LA LANGUE TURQUE, LANGUE DE MORT OU LANGUE DE JUSTICE ?
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=70924
Publié le : 30-01-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le 19 janvier dernier
a Ankara (Turquie), Khatchig Mouradian, éditeur de The Armenian
Weekly, a prononcé une conférence, en turc, sur la justice quant au
génocide arménien, lors d'une table ronde organisée en mémoire de
Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007 a Istanbul : "L'économie
nationale [milli ekonomi] de la Turquie a été bâtie, dans une large
mesure, sur la spoliation par la force des Arméniens. L'asymétrie
de puissance entre Turquie et Arménie, de nos jours, est un produit
de cette spoliation.
Et le fardeau de la spoliation fait que les mots de partage, de
sentiments et de compréhension sonnent creux, quelque sincères
qu'ils puissent être. Mais il existe une voie d'avenir. Un véritable
engagement avec les Arméniens commence a partir du lieu de la plus
extrême spoliation et humiliation - sur les sables de Deir-es-Zor. Et
un véritable engagement commence a partir du moment où l'on
transforme une langue de spoliation en une langue de justice. Cessons
d'évoquer un passé partagé et notre gastronomie commune. Ce qui
est nécessaire, c'est la justice. Aussi, aujourd'hui, je vous rends
la langue de mort et de spoliation. Et, a l'inverse, au nom de mes
grands-parents, Khatchatour et Mélinée Mouradian, Ardachès et
Aghavnie Gharibian, je revendique une langue de justice." Le Collectif
VAN remercie Georges Festa pour la traduction de ce beau texte du jeune
journaliste et universitaire américano-arménien Khatchig Mouradian,
paru en anglais dans The Armenian Weekly le 20.01.2013, et publié
en francais le lundi 28 janvier 2013 sur le site Armenian Trends -
Mes Arménies.
Légende photo : Khatchig Mouradian, éditeur de The Armenian Weekly
prononcant son discours a Ankara.
Armenian Trends - Mes Arménies
lundi 28 janvier 2013
Génocide arménien : appel a la justice (Ankara, 19.01.2013)
par Khatchig Mouradian
The Armenian Weekly, 20.01.2013
[ANKARA, Turquie - Le 19 janvier dernier, Khatchig Mouradian, éditeur
de The Armenian Weekly, a prononcé une conférence, en turc, sur la
justice quant au génocide arménien, lors d'une table ronde organisée
en mémoire de Hrant Dink.
Ci-dessous figure la version anglaise de cette conférence. Des
détails sur cette manifestation suivront. Version turque accessible :
http://www.gelawej.net/index.php/giyasettin-taser/8288-mouradian-muelksuezlemenin-dilini-iade-ediyor-adaletin-dilini-talip-ediyorum.html]
Comment le turc est-il venu a moi ?
Je ne l'ai pas appris dans le but d'ajouter une langue étrangère
de plus a mon CV.
Le turc est venu a moi le jour de ma naissance - je n'en avais pas
fait la demande, et pourtant je ne pouvais pas non plus le rejeter.
Il est venu a moi par l'entremise de la voix de ma grand-mère.
Pour vous, le turc est la langue maternelle. Pour moi, c'est celle
de ma grand-mère.
Mes grands-parents ont survécu au génocide et se sont retrouvés au
Liban privés quasiment de tout. Ils ont reconstruit leurs existences
a partir de zéro, offrant a mes parents le don de la vie.
Et lorsque je suis né, ils m'ont donné une des rares choses qu'ils
purent, en fait, ramener avec eux de Cilicie : la langue turque.
Pour vous, le turc est la langue de l'amour parental.
Pour moi, c'est un fardeau de mort et de spoliation.
Mon turc est fait de souvenirs de mort et de spoliation liés a Adana,
Kilis, Konya, Eregli et Hasanbeyli. Les villages et les villes de
mes grands-parents.
Et aujourd'hui, pour la première fois, je parle cette langue depuis
une tribune.
Aujourd'hui, pour la première fois, je restitue cette offrande de
mort et de spoliation aux terres dont elle est issue.
Et, a l'inverse, je revendique une langue de justice.
***
Il y a six ans, jour pour jour, je me suis réveillé a Boston,
appelé tôt le matin par ma mère au Liban.
Elle m'apprit la tragique nouvelle.
A cet instant, la seule chose dont je fus capable fut de m'asseoir
et d'écrire la lettre qui suit :
Cher Hrant,
Je sais que maintenant l'eau a trouvé sa fissure ; cette fissure
que tu as mis au jour dans celle, immense, sous laquelle reposent
ceux que nous avons perdus, voici 92 années.
