LA DEUXIEME MORT D'ATATURK
REVUE DE PRESSE
Istanbul a ete, jusqu'a une periode recente, une ville que j'aimais
beaucoup.
Je savais quel avait ete le sort des Chretiens lorsque l'empire
byzantin etait tombe, il y a des siècles. Je savais aussi ce qui
etait arrive aux Armeniens, les transferts de population entre Grèce
et Turquie au debut du vingtième siècle. Mais je savais aussi que
c'etait un passe desormais lointain. Et Istanbul etait, et reste,
une ville belle, chargee d'histoire.
Istanbul etait aussi, chose rare dans le monde musulman, une ville où
des Juifs pouvaient etre ouvertement juifs sans risquer quoi que ce
soit, et où de superbes eglises et synagogues coexistaient avec des
mosquees. C'etait une ville où je croisais moins de femmes voilees qu'a
Londres, et où, au moment de l'appel du muezzin, des Turcs musulmans
buvaient un verre de raki, indifferents. C'etait une ville où, dans les
casinos, cabarets a la turque, on trouvait sur les tables des drapeaux
de tous les pays du monde dont ceux des Etats Unis et d'Israël, et,
au repertoire des chanteurs, des chansons de tous les pays, dont les
Etats Unis et Israël.
Istanbul a connu, voici quelques semaines, des manifestations de Turcs
fiers de l'heritage d'Ataturk et voulant preserver le rattachement
de la Turquie a l'Occident et aux societes ouvertes. Et je n'ai pas
ete surpris que ces manifestations aient lieu a Istanbul. J'etais a
Istanbul a ce moment, et j'ai vu les jeunes gens fraternels de la place
Taksim. Je revenais d'Israël, je l'ai dit, et ils m'ont dit bienvenue,
Israël est notre ami. Nombre de ces jeunes gens fraternels ont ete
blesses, emprisonnes, victimes de brutalites policières sans retenue.
Ils ont incarne, je le crains desormais, un sursaut desespere.
Erdogan assoit chaque semaine davantage un système autoritaire
islamiste. Il est patient, opiniâtre, ruse (bien plus que des hommes
tels que Morsi en Egypte), et il avance vers ses buts.
Les peines prononcees dans le procès Ergenekon la semaine dernière
ont ete le fruit d'une parodie de justice et ont acheve de decapiter
l'armee, gardienne des valeurs de la societe ouverte voulue par
Ataturk. Quasiment pas un seul des generaux de l'armee d'Ataturk,
formes aux Etats Unis, n'est encore en liberte, et ceux qui ont echappe
a la purge font très attention. Des dizaines de journalistes sont en
prison eux aussi, et ceux qui ecrivent encore pèsent soigneusement
leurs mots.
Erdogan entend devenir le leader du monde islamique radical, et n'a
pas renonce. Il depend financièrement de l'Arabie Saoudite, et ne peut
donc presentement se montrer trop hostile a Israël et se rapprocher
trop de l'Iran, mais le reste lui est permis, et il ne s'en prive pas.
Vous aimez cet article ? Inscrivez-vous a notre newsletter pour
recevoir les nouveaux articles de Dreuz, une fois par jour en fin
d'après-midi.
Ataturk est mort une première fois voici sept decennies, juste avant
la Deuxième guerre mondiale. Nous sommes sans doute en train de vivre
la deuxième mort d'Ataturk.
Et je suis surpris que cela inquiète aussi peu en Europe. Une Turquie
islamiste, ce sera le basculement vers l'islam radical du seul pays
musulman developpe economiquement du bassin mediterraneen, et du seul
pays de la region ou l'islam (parce qu'encadre strictement par un
Etat etabli pour cet encadrement strict) s'etait montre compatible
avec les valeurs de la societe ouverte.
Ce sera le basculement dans le camp ennemi d'un pays qui a, après
l'armee americaine, la plus importante armee de l OTAN, et qui
contribue aux decisions et orientations de celle-ci.
Ce sera le basculement dans le camp ennemi d'un pays qui a ete un
allie fiable d'Israël pendant des decennies (et, dirai-je, un allie
plus fiable que nombre de pays europeens).
La Turquie est, ajouterai-je, un pays qui est toujours candidat a
l'entree dans l'Union Europeenne.
Une puissance islamiste anti-occidentale dans l'OTAN equivaudrait a
annihiler l'OTAN de l'interieur.
