayet
de Diarbekir, elle est l'un des principaux diocèses chaldeens - ce
diocèse comprend trente villages - et les chaldeens y furent tues avec
les autres chretiens. Le sandjak est rattache geographiquement a la
province de Diarbekir. En effet, il est coince entre les montagnes
du Taurus armenien au Nord, le Bohtan Sou a l'Ouest et le Tigre au
Sud. Ses voies de communication se font par le vilayet de Diarbekir.
C'est ainsi qu'après les massacres de Seert une partie des survivants
des differentes confessions se refugient a Mardin où ils racontent
leur histoire. D'autre part, la province de Bitlis est plongee dans la
guerre en mai 1915. Le vali, Mustafa Abdulhalik, beau-frère de Talaat,
ne commence a persecuter les Armeniens qu'a partir de la fin avril
1915. Il est soutenu par les Kurdes, majoritaires dans le vilayet. A
la fin mai, le vali de Van, Djevdet, beau-frère d'Enver, qui conduit
les operations militaires dans son vilayet, fait assassiner depuis le
debut de la guerre les chretiens des regions frontalières de Perse. A
la fin mai, il doit evacuer Van en hâte devant la poussee de l'armee
russe, sans avoir pu reduire les Armeniens retranches dans leurs
quartiers. Il ne peut attaquer les nestoriens du Hakkari, invincibles
dans leurs montagnes, et il s'enfuit vers le sud. Il entre a Seert
avec 8 000 soldats qu'il appelle lui-meme les " bataillons bourreaux
" - kassap tabouri. C'est dans ce contexte que sont perpetres les
massacres de Seert et des villages environnants.
La ville de Seert est a cinquante kilomètres au sud-ouest de
Bitlis, a quatre jours de marche de Mardin, dans une vallee riante
formee par le fleuve Bohtan, sur le versant sud des montagnes du
Sassoun. Elle est entouree de vallons couvert de vignobles, de
figuiers, d'amandiers, de grenadiers et de noisetiers. Ses maisons
a deux etages sont construites avec du gypse, une sorte de plâtre,
ce qui les rend humides et fragiles2. De loin, avec ses maisons
blanches, la ville a belle allure. Mais les demeures sont souvent
delabrees et les egouts s'ecoulent a l'air libre dans les rues. Le
sandjak de Seert comprend plus de 60 000 chretiens, dont 25 000
Armeniens apostoliques3, 20 000 jacobites, 15 000 chaldeens, des
Syriens catholiques et quelques nestoriens. La population de la ville
de Seert est estimee en 1914 a 7 442 habitants, dont 3 320 Kurdes
et 4 032 Armeniens (423 maisons), qui disposent de deux eglises
(apostolique dediee aux saints Thaddee et Barthelemy et catholique)
et d'un temple protestant4. L'eveche du diocèse armenien est installe
dans le monastère voisin de Saint-Jacques. Ce decompte ne mentionne pas
les autres communautes. Or le merkez-caza de Seert regroupe trente-six
villages, en majorite chaldeens et jacobites. Sur les 12 000 chretiens
de ce caza, 7 000 au moins sont chaldeens, pour la plupart des
villageois. Le diocèse chaldeen de Seert est sous la responsabilite
de l'archeveque, Monseigneur Addaï Scheer. Ce prelat est un ancien
elève des dominicains de Mossoul. C'est aussi un savant celèbre par
ses recherches historiques. Les pères dominicains francais ont une
maison a Seert. Ils possèdent un couvent, deux ecoles de garcons et
de filles et un orphelinat tenu par des s~\urs de la Presentation,
assistees par quatre chretiennes de la ville. Le 21 novembre 1914,
trois semaines après l'entree en guerre de l'Empire ottoman, les trois
missionnaires, les pères Michel de Boisset, Louis Sayegh et Chariot,
sont invites a regagner la France et ils confient les affaires de
leurs ecoles et de leur orphelinat aux religieux et enseignants
sujets ottomans5.
L'intendance est assuree par Suleiman dont le frère dirige le couvent
El-Choufa au Liban6. Les six s~\urs tertiaires, de nationalite
ottomane, restent a Seert. L'eglise de la mission devient une mosquee
et l'ecole un magasin militaire. Les orphelins, comme les s~\urs,
sont victimes des tracasseries de la police7.