Hrant, j'ai quelques services a te demander.
Embrasse pour moi Krikor Zohrab. Dis-lui que je lis et relis ses
nouvelles, depuis que je les ai découvertes.
Transmets mes amitiés a Daniel Varoujan. Dis-lui qu'il a illuminé
ma jeunesse avec ses poèmes et qu'il continue d'inspirer mon âme.
Hrant, n'oublie pas d'entonner les chants de survivance avec Siamanto.
Dis-leur qu'ils figurent sur nos étagères, sur nos pupitres
d'écoliers, leurs mots courent sur nos lèvres et dans nos cÅ"urs.
Et dis-leur que je suis certain - et toi aussi, j'en suis sÃ"r -
qu'un jour, ils figureront aussi sur les étagères, les pupitres
d'écoliers, les lèvres et les cÅ"urs des Turcs.
Un jour, leurs statues - et la tienne - orneront aussi Istanbul.
N'oublie pas de prier avec Komitas, et dis-lui qu'un jour, des
Arméniennes chanteront a nouveau dans ces villages, la-bas.
Va trouver mes grands-parents. Dis-leur que nous portons leurs noms
et leur amour pour la terre que jamais ils n'ont quittée, la terre
que jamais nous n'avons vue.
Hrant, embrasse les fronts bénis de chacune des victimes du Metz
Yeghern de 1915.
Dis-leur que nous continuerons a parcourir la route de leurs rêves.
Car leurs rêves sont les nôtres.
Dis-leur que nous ferons s'épanouir les déserts avec la fragrance
de leur mémoire.
Dis-leur que, de Talaat a Samast, nous sommes des survivants.
Dis-leur que nous sommes tous Zohrab, Varoujan, Siamanto, Komitas
et Hrant.
Affectueusement, Khatchig Mouradian
***
Â" Dis-leur que nous sommes tous Zohrab, Varoujan, Siamanto, Komitas
et Hrant, Â" écrivais-je.
Les années ont passé. Pourtant je ne me suis pas encore réconcilié
avec le slogan Â" Nous sommes tous Hrant Dink ! Nous sommes tous
Arméniens ! Â" que des milliers de gens en Turquie ont scandé lors
des funérailles de Dink, et que des centaines d'auteurs ont répété
durant les mois et les années qui suivirent.
M'exprimant lors d'une commémoration de Dink, quelques jours après
son assassinat, je ne soulignais pas seulement une évidence, quand je
disais que Â" personne Â" n'est Hrant Dink. J'ai seulement vu un homme
- gisant, criblé de balles, face contre terre, sur le trottoir. Il
était seul. Où étaient les autres Hrant Dink a ce moment-la ?
Après cette journée fatidique - du fait de la culpabilité, de
la colère ou de la résignation, je l'ignore - beaucoup de gens en
Turquie, qui connaissaient Hrant, sont devenus davantage prolixes. Et
nombre de ceux qui ne le connaissaient pas, le connaissent maintenant,
profondément affectés dans leur existence.
Pourtant, malgré ces effusions d'émotions et d'encre, malgré
l'indignation en Turquie et au dela, et malgré l'incessante
répétition du Â" Nous sommes tous Hrant Dink ! Nous sommes tous
Arméniens ! Â", Hrant n'est pas moins seul aujourd'hui qu'il ne
l'était, il y a six ans, sur ce trottoir.
Parce que la justice est le seul véritable remède a cette solitude.
Et que les responsables de ce crime n'ont pas été appréhendés.
Personne n'est Hrant Dink. Même Hrant Dink n'était pas parfois
lui-même, car on ne peut être pleinement soi-même - en tant
qu'intellectuel public et, plus important, en tant qu'Arménien - et
s'en sortir en Turquie, où la pression visant a modérer son langage,
a critiquer et a se plaindre dans certaines limites, a applaudir l'acte
le plus insignifiant de dissidence comme le parangon de l'héroïsme,
est écrasante, insurmontable.
Personne, donc, n'est Hrant Dink et personne, par conséquent,
n'est Arménien.
Prenant la parole a Istanbul, le 24 avril 2010, face a un groupe
d'intellectuels et de militants, le seul message que j'ai tenté
de transmettre fut l'impossibilité de partager, de ressentir et de
comprendre - et, a une échelle plus large, son peu d'importance.