Un maintien de la candidature d'entree de la Turquie dans l'Union
Europeenne, c'est desormais le maintien de la candidature d'un pays
quasiment islamiste dans l'Union Europeenne, et les negociations
continuent neanmoins comme si de rien n'etait.
Quand il etait encore possible d'arrimer la Turquie au monde
occidental, ce qui me semblait une idee geopolitiquement positive
et cruciale, les negociateurs europeens ont tergiverse. Maintenant
que l'arrimage devient quasiment impossible ou signifierait une
islamisation acceleree de l'Europe, les negociateurs europeens
tergiversent moins. Comme s'ils n'avaient pas voulu d'une Turquie
laïque et occidentalisee. Et comme si une Turquie islamiste les
derangeait moins.
Dois-je dire que je m'interroge plus que jamais sur les buts des
negociateurs europeens. La soumission preventive impliquee par le
projet Eurabia explique-t-elle la reticence vis-a-vis d'une Turquie
laïque et occidentalisee (reticence qui a ete vecue comme une
blessure par de nombreux Turcs) et la mansuetude extreme vis-a-vis
d'une Turquie islamiste qui serait a meme de renforcer la soumission
de l'Europe a l'islam, y compris l'islam radical ?
L'AKP d'Erdogan presente le procès Ergenekon comme une victoire de la
" democratie " en Turquie. J'ai vu certains journaux europeens parler
aussi en ces termes. C'est inquietant.
Je sais, la conception de la " democratie " qui est celle d'Erdogan
ressemble a la conception de la " democratie " qui monte en
Europe. La conception de la liberte de la presse qui est celle
d'Erdogan ressemble a une conception de la liberte de la presse qui
monte en Europe. La conception de la justice qui est celle d'Erdogan
ressemble a une conception de la justice qui monte en Europe, et que
les procès multiples intentes a Berlusconi, dont j'ai traite recemment,
illustrent, helas, fort bien. Tout comme en France une multitude de
procès dont je devrai un jour tenter de dresser la liste.
Dois-je ajouter qu'Erdogan a ete, ces cinq dernières annees, cite en
exemple par Barack Obama ?
Reproduction autorisee avec la mention suivante : © Guy Millière
pour www.Dreuz.info
samedi 17 août 2013, Stephane ©armenews.com
From: Baghdasarian
REVUE DE PRESSE
Istanbul a ete, jusqu'a une periode recente, une ville que j'aimais
beaucoup.
Je savais quel avait ete le sort des Chretiens lorsque l'empire
byzantin etait tombe, il y a des siècles. Je savais aussi ce qui
etait arrive aux Armeniens, les transferts de population entre Grèce
et Turquie au debut du vingtième siècle. Mais je savais aussi que
c'etait un passe desormais lointain. Et Istanbul etait, et reste,
une ville belle, chargee d'histoire.
Istanbul etait aussi, chose rare dans le monde musulman, une ville où
des Juifs pouvaient etre ouvertement juifs sans risquer quoi que ce
soit, et où de superbes eglises et synagogues coexistaient avec des
mosquees. C'etait une ville où je croisais moins de femmes voilees qu'a
Londres, et où, au moment de l'appel du muezzin, des Turcs musulmans
buvaient un verre de raki, indifferents. C'etait une ville où, dans les
casinos, cabarets a la turque, on trouvait sur les tables des drapeaux
de tous les pays du monde dont ceux des Etats Unis et d'Israël, et,
au repertoire des chanteurs, des chansons de tous les pays, dont les
Etats Unis et Israël.
Istanbul a connu, voici quelques semaines, des manifestations de Turcs
fiers de l'heritage d'Ataturk et voulant preserver le rattachement
de la Turquie a l'Occident et aux societes ouvertes. Et je n'ai pas
ete surpris que ces manifestations aient lieu a Istanbul. J'etais a
Istanbul a ce moment, et j'ai vu les jeunes gens fraternels de la place
Taksim. Je revenais d'Israël, je l'ai dit, et ils m'ont dit bienvenue,
Israël est notre ami. Nombre de ces jeunes gens fraternels ont ete
blesses, emprisonnes, victimes de brutalites policières sans retenue.
Ils ont incarne, je le crains desormais, un sursaut desespere.
Erdogan assoit chaque semaine davantage un système autoritaire
islamiste. Il est patient, opiniâtre, ruse (bien plus que des hommes
tels que Morsi en Egypte), et il avance vers ses buts.
Les peines prononcees dans le procès Ergenekon la semaine dernière
ont ete le fruit d'une parodie de justice et ont acheve de decapiter
l'armee, gardienne des valeurs de la societe ouverte voulue par
Ataturk. Quasiment pas un seul des generaux de l'armee d'Ataturk,
formes aux Etats Unis, n'est encore en liberte, et ceux qui ont echappe
a la purge font très attention. Des dizaines de journalistes sont en
prison eux aussi, et ceux qui ecrivent encore pèsent soigneusement
leurs mots.
Erdogan entend devenir le leader du monde islamique radical, et n'a
pas renonce. Il depend financièrement de l'Arabie Saoudite, et ne peut
donc presentement se montrer trop hostile a Israël et se rapprocher
trop de l'Iran, mais le reste lui est permis, et il ne s'en prive pas.
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Ataturk est mort une première fois voici sept decennies, juste avant
la Deuxième guerre mondiale. Nous sommes sans doute en train de vivre
la deuxième mort d'Ataturk.
Et je suis surpris que cela inquiète aussi peu en Europe. Une Turquie
islamiste, ce sera le basculement vers l'islam radical du seul pays
musulman developpe economiquement du bassin mediterraneen, et du seul
pays de la region ou l'islam (parce qu'encadre strictement par un
Etat etabli pour cet encadrement strict) s'etait montre compatible
avec les valeurs de la societe ouverte.
Ce sera le basculement dans le camp ennemi d'un pays qui a, après
l'armee americaine, la plus importante armee de l OTAN, et qui
contribue aux decisions et orientations de celle-ci.
Ce sera le basculement dans le camp ennemi d'un pays qui a ete un
allie fiable d'Israël pendant des decennies (et, dirai-je, un allie
plus fiable que nombre de pays europeens).
La Turquie est, ajouterai-je, un pays qui est toujours candidat a
l'entree dans l'Union Europeenne.
Une puissance islamiste anti-occidentale dans l'OTAN equivaudrait a
annihiler l'OTAN de l'interieur.
Un maintien de la candidature d'entree de la Turquie dans l'Union
Europeenne, c'est desormais le maintien de la candidature d'un pays
quasiment islamiste dans l'Union Europeenne, et les negociations
continuent neanmoins comme si de rien n'etait.
Quand il etait encore possible d'arrimer la Turquie au monde
occidental, ce qui me semblait une idee geopolitiquement positive
et cruciale, les negociateurs europeens ont tergiverse. Maintenant
que l'arrimage devient quasiment impossible ou signifierait une
islamisation acceleree de l'Europe, les negociateurs europeens
tergiversent moins. Comme s'ils n'avaient pas voulu d'une Turquie
laïque et occidentalisee. Et comme si une Turquie islamiste les
derangeait moins.
Dois-je dire que je m'interroge plus que jamais sur les buts des
negociateurs europeens. La soumission preventive impliquee par le
projet Eurabia explique-t-elle la reticence vis-a-vis d'une Turquie
laïque et occidentalisee (reticence qui a ete vecue comme une
blessure par de nombreux Turcs) et la mansuetude extreme vis-a-vis
d'une Turquie islamiste qui serait a meme de renforcer la soumission
de l'Europe a l'islam, y compris l'islam radical ?
L'AKP d'Erdogan presente le procès Ergenekon comme une victoire de la
" democratie " en Turquie. J'ai vu certains journaux europeens parler
aussi en ces termes. C'est inquietant.
Je sais, la conception de la " democratie " qui est celle d'Erdogan
ressemble a la conception de la " democratie " qui monte en
Europe. La conception de la liberte de la presse qui est celle
d'Erdogan ressemble a une conception de la liberte de la presse qui
monte en Europe. La conception de la justice qui est celle d'Erdogan
ressemble a une conception de la justice qui monte en Europe, et que
les procès multiples intentes a Berlusconi, dont j'ai traite recemment,
illustrent, helas, fort bien. Tout comme en France une multitude de
procès dont je devrai un jour tenter de dresser la liste.
Dois-je ajouter qu'Erdogan a ete, ces cinq dernières annees, cite en
exemple par Barack Obama ?
Reproduction autorisee avec la mention suivante : © Guy Millière
pour www.Dreuz.info
samedi 17 août 2013, Stephane ©armenews.com
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