Au mois de mai 1915, une bande kurde se dirige sur Seert. Monseigneur
Addaï offre cinq cents livres au mutessarif, Hilmi bey, qui fait
eloigner les Kurdes. Le chef de la municipalite, Abdul Rezzak,
ami de plusieurs familles chaldeennes, est destitue et remplace par
Hami effendi qui voue aux chretiens une haine fanatique. Des bruits
circulent, annoncant tantôt l'arrivee des Kurdes, tantôt celle des
soldats. Les massacres de Seert auraient commence brutalement, le 5
juin 1915, a l'arrivee de Djevdet et de ses bataillons bourreaux. En
fait, son armee ne reste pas longtemps a Seert. Elle se dirige vers
Bitlis. Après avoir ete rejoint par le 5e corps expeditionnaire de
Halil, Djevdet investit Bitlis a la mi-juin et y detruit la population
chretienne.
Selon les temoignages des survivants, il apparaît que la presence de
cette armee provoque une ruee sur les maisons armeniennes, et que le
processus, ainsi amorce, reprend ensuite selon le protocole habituel.
Dans un rapport remis au ministère des Affaires etrangères francais, le
16 janvier 1918, le consul de France a Bassorah reproduit le temoignage
d'un chaldeen, qui pourrait faire croire que les massacres ont eu
lieu sur place : " On peut considerer notre diocèse chaldeen de Seert
comme tout a fait extermine. En fait, les registres du gouvernement
ne portent que les noms de 767 hommes, mais ce ne sont que les noms de
ceux qui furent fusilles en une fois sur le penchant d'une colline qui
se trouve a une heure de la ville. Le nombre est beaucoup plus grand
de ceux qui furent tues dans les maisons et les rues. Les massacres
durèrent plus d'un mois. Ils commencèrent vers la mi-mai 1915 et ne
finirent qu'au mois de juin. Personne ne fut epargne. Les tchatals
[tchete] se chargèrent des chretiens de la ville et les Kurdes de
ceux des villages...8 "
Le recit du père Armale et les temoignages de survivants chaldeens
recueillis par l'abbe Naayem permettent de reconstituer les etapes
de la suppression des chretiens de Seert qui a lieu selon le schema
habituel9.
Dès le 5 juin, les maisons sont pillees par les soldats et les notables
sont arretes - parmi eux, ceux des familles Mansour, Aboche, Kerendi,
Nasri, Sado, Hikari -, ainsi que les pretres - seul, Monseigneur
Addaï parvient a s'echapper pour etre ensuite tue [recit S1]. Ils
sont rassembles dans la caserne et depouilles de leurs vetements
par les tchete. Le regiment de tchete est constitue de deserteurs
sortis de leur cachette pour etre enrôles dans cette milice et de
brigands. Des notables musulmans de Seert les commandent. Ces miliciens
ont pour toute arme une epee. Pendant quatre jours ces detenus sont
tortures. Le mardi 8 juin, la maison des dominicains est assaillie
par les soldats, envahie et pillee. La superieure, s~\ur Suzanne,
est rouee de coups. Plusieurs jeunes filles sont enlevees. Le 9 juin,
par groupes de sept, les detenus sont conduits par une centaine de
tchete a une heure de Seert, dans la vallee Zeryebe. Un religieux
syrien catholique du couvent Saint-Ephrem de Mardin prononce un court
preche : il exhorte ces hommes a mourir dans la foi du Christ. Ils
sont ensuite egorges.
Pendant un mois, les femmes vivent calfeutrees dans leurs maisons
où elles cachent les hommes qui ont echappe aux perquisitions et
pillages. Le jour, elles circulent d'une maison a l'autre, par les
terrasses, et elles rentrent la nuit dans leurs maisons videes en
apportant la nourriture. Quelques musulmans font, pour elles, leurs
achats en ville. Elles les remontent par des cordes descendues des
fenetres. Puis la menace d'une deportation se precise. Par des ruses
diverses, les fonctionnaires et les soldats etablissent des listes
des chretiens restes dans leurs maisons et recensent les objets de
valeurs qu'ils ont preserves.
Le 11 juillet, un dimanche matin, les maisons chretiennes sont
evacuees. Femmes et enfants sont reunis dans la cour de la caserne où
ils passent la nuit. Le lendemain, ils sont deportes avec un convoi
de femmes venu de Bitlis. Au total, ce sont plus de 1 000 femmes
qui partent de Seert par ce premier convoi. Les enfants qui les
accompagnent ont tous moins de six ans. Les autres ont ete enleves ou
tues. Elles marchent par des chemins caillouteux, devetues, mourant de
faim et de soif, epuisees par la chaleur, leurs enfants dans les bras.
Plusieurs jours après, elles arrivent a Savour. Elles ne sont guère
plus de 250. Le kaïmakam demande a Mardin ce qu'il doit en faire.
Bedreddine lui repond qu'il doit les garder, ce qui signifie les faire
disparaître. Elles partent alors dans des chemins de montagne. Une
femme accouche en route d'un enfant mort-ne. Contrainte de poursuivre,
elle meurt peu après. Le reste du convoi parvient dans une vallee,
Wadi-Waweli, où des Kurdes les attendent. Ils lapident les deportees,
prennent leurs vetements et enlèvent quelques jeunes filles [recits
S2 et S3].
Deux convois suivent, le deuxième quinze jours après - il comprend
des Armeniennes et des jacobites -, le troisième huit jours après le
deuxième - il regroupe 600 femmes chaldeennes. Le 16 août, quelques
survivantes parviennent a Mardin où elles font au père Armale le
recit de ces evenements. Parmi elles, une s~\ur dominicaine, la s~\ur
Wareina, accompagnee de trois autres femmes. Elles appartiennent
au troisième et dernier convoi. Les deportees ont marche dans des
conditions aussi insupportables que les femmes des deux autres
convois. A chaque etape, les tchete passaient au cours de la nuit
avec des torches. Ils choisissaient leurs victimes, les violaient
et les tuaient. La s~\ur, qui marchait en compagnie de sa mère, de
ses s~\urs et de leurs enfants, s'etait barbouille le visage pour
s'enlaidir. La mère est assassinee, une de ses s~\urs tuees pour
avoir refuse de suivre un Kurde. Elle-meme est laissee pour morte
et rejoint a Mardin l'eglise Saint-Ephrem, où elle a la joie de
retrouver les trois pères dominicains de Mossoul. Sur 350 femmes de
son convoi, elles sont seulement10 a survivre. Près de Mardin, les
femmes se sont procure des hardes pour se vetir. Le père Berre les
accueille a Saint-Ephrem. Il les confie a Monseigneur Tappouni qui
les envoie se retablir au couvent des s~\urs, puis les fait conduire
a Mossoul. Dans son rapport au ministère des Affaires etrangères, le
père Berre mentionne le recit de la religieuse, s~\ur Wareina : " Une
des religieuses institutrices indigènes de notre mission appartenant a
notre residence de Seert, dans le Kurdistan, nous rejoignit a Mardin
dans le courant de septembre 1915 et nous donna des renseignements
precis sur les massacres dont elle avait ete temoin...
Presque tous les chretiens de Seert, Armeniens, Chaldeens et Syriens
catholiques, au nombre d'environ 12 000, avaient ete massacres. Des
familles entières avaient ete torturees dans leurs maisons. Un pretre
chaldeen, ancien elève de notre seminaire de Mossoul, avait ete coupe
en morceaux dans les rues de cette ville. Beaucoup d'hommes avaient
subi aussi, dans les rues, d'atroces supplices. La population musulmane
avait pris part au carnage. L'archeveque chaldeen de Seert, Monseigneur
Addaï Scheer, ancien elève de notre seminaire, qui avait essaye de
fuir, fut rejoint en route et fusille par les gendarmes envoyes a sa
poursuite. On forma ensuite des convois de femmes et d'enfants qui
furent achemines de divers côtes. Nos religieuses institutrices et
plusieurs jeunes filles elèves de leurs ecoles furent emmenees avec
un grand nombre d'autres femmes sur le chemin qui conduit de Seert a
Mardin. Elles furent livrees, vers le milieu de la route, a des bandes
de Kurdes qui les attendaient a un endroit indique a l'avance. Après
les avoir depouillees de leurs vetements, ces barbares, aides par les
gendarmes, les attachèrent par petits groupes les unes aux autres ;
des enfants etaient lies avec leur mère. Chaque groupe fut place,
comme une cible, a une certaine distance et lapide par ces energumènes
qui hurlaient de joie quand les coups avaient bien porte. Un chef
kurde d'un village voisin, saisi de compassion, emmena dans sa maison
une vingtaine de ces pauvres femmes et pourvut genereusement a leur
entretien pendant plusieurs mois. Il donna la liberte a quelques
unes d'entre elles après s'etre assure qu'elles seraient recueillies
a Mardin dans des maisons chretiennes. Notre institutrice fut de ce
nombre. Il nous envoya, plus tard, deux elèves de nos ecoles de Seert.
Plusieurs femmes de Seert qui avaient ete emmenees dans d'autres
convois vinrent aussi se refugier a Mardin. Leur temoignage confirma
les renseignements qui nous avaient ete donnes sur les massacres de
cette region. Elles avaient assiste aux tortures de tout genre subies
par leurs malheureuses compagnes 10 ".
Soixante femmes et enfants de Seert sont rachetees aux Kurdes par
l'archeveque chaldeen de Mardin, Monseigneur Israël. Il s'agit sans
doute de deportees du troisième convoi11 [Recit S4].
Le sort des s~\urs dominicaines de Seert preoccupe au premier chef
le frère Simon, d'autant que plusieurs sont originaires de Mardin. Il
s'agit des six s~\urs tertiaires " indigènes ", donc restees après le
depart des pères francais de la mission de Seert - la seule survivante
est la s~\ur Wareina, refugiee a Saint-Ephrem. La superieure, s~\ur
Suzanne Kahka, soixante-trois ans, fondatrice de la maison de Seert,
part avec le convoi du 12 juillet. Elle tombe, epuisee, après trois
jours de marche. Peu après, elle est depouillee de ses vetements par
les miliciens convoyeurs et tuee d'une balle en plein c~\ur. A Savour,
a quinze heures de Mardin, trois autres s~\urs, filles de notables
de Mardin, sont lapidees par des Kurdes : Anna, fille d'Hakouf Habo,
trente trois ans ; Seïdi, fille de Saïd Sado, trente ans ; Radji,
de la famille Kerendi, trente ans. La s~\ur Warda meurt après le
premier jour de marche, lorsque la caravane s'arrete a Daradja Tellen,
poignardee par des tchete. Ses tantes et une nièce qui l'accompagnent
sont tuees quelques heures après12.
Seuls restent a Seert un groupe d'enfants qui sont nourris de temps
en temps jusqu'a ce qu'on les tue a l'approche de l'armee russe. Les
musulmans de la ville s'approprient les biens meubles et immeubles
des chretiens. Ils fouillent les maisons de fond en comble et sondent
les murs où ils decouvrent parfois de l'argent cache. Ils pillent
les magasins et dilapident les produits. La cathedrale chaldeenne
est transformee en ecurie et le cimetière chretien est profane. Les
trente-six villages chaldeens des environs sont rases, leurs habitants
tues sur place ou conduits a Seert pour partir avec les convois13. A
Redwan, où vivent 500 chaldeens, les femmes et les enfants sont enduits
de petrole et brûles14. Pour le seul diocèse chaldeen, ce sont trente
et une eglises, sept chapelles et un ancien couvent qui sont detruits.
L'informateur chaldeen du consul de France a Bassorah donne
cependant une version differente des evenements de Seert, puisqu'il
confirme l'arrivee a Mossoul de deportees chretiennes appartenant
a differentes confessions : " Les femmes armeniennes de Seert
arrivèrent les premières a Mossoul. De 1 700 qu'elles etaient en
partant, a peine 600 ou 700 arrivèrent, et dans un etat lamentable,
après huit jours de marches forcees. Les arrivantes etaient toutes
des femmes âgees. Les jeunes avaient ete ravies par les Kurdes ou
vendues et tuees par les gendarmes. Elles furent installees dans
la maison du delegue apostolique, habillees a neuf par le consul
allemand [Holstein] : elles eurent ensuite le sort des autres. Les
femmes chaldeennes de Seert eurent un sort plus malheureux encore,
mais avec cela une conduite heroïque et digne d'admiration. Après
avoir resiste pendant près d'un mois aux sollicitations impudiques
des officiers turcs et de leur soldatesque devergondee, elles furent
traitees sans pitie a cause de leur vertu. On leur avait promis de
les laisser dans leurs foyers après la disparition de leurs maris et
enfants. Pour se mettre a l'abri des dangers qu'elles couraient, elles
s'etaient reunies dans les cinq ou six grandes maisons du quartier
chaldeen. Elles furent delogees en fin de compte de leurs abris et
conduites dans une direction inconnue. Elles sortirent de la ville
en cortège, toutes habillees en noir, et en larmes. Les tertiaires
dominicaines, au nombre de seize, les precedaient et chantaient des
cantiques [il n'y avait que six s~\urs tertiaires a Seert].
Leur superieure, une vieille, fut tuee a coups de crosse parce qu'elle
ne pouvait plus se traîner [s~\ur Suzanne]. Un certain nombre d'entre
elles, dit-on, avec plusieurs autres jeunes filles se jetèrent dans
une rivière et perirent ainsi pour echapper aux poursuites de leurs
bourreaux. D'autres furent prises par les Kurdes. Le plus grand nombre
s'extenuèrent en route ou perirent sous les coups des gendarmes qui
les pressaient de marcher tantôt dans une direction, tantôt dans une
autre. J'ai vu 9 d'entre elle, (5 femmes et 4 fillettes), de mes
proches, arriver a Mossoul dans un etat piteux. Après mon depart,
j'ai appris que deux nièces et deux petits neveux etaient venus se
joindre a mes parents a Mossoul. A y ajouter quatre cousines et un
cousin encore a Mossoul, une quinzaine de filles a Mardin, une dizaine
de personnes a Alep, une quarantaine de femmes retenues par les Kurdes
dans le village de Tello, a une heure a l'est de Seert, peut-etre une
vingtaine d'autres a Seert meme et dans les autres villages, en tout
a peine une centaine de personnes, c'est tout ce qui reste du diocèse
chaldeen de Seert qui comptait 7 000 a 8 000 âmes. Le reste, eveque,
clerge de la ville et des trente petits villages qui composaient le
diocèse a complètement disparu15 ".
1) Malheureusement le recit du père Rhetore sur Seert s'interrompt
après quelques pages : les pp. 300 a 314 manquent.
2) V. Cuinet, op. cit., vol. II, p. 601.
3) R. Kevorkian, op. cit., p. 502.
4) Ibid., p. 503.
5) J. M. Merigoux, Va a Ninive ! Un dialogue avec l'Irak. Mossoul et
les villages chretiens, op. cit., pp. 459-461.
6) Al qoucara [trad. B], p. 386.
7) J. M. Merigoux, op. cit., p. 460.
8) MAE, A 394-3. " Les victimes de la nation chaldeenne dans les
massacres d'Armenie ", pp. 186-194.
9) J. Naayem, Les Assyro-chaldeens et les Armeniens massacres par
les Turcs, op. cit., pp. 48-96. Une liste des fonctionnaires et des
notables musulmans qui dirigent les massacres et les pillages a Seert
figure pp. 57-58.
10) A. Beylerian, art. cit., pp. 90-91.
11) J. Naayem, op. cit., p. 87.
12) H. Simon, op. cit., pp. 170-171 ; cf. infra, fiches biographiques.
13) La liste des principaux villages chaldeens figure dans J. Naayem,
op. cit., p. 49.
14) Ibidem, p. 87.
15) MAE, A 394-3. " Les victimes de la nation chaldeenne dans les
massacres d'Armenie ", pp. 191-192.
sommaire - suite
© Revue d'Histoire Armenienne Contemporaine pour toutes les editions |
© Yves Ternon pour le texte Mardin 1915
Retour a la rubrique
Source/Lien : Imprescriptible.fr