L'économie nationale [milli ekonomi] de la Turquie a été bâtie,
dans une large mesure, sur la spoliation par la force des Arméniens.
L'asymétrie de puissance entre Turquie et Arménie, de nos jours,
est un produit de cette spoliation. Et le fardeau de la spoliation
fait que les mots de partage, de sentiments et de compréhension
sonnent creux, quelque sincères qu'ils puissent être.
Mais il existe une voie d'avenir. Un véritable engagement avec les
Arméniens commence a partir du lieu de la plus extrême spoliation
et humiliation - sur les sables de Deir-es-Zor.
Et un véritable engagement commence a partir du moment où l'on
transforme une langue de spoliation en une langue de justice.
Cessons d'évoquer un passé partagé et notre gastronomie commune.
La voie menant a la paix n'est pas affaire de dolmas ; c'est la
justice.
Cessons de demander a chacun de lier amitié avec des Arméniens ou
avec Hrant.
Ici, dans cette salle, dans ce pays, et a travers le monde, Hrant et
les Arméniens comptent de nombreux amis.
Demander a autrui d'ouvrir les yeux et de reconnaître la souffrance
des Arméniens ne sera jamais assez.
Ce qui est nécessaire, c'est la justice.
Aussi, aujourd'hui, je vous rends la langue de mort et de spoliation.
Et, a l'inverse, au nom de mes grands-parents, Khatchatour et Mélinée
Mouradian, Ardachès et Aghavnie Gharibian, je revendique une langue
de justice.
[Editeur de The Armenian Weekly et doctorant en études sur
la Shoah et le génocide a l'université Clark (Worcester,
Massachusetts), Khatchig Mouradian coordonne le programme sur le
génocide arménien a l'université Rutgers (New Brunswick, New
Jersey). Conférencier au long cours, il a participé a de nombreux
colloques en Arménie, en Autriche, a Chypre, au Liban, en Norvège,
en Suisse, en Syrie, en Turquie et a travers les Etats-Unis. Contact
: [email protected]. Twitter : http://twitter.com/khatcho]
_________
Source :
http://www.armenianweekly.com/2013/01/20/mouradian-delivers-talk-on-genocide-justice-in-ankara-full-text/
Traduction : © Georges Festa - 01.2013.
Avec l'aimable autorisation de Khatchig Mouradian.
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Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=70924
Publié le : 30-01-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le 19 janvier dernier
a Ankara (Turquie), Khatchig Mouradian, éditeur de The Armenian
Weekly, a prononcé une conférence, en turc, sur la justice quant au
génocide arménien, lors d'une table ronde organisée en mémoire de
Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007 a Istanbul : "L'économie
nationale [milli ekonomi] de la Turquie a été bâtie, dans une large
mesure, sur la spoliation par la force des Arméniens. L'asymétrie
de puissance entre Turquie et Arménie, de nos jours, est un produit
de cette spoliation.
Et le fardeau de la spoliation fait que les mots de partage, de
sentiments et de compréhension sonnent creux, quelque sincères
qu'ils puissent être. Mais il existe une voie d'avenir. Un véritable
engagement avec les Arméniens commence a partir du lieu de la plus
extrême spoliation et humiliation - sur les sables de Deir-es-Zor. Et
un véritable engagement commence a partir du moment où l'on
transforme une langue de spoliation en une langue de justice. Cessons
d'évoquer un passé partagé et notre gastronomie commune. Ce qui
est nécessaire, c'est la justice. Aussi, aujourd'hui, je vous rends
la langue de mort et de spoliation. Et, a l'inverse, au nom de mes
grands-parents, Khatchatour et Mélinée Mouradian, Ardachès et
Aghavnie Gharibian, je revendique une langue de justice." Le Collectif
VAN remercie Georges Festa pour la traduction de ce beau texte du jeune
journaliste et universitaire américano-arménien Khatchig Mouradian,
paru en anglais dans The Armenian Weekly le 20.01.2013, et publié
en francais le lundi 28 janvier 2013 sur le site Armenian Trends -
Mes Arménies.
Légende photo : Khatchig Mouradian, éditeur de The Armenian Weekly
prononcant son discours a Ankara.
Armenian Trends - Mes Arménies
lundi 28 janvier 2013
Génocide arménien : appel a la justice (Ankara, 19.01.2013)
par Khatchig Mouradian
The Armenian Weekly, 20.01.2013
[ANKARA, Turquie - Le 19 janvier dernier, Khatchig Mouradian, éditeur
de The Armenian Weekly, a prononcé une conférence, en turc, sur la
justice quant au génocide arménien, lors d'une table ronde organisée
en mémoire de Hrant Dink.
Ci-dessous figure la version anglaise de cette conférence. Des
détails sur cette manifestation suivront. Version turque accessible :
http://www.gelawej.net/index.php/giyasettin-taser/8288-mouradian-muelksuezlemenin-dilini-iade-ediyor-adaletin-dilini-talip-ediyorum.html]
Comment le turc est-il venu a moi ?
Je ne l'ai pas appris dans le but d'ajouter une langue étrangère
de plus a mon CV.
Le turc est venu a moi le jour de ma naissance - je n'en avais pas
fait la demande, et pourtant je ne pouvais pas non plus le rejeter.
Il est venu a moi par l'entremise de la voix de ma grand-mère.
Pour vous, le turc est la langue maternelle. Pour moi, c'est celle
de ma grand-mère.
Mes grands-parents ont survécu au génocide et se sont retrouvés au
Liban privés quasiment de tout. Ils ont reconstruit leurs existences
a partir de zéro, offrant a mes parents le don de la vie.
Et lorsque je suis né, ils m'ont donné une des rares choses qu'ils
purent, en fait, ramener avec eux de Cilicie : la langue turque.
Pour vous, le turc est la langue de l'amour parental.
Pour moi, c'est un fardeau de mort et de spoliation.
Mon turc est fait de souvenirs de mort et de spoliation liés a Adana,
Kilis, Konya, Eregli et Hasanbeyli. Les villages et les villes de
mes grands-parents.
Et aujourd'hui, pour la première fois, je parle cette langue depuis
une tribune.
Aujourd'hui, pour la première fois, je restitue cette offrande de
mort et de spoliation aux terres dont elle est issue.
Et, a l'inverse, je revendique une langue de justice.
***
Il y a six ans, jour pour jour, je me suis réveillé a Boston,
appelé tôt le matin par ma mère au Liban.
Elle m'apprit la tragique nouvelle.
A cet instant, la seule chose dont je fus capable fut de m'asseoir
et d'écrire la lettre qui suit :
Cher Hrant,
Je sais que maintenant l'eau a trouvé sa fissure ; cette fissure
que tu as mis au jour dans celle, immense, sous laquelle reposent
ceux que nous avons perdus, voici 92 années.
Hrant, j'ai quelques services a te demander.
Embrasse pour moi Krikor Zohrab. Dis-lui que je lis et relis ses
nouvelles, depuis que je les ai découvertes.
Transmets mes amitiés a Daniel Varoujan. Dis-lui qu'il a illuminé
ma jeunesse avec ses poèmes et qu'il continue d'inspirer mon âme.
Hrant, n'oublie pas d'entonner les chants de survivance avec Siamanto.
Dis-leur qu'ils figurent sur nos étagères, sur nos pupitres
d'écoliers, leurs mots courent sur nos lèvres et dans nos cÅ"urs.
Et dis-leur que je suis certain - et toi aussi, j'en suis sÃ"r -
qu'un jour, ils figureront aussi sur les étagères, les pupitres
d'écoliers, les lèvres et les cÅ"urs des Turcs.
Un jour, leurs statues - et la tienne - orneront aussi Istanbul.
N'oublie pas de prier avec Komitas, et dis-lui qu'un jour, des
Arméniennes chanteront a nouveau dans ces villages, la-bas.
Va trouver mes grands-parents. Dis-leur que nous portons leurs noms
et leur amour pour la terre que jamais ils n'ont quittée, la terre
que jamais nous n'avons vue.
Hrant, embrasse les fronts bénis de chacune des victimes du Metz
Yeghern de 1915.
Dis-leur que nous continuerons a parcourir la route de leurs rêves.
Car leurs rêves sont les nôtres.
Dis-leur que nous ferons s'épanouir les déserts avec la fragrance
de leur mémoire.
Dis-leur que, de Talaat a Samast, nous sommes des survivants.
Dis-leur que nous sommes tous Zohrab, Varoujan, Siamanto, Komitas
et Hrant.
Affectueusement, Khatchig Mouradian
***
Â" Dis-leur que nous sommes tous Zohrab, Varoujan, Siamanto, Komitas
et Hrant, Â" écrivais-je.
Les années ont passé. Pourtant je ne me suis pas encore réconcilié
avec le slogan Â" Nous sommes tous Hrant Dink ! Nous sommes tous
Arméniens ! Â" que des milliers de gens en Turquie ont scandé lors
des funérailles de Dink, et que des centaines d'auteurs ont répété
durant les mois et les années qui suivirent.
M'exprimant lors d'une commémoration de Dink, quelques jours après
son assassinat, je ne soulignais pas seulement une évidence, quand je
disais que Â" personne Â" n'est Hrant Dink. J'ai seulement vu un homme
- gisant, criblé de balles, face contre terre, sur le trottoir. Il
était seul. Où étaient les autres Hrant Dink a ce moment-la ?
Après cette journée fatidique - du fait de la culpabilité, de
la colère ou de la résignation, je l'ignore - beaucoup de gens en
Turquie, qui connaissaient Hrant, sont devenus davantage prolixes. Et
nombre de ceux qui ne le connaissaient pas, le connaissent maintenant,
profondément affectés dans leur existence.
Pourtant, malgré ces effusions d'émotions et d'encre, malgré
l'indignation en Turquie et au dela, et malgré l'incessante
répétition du Â" Nous sommes tous Hrant Dink ! Nous sommes tous
Arméniens ! Â", Hrant n'est pas moins seul aujourd'hui qu'il ne
l'était, il y a six ans, sur ce trottoir.
Parce que la justice est le seul véritable remède a cette solitude.
Et que les responsables de ce crime n'ont pas été appréhendés.
Personne n'est Hrant Dink. Même Hrant Dink n'était pas parfois
lui-même, car on ne peut être pleinement soi-même - en tant
qu'intellectuel public et, plus important, en tant qu'Arménien - et
s'en sortir en Turquie, où la pression visant a modérer son langage,
a critiquer et a se plaindre dans certaines limites, a applaudir l'acte
le plus insignifiant de dissidence comme le parangon de l'héroïsme,
est écrasante, insurmontable.
Personne, donc, n'est Hrant Dink et personne, par conséquent,
n'est Arménien.
Prenant la parole a Istanbul, le 24 avril 2010, face a un groupe
d'intellectuels et de militants, le seul message que j'ai tenté
de transmettre fut l'impossibilité de partager, de ressentir et de
comprendre - et, a une échelle plus large, son peu d'importance.
L'économie nationale [milli ekonomi] de la Turquie a été bâtie,
dans une large mesure, sur la spoliation par la force des Arméniens.
L'asymétrie de puissance entre Turquie et Arménie, de nos jours,
est un produit de cette spoliation. Et le fardeau de la spoliation
fait que les mots de partage, de sentiments et de compréhension
sonnent creux, quelque sincères qu'ils puissent être.
Mais il existe une voie d'avenir. Un véritable engagement avec les
Arméniens commence a partir du lieu de la plus extrême spoliation
et humiliation - sur les sables de Deir-es-Zor.
Et un véritable engagement commence a partir du moment où l'on
transforme une langue de spoliation en une langue de justice.
Cessons d'évoquer un passé partagé et notre gastronomie commune.
La voie menant a la paix n'est pas affaire de dolmas ; c'est la
justice.
Cessons de demander a chacun de lier amitié avec des Arméniens ou
avec Hrant.
Ici, dans cette salle, dans ce pays, et a travers le monde, Hrant et
les Arméniens comptent de nombreux amis.
Demander a autrui d'ouvrir les yeux et de reconnaître la souffrance
des Arméniens ne sera jamais assez.
Ce qui est nécessaire, c'est la justice.
Aussi, aujourd'hui, je vous rends la langue de mort et de spoliation.
Et, a l'inverse, au nom de mes grands-parents, Khatchatour et Mélinée
Mouradian, Ardachès et Aghavnie Gharibian, je revendique une langue
de justice.
[Editeur de The Armenian Weekly et doctorant en études sur
la Shoah et le génocide a l'université Clark (Worcester,
Massachusetts), Khatchig Mouradian coordonne le programme sur le
génocide arménien a l'université Rutgers (New Brunswick, New
Jersey). Conférencier au long cours, il a participé a de nombreux
colloques en Arménie, en Autriche, a Chypre, au Liban, en Norvège,
en Suisse, en Syrie, en Turquie et a travers les Etats-Unis. Contact
: [email protected]. Twitter : http://twitter.com/khatcho]
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Source :
http://www.armenianweekly.com/2013/01/20/mouradian-delivers-talk-on-genocide-justice-in-ankara-full-text/
Traduction : © Georges Festa - 01.2013.
Avec l'aimable autorisation de Khatchig Mouradian.
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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress