Le Monde, France
17 août 2013
Le retour à Marseille de Gilbert Minassian, "vainqueur" du système judiciaire
LE MONDE | 17.08.2013 à 10h02 - Mis à jour le 17.08.2013 à 10h45 | Par
Luc Leroux
Décrit comme un héros de guerre en Arménie, Gilbert Minassian est
depuis quelques jours de retour à Marseille après vingt-six ans
d'exil, à la faveur de son dernier fait d'armes. L'Arménien a provoqué
une belle pagaille au ministère de la justice en obtenant que la Cour
de cassation reconnaisse, dans un arrêt du 26 juin, en raison d'une
vieille erreur juridique, la prescription de sa condamnation à la
réclusion criminelle à perpétuité par contumace. Celle-ci avait été
prononcée en mai 1989 par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône. Un
arrêt qui a contraint la justice à réexaminer le dossier de 3 500
détenus et, au final, d'en libérer vingt-deux dont la peine s'est
révélée également prescrite.
Le militant arménien de 57 ans, turbulent leader étudiant communiste à
la fin des années 1970 à Aix-en-Provence, porte aujourd'hui le grade
de colonel de l'armée nationale d'Arménie, décoré à la suite des
combats du début des années 1990 au Haut-Karabagh, enclave peuplée
d'Arméniens en Azerbaïdjan.
Applaudissements, embrassades, gerbes et recueillement à la mémoire du
résistant Missak Manouchian et des victimes du génocide de 1915 : la
communauté arménienne de Marseille a célébré avec enthousiasme son
retour, mardi 13 août.
A peine le pied posé à Marseille d'où il était parti le 28 juillet
1987, faisant le choix d'un exil forcé, Gilbert Minassian s'est rendu
à l'église arménienne du Prado. Bouillonnant, visiblement ému par ces
premiers instants marseillais - "c'est irréel, je suis sur un petit
nuage" -, il s'est d'emblée expliqué sur sa fuite vingt-six ans plus
tôt : "J'ai choisi la liberté pour poursuivre mon combat pour la
reconnaissance des torts faits au peuple arménien. "
"JE REVIENS LA TÊTE HAUTE"
Mis en cause dans le braquage d'un fourgon postal en 1984, qu'il a
toujours contesté, il avait été placé en détention provisoire durant
neuf mois, soulevant à Marseille une vague de soutien. A l'époque, la
ville s'était couverte d'inscriptions : "Libérez Minassian". Cette
figure du syndicalisme étudiant, grande gueule et bravache, avait
profité d'une remise en liberté - avant que la justice ne se ravise -
pour quitter la France. Il avait bénéficié de l'aide de Monte
Melkonian et de Davit Davitian, deux responsables de son organisation,
l'Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie (Asala),
mouvement, aux côtés desquels il combattra plus tard au Haut-Karabagh.
"J'aurais pu rester ici et faire cinq ou six ans de prison pour rien
mais il y avait d'autres combats à mener", explique-t-il.
"Je suis venu vous dire que je suis un démocrate, un militant avec ses
convictions mais aussi ses garde-fous, ses limites et ses cadres. Je
n'accepterai jamais quelque terrorisme que ce soit. Je reviens la tête
haute. Je ne suis pas un braqueur mais un militant de la cause
arménienne", assure-t-il à son public marseillais.
Avec une verve et un accent marseillais intacts, celui qui est devenu
le colonel Levon Minassian se décrit comme "la cible à l'époque des
services secrets turcs" et l'objet d'un marché passé avec les services
secrets français "dans le contexte d'une chasse aux sorcières des
militants arméniens". Il aurait souhaité un nouveau procès "pour
réhabiliter mais, trente ans après, ce n'est pas réaliste. La
prescription, c'est l'oubli".
Gilbert Minassian se montre tout aussi prolixe sur "l'autre combat",
celui qu'avec son défenseur, Me Gérard Tcholakian, il a mené contre le
décret pris par Dominique Perben le 13 décembre 2004. Le ministre de
la justice avait à l'époque édicté une liste d'actes judiciaires
interruptifs de la prescription des condamnations. Le décret, illégal,
avait été corrigé dans la loi du 29 mars 2012 sur l'exécution des
peines. Mais nombre de condamnations étaient intervenues dans
l'intervalle sur la foi de ces règles de prescription.
Ce décret Perben était "inique", tranche Gilbert Minassian. "En
mettant une pièce dans un dossier tous les trois ans, on recule
indéfiniment la prescription, c'est anticonstitutionnel",
renchérit-il. Si la Cour de cassation n'avait pas tranché en faveur de
ses arguments, sa condamnation, prononcée en mai 1989, aurait été
prescrite en 2031, soutient-il. L'ambassade de France à Erevan lui a
délivré son passeport le 9 août, autorisant ces retrouvailles
marseillaises.
"J'AIMERAIS RESTER À MARSEILLE"
"Etre à Marseille, c'est un vieux rêve, c'est ma ville, cela a été un
grand manque." Retraité de l'armée, Gilbert Minassian avait ouvert
dans la capitale arménienne un restaurant dont les murs portaient une
vue panoramique du Vieux-Port. Il l'avait baptisé Le Monte Cristo. Il
a aussi installé à Erevan le premier boulodrome.
A sa descente du TGV, mardi, il a embrassé l'actrice Ariane Ascaride
et le réalisateur Robert Guédiguian, des amis du quartier de
l'Estaque, du PCF et d'une radio libre mutualiste dans laquelle
Gilbert Minassian était journaliste au début des années 1980. L'épopée
de ce "camarade" a inspiré à Robert Guédiguian l'un des personnages de
son film sorti en 2006, Le Voyage en Arménie.
Gilbert Minassian ne sait pas encore où il vivra : "J'aimerais rester
à Marseille mais je sais aussi qu'au Haut-Karabagh, le cessez-le-feu
est fragile. Sinon, je continuerai, dans ce monde globalisé, le combat
d'une résistance pour les droits du peuple arménien et pour les
principes de justice."
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/17/le-retour-a-marseille-de-gilbert-minassian-vainqueur-du-systeme-judiciaire_3462754_3224.html
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
17 août 2013
Le retour à Marseille de Gilbert Minassian, "vainqueur" du système judiciaire
LE MONDE | 17.08.2013 à 10h02 - Mis à jour le 17.08.2013 à 10h45 | Par
Luc Leroux
Décrit comme un héros de guerre en Arménie, Gilbert Minassian est
depuis quelques jours de retour à Marseille après vingt-six ans
d'exil, à la faveur de son dernier fait d'armes. L'Arménien a provoqué
une belle pagaille au ministère de la justice en obtenant que la Cour
de cassation reconnaisse, dans un arrêt du 26 juin, en raison d'une
vieille erreur juridique, la prescription de sa condamnation à la
réclusion criminelle à perpétuité par contumace. Celle-ci avait été
prononcée en mai 1989 par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône. Un
arrêt qui a contraint la justice à réexaminer le dossier de 3 500
détenus et, au final, d'en libérer vingt-deux dont la peine s'est
révélée également prescrite.
Le militant arménien de 57 ans, turbulent leader étudiant communiste à
la fin des années 1970 à Aix-en-Provence, porte aujourd'hui le grade
de colonel de l'armée nationale d'Arménie, décoré à la suite des
combats du début des années 1990 au Haut-Karabagh, enclave peuplée
d'Arméniens en Azerbaïdjan.
Applaudissements, embrassades, gerbes et recueillement à la mémoire du
résistant Missak Manouchian et des victimes du génocide de 1915 : la
communauté arménienne de Marseille a célébré avec enthousiasme son
retour, mardi 13 août.
A peine le pied posé à Marseille d'où il était parti le 28 juillet
1987, faisant le choix d'un exil forcé, Gilbert Minassian s'est rendu
à l'église arménienne du Prado. Bouillonnant, visiblement ému par ces
premiers instants marseillais - "c'est irréel, je suis sur un petit
nuage" -, il s'est d'emblée expliqué sur sa fuite vingt-six ans plus
tôt : "J'ai choisi la liberté pour poursuivre mon combat pour la
reconnaissance des torts faits au peuple arménien. "
"JE REVIENS LA TÊTE HAUTE"
Mis en cause dans le braquage d'un fourgon postal en 1984, qu'il a
toujours contesté, il avait été placé en détention provisoire durant
neuf mois, soulevant à Marseille une vague de soutien. A l'époque, la
ville s'était couverte d'inscriptions : "Libérez Minassian". Cette
figure du syndicalisme étudiant, grande gueule et bravache, avait
profité d'une remise en liberté - avant que la justice ne se ravise -
pour quitter la France. Il avait bénéficié de l'aide de Monte
Melkonian et de Davit Davitian, deux responsables de son organisation,
l'Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie (Asala),
mouvement, aux côtés desquels il combattra plus tard au Haut-Karabagh.
"J'aurais pu rester ici et faire cinq ou six ans de prison pour rien
mais il y avait d'autres combats à mener", explique-t-il.
"Je suis venu vous dire que je suis un démocrate, un militant avec ses
convictions mais aussi ses garde-fous, ses limites et ses cadres. Je
n'accepterai jamais quelque terrorisme que ce soit. Je reviens la tête
haute. Je ne suis pas un braqueur mais un militant de la cause
arménienne", assure-t-il à son public marseillais.
Avec une verve et un accent marseillais intacts, celui qui est devenu
le colonel Levon Minassian se décrit comme "la cible à l'époque des
services secrets turcs" et l'objet d'un marché passé avec les services
secrets français "dans le contexte d'une chasse aux sorcières des
militants arméniens". Il aurait souhaité un nouveau procès "pour
réhabiliter mais, trente ans après, ce n'est pas réaliste. La
prescription, c'est l'oubli".
Gilbert Minassian se montre tout aussi prolixe sur "l'autre combat",
celui qu'avec son défenseur, Me Gérard Tcholakian, il a mené contre le
décret pris par Dominique Perben le 13 décembre 2004. Le ministre de
la justice avait à l'époque édicté une liste d'actes judiciaires
interruptifs de la prescription des condamnations. Le décret, illégal,
avait été corrigé dans la loi du 29 mars 2012 sur l'exécution des
peines. Mais nombre de condamnations étaient intervenues dans
l'intervalle sur la foi de ces règles de prescription.
Ce décret Perben était "inique", tranche Gilbert Minassian. "En
mettant une pièce dans un dossier tous les trois ans, on recule
indéfiniment la prescription, c'est anticonstitutionnel",
renchérit-il. Si la Cour de cassation n'avait pas tranché en faveur de
ses arguments, sa condamnation, prononcée en mai 1989, aurait été
prescrite en 2031, soutient-il. L'ambassade de France à Erevan lui a
délivré son passeport le 9 août, autorisant ces retrouvailles
marseillaises.
"J'AIMERAIS RESTER À MARSEILLE"
"Etre à Marseille, c'est un vieux rêve, c'est ma ville, cela a été un
grand manque." Retraité de l'armée, Gilbert Minassian avait ouvert
dans la capitale arménienne un restaurant dont les murs portaient une
vue panoramique du Vieux-Port. Il l'avait baptisé Le Monte Cristo. Il
a aussi installé à Erevan le premier boulodrome.
A sa descente du TGV, mardi, il a embrassé l'actrice Ariane Ascaride
et le réalisateur Robert Guédiguian, des amis du quartier de
l'Estaque, du PCF et d'une radio libre mutualiste dans laquelle
Gilbert Minassian était journaliste au début des années 1980. L'épopée
de ce "camarade" a inspiré à Robert Guédiguian l'un des personnages de
son film sorti en 2006, Le Voyage en Arménie.
Gilbert Minassian ne sait pas encore où il vivra : "J'aimerais rester
à Marseille mais je sais aussi qu'au Haut-Karabagh, le cessez-le-feu
est fragile. Sinon, je continuerai, dans ce monde globalisé, le combat
d'une résistance pour les droits du peuple arménien et pour les
principes de justice."
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/17/le-retour-a-marseille-de-gilbert-minassian-vainqueur-du-systeme-judiciaire_3462754_3224.html
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress