LAURE MARCHAND ET GUILLAUME PERRIER SUR LES TRACES DU GENOCIDE ARMENIEN
Le Soir, Belgique
19 juillet 2013
par Jean-Paulmarthoz
" Laure Marchand et Guillaume Perrier se sont atteles a une tâche
ardue. Celle de nous tendre, a nous les Turcs, un miroir. Ils veulent
que nous voyions ce que nous ne voyons pas et que nous sachions ce
que nous ne savons pas ".
Ainsi commence le texte que signe l'historien turc " dissident " Taner
Akcam en preface du livre La Turquie et le fantôme armenien ecrit par
la correspondante du Figaro et le correspondant du Monde a Istanbul.
Mais sa remarque ne vaut pas seulement pour l'opinion turque. Le
genocide perpetre en 1915 par les Jeunes Turcs est aussi, notamment,
une " histoire francaise ". Non seulement parce que les massacres
des Armeniens, dès la fin du 19ème siècle, mobilisèrent de grands
noms de la politique et des lettres francaises, a l'image de Jean
Jaurès proclamant " l'humanite ne peut vivre avec, dans sa cave, le
cadavre d'un peuple assassine ". Non seulement parce que des dizaines
de milliers de rescapes du genocide trouvèrent refuge en France, mais
aussi parce que l'ideologie des Jeunes Turcs s'inspira du positivisme
et du jacobinisme francais, en les devoyant et en les racialisant.
Par ailleurs, si le genocide est officiellement reconnu aujourd'hui par
un certain nombre de pays, dont la Belgique et la France, la plupart
des Etats, craignant d'offenser Ankara, aimeraient eux aussi ne rien
savoir. Et des partis politiques, en Belgique en particulier, soucieux
de courtiser le " vote turc " lors des elections communales, classent
le sujet de la reconnaissance au rayon des belles idees oubliees, quand
ils ne s'associent pas avec des personnes ou des groupes qui pratiquent
le negationnisme d'Etat. Alors que la negation, comme l'ecrivait le
regrette Pierre Vidal-Naquet dans son celèbre essai Les Assassins de
la Memoire, est la continuation du genocide, sa phase ultime.
Sur les traces du genocide
Dans ce livre bellement ecrit comme un reportage au long cours,
les deux auteurs proposent une extraordinaire enquete sur la memoire
armenienne dans la Turquie d'aujourd'hui. Un sujet encore largement
tabou, enfoui sous des strates de silences et de mensonges. Un
sujet qui, pourtant, determine largement l'identite de la Turquie
et sa capacite a integrer la diversite et la tolerance, conditions
essentielles de la modernite et de la democratie avancee.
A deux ans du centenaire des massacres qui emportèrent plus d'un
million d'Armeniens, ils rappellent d'abord sans detours les faits,
qu'aucun historien digne de ce nom aujourd'hui ne conteste. "
Les sources documentaires et les archives, que ce soient celles de
l'Empire ottoman, de plus en plus librement accessibles, ou celles
de l'Allemagne, ecrivent-ils, suffisent amplement a demontrer
l'intention genocidaire du Comite Union et Progrès, le c~\ur du
pouvoir nationaliste turc pendant la Première Guerre mondiale...La
negation des faits relève, a l'evidence de la nevrose collective ".
D'Istanbul a Sivas, de Diyarbakir a Van, bourlinguant sur ces terres
anatoliennes balafrees par l'histoire, ils retrouvent les traces des
communautes armeniennes dans les souvenirs des villageois, dans des
pierres d'anciennes eglises melees a des constructions profanes, dans
des coutumes religieuses ou culinaires pratiquees dans la discretion.
L'histoire du genocide, avec ses lieux de morts comme " la falaise
des Armeniens, dans la region d'Ordu, " où les malheureux avaient ete
jetes dans vide ", avec ses villages armeniens rayes de la carte, se
telescope constamment avec les observations du reportage, dessinant
un pays hante par un passe qui ne passe pas. Presque partout encore,
la peur de se dire armenien règne, " un reflexe de survie dans ces
contrees anatoliennes où l'identite non turque ne se crie pas sur
les toits ".
Des anecdotes touchantes et dechirantes emaillent ce periple a la
fois memoriel et actuel. Comme celles des " restes de l'epee ", ces
milliers d'enfants et de femmes qui echappèrent au massacre en etant
incorpores dans des familles turques ou kurdes et dont le souvenir
resurgit peu a peu aujourd'hui. A l'image de Sabiha Gokcen, heroïne
de l'aviation militaire turque, dont le journaliste turco-armenien
Hrant Dink, assassine en 2007, revela qu'elle avait ete adoptee par
Mustapha Kemal Ataturk, le fondateur de la Turquie moderne. Ou de
Fethiye Cetin, militante des droits de l'homme et l'avocate de la
famille Dink, dont l'aïeule etait armenienne, une histoire qu'elle
raconte dans Le Livre de ma grand-mère (Editions de l'Aube, 2006).
Assumer l'heritage armenien
Comment assumer cet heritage dans un pays encore marque par la
haine de l'Armenien ? " Au-dela de la peur, il y avait la honte ",
ecrivent Laure Marchand et Guillaume Perrier. " Ces petits-enfants
ont du sang mele, celui de la victime et de son sauveur parfois,
celui de la victime et de son bourreau le plus souvent ". Mais cette
" micro-histoire " familiale contribue aussi a combattre l'ideologie
d'exclusion officielle. " Si vous commencez a vous poser des questions
sur vous-meme et votre famille, naturellement 'l'autre' ne peut plus
etre 'l'autre' ", ecrit Fethiye Cetin.
Le livre offre des rencontres avec des personnages hauts en
couleur, a l'image de Sevan Nisanyan, le " Don Quichotte armenien ",
denonciateur tapageur de l'Histoire officielle, mais aussi avec des
" Armeniens convertis ", tentes d'etre " plus turcs que les Turcs "
et qui continuent, malgre tout, a etre victimes de discrimination,
car leurs noms et leur origine armenienne sont repertories dans les
registres officiels.
L'industrie du negationnisme
Les auteurs abordent frontalement le negationnisme officiel, " une
veritable industrie ", ecrit Taner Aksam, dotee de moyens colossaux
et fondee sur un racisme agressif qui nie l'histoire complexe et
plurielle de la Turquie et entache sa reputation internationale. "
Imaginons Faurisson ministre, Faurisson general ", ecrivent les
auteurs, en se referant au pseudo-historien Robert Faurisson, negateur
de la Shoah. A l'etranger, seuls quelques piètres historiens relaient
l'argumentaire d'Ankara. Seuls des dirigeants opportunistes ou timores
evoquent encore les " doutes " sur la realite du genocide. " Nous
n'avons pas une seule publication qui soit prise au serieux dans les
cercles academiques a l'etranger ", notait Murat Bardakci, dans une
chronique du quotidien Haber Turk.
La Turquie a encore un long chemin a parcourir avant de se debarrasser
de ses vieux demons. La faute a ete trop immense. L'eradication de
la presence armenienne a ete totale et totalitaire. La population a
ete exterminee ou expulsee. Ses biens ont ete voles et accapares. Son
patrimoine culturel a ete detruit. Et l'Etat a impose une histoire
faussee, qu'elle repète et repète a l'ecole, a l'armee.
Aujourd'hui encore, les prejuges contre les Armeniens restent tenaces.
Le discours ultranationaliste persiste. La crainte d'une demande
de reparations des prejudices subis hante les esprits. Alors que le
sujet du genocide est aujourd'hui discute ouvertement dans les cercles
liberaux de Turquie et que des livres, naguère tabous, sont en vente
dans les librairies d'Istanbul, le premier ministre Erdogan se montre
incapable d'aborder avec justesse et justice la " question armenienne
". En 2011, a Kars, il a meme fait raser le Monument de l'Humanite,
une statue qui devait symboliser la reconciliation entre la Turquie
et l'Armenie.
Une " nouvelle Turquie "
Toutefois, si la majorite de la population nie ou ignore, une nouvelle
generation se lève, qui exige la verite. Elle est descendue dans la
rue a Istanbul en 2007 pour crier, a l'annonce de l'assassinat de
Hrant Dink, " nous sommes tous des Armeniens ". Elle a signe l'Appel
au Pardon qui reconnaît la Grande Catastrophe, sans, toutefois, oser
encore prononcer le mot de genocide. " Bien sûr que c'est un genocide
", s'exclame l'un de ses initiateurs, Cengiz Aktar, " mais le mot ne
passerait jamais ". Elle se reclame des milliers de Justes, turcs
et kurdes, qui, lors du genocide, refusèrent d'etre complices. Et
elle ecoute ces Turcs courageux, intègres, qui brisent les tabous,
reviennent sur l'Histoire et sur leur propre histoire. A l'exemple
de Hasan Cemal, auteur fin 2012 d'un ouvrage intitule sobrement,
fortement, " 1915, le genocide armenien ". " Hasan Cemal est l'un
des journalistes les plus en vue de Turquie ", notent les auteurs, "
un homme repute pour sa droiture d'esprit ", mais aussi le petit-fils
de Djemal Pacha, l'un des hauts responsables du genocide.
Le livre de Laure Marchand et Guillaume Perrier, d'une extraordinaire
richesse, peut etre lu comme une plongee au sein d'un sujet singulier,
la Turquie et de sa memoire armenienne, mais il ouvre en fait sur
une reflexion universelle. Non seulement parce que tout genocide
concerne l'humanite tout entière, mais aussi parce que d'autres
peuples, victimes ou bourreaux, ont souffert ou souffrent encore
des affres de la " memoire du silence ". Tout au long de ce livre,
les auteurs nous lancent indirectement des questions essentielles,
existentielles : qu'aurions-nous fait en 1915 ? Que ferions-nous
aujourd'hui pour que prevalent la verite et la justice ? Comment
assurer que la justice accompagne la reconciliation ?
Que va-t-il se passer en 2015, a l'occasion de la commemoration du
centenaire du genocide ? " Le centenaire pourrait constituer une
etape clef sur la voie de la conscience et de la reconnaissance du
crime, ecrivent Laure Marchand et Guillaume Perrier. Le dialogue des
societes civiles turque et armenienne -d'Armenie et de la diaspora -
engage depuis quelques annees a ouvert des brèches inedites (...). Mais
comme un reflexe, l'Etat turc prepare sa riposte et promet d'inonder le
monde de brochures negationnistes ". Meme si le ministre des Affaires
etrangères Ahmet Davutoglu semble reconnaître que cet effort est de
plus en plus futile...
" La reconnaissance n'est pas au programme de 2015, concluent les
auteurs. Mais au moins, une autre lecture de l'histoire pourrait
trouver sa place ". Ce livre, qui sera bientôt traduit en turc, aura
sans aucun doute contribue a ce long cheminement de la memoire et de
la verite dans lequel se sont engages ces citoyens, ces intellectuels
turcs, qui incarnent le meilleur de leur pays, en osant affronter ce
passe qui determine tellement l'avenir.
Laure Marchand et Guillaume Perrier, La Turquie et le fantôme
armenien. Sur les traces du genocide, Preface de Taner Aksam,
Solin/Actes Sud, 2013, 218 pages.
http://blog.lesoir.be/lalibertesinonrien/2013/07/19/laure-marchand-et-guillaume-perrier-sur-les-traces-du-genocide-armenien/
From: Baghdasarian
Le Soir, Belgique
19 juillet 2013
par Jean-Paulmarthoz
" Laure Marchand et Guillaume Perrier se sont atteles a une tâche
ardue. Celle de nous tendre, a nous les Turcs, un miroir. Ils veulent
que nous voyions ce que nous ne voyons pas et que nous sachions ce
que nous ne savons pas ".
Ainsi commence le texte que signe l'historien turc " dissident " Taner
Akcam en preface du livre La Turquie et le fantôme armenien ecrit par
la correspondante du Figaro et le correspondant du Monde a Istanbul.
Mais sa remarque ne vaut pas seulement pour l'opinion turque. Le
genocide perpetre en 1915 par les Jeunes Turcs est aussi, notamment,
une " histoire francaise ". Non seulement parce que les massacres
des Armeniens, dès la fin du 19ème siècle, mobilisèrent de grands
noms de la politique et des lettres francaises, a l'image de Jean
Jaurès proclamant " l'humanite ne peut vivre avec, dans sa cave, le
cadavre d'un peuple assassine ". Non seulement parce que des dizaines
de milliers de rescapes du genocide trouvèrent refuge en France, mais
aussi parce que l'ideologie des Jeunes Turcs s'inspira du positivisme
et du jacobinisme francais, en les devoyant et en les racialisant.
Par ailleurs, si le genocide est officiellement reconnu aujourd'hui par
un certain nombre de pays, dont la Belgique et la France, la plupart
des Etats, craignant d'offenser Ankara, aimeraient eux aussi ne rien
savoir. Et des partis politiques, en Belgique en particulier, soucieux
de courtiser le " vote turc " lors des elections communales, classent
le sujet de la reconnaissance au rayon des belles idees oubliees, quand
ils ne s'associent pas avec des personnes ou des groupes qui pratiquent
le negationnisme d'Etat. Alors que la negation, comme l'ecrivait le
regrette Pierre Vidal-Naquet dans son celèbre essai Les Assassins de
la Memoire, est la continuation du genocide, sa phase ultime.
Sur les traces du genocide
Dans ce livre bellement ecrit comme un reportage au long cours,
les deux auteurs proposent une extraordinaire enquete sur la memoire
armenienne dans la Turquie d'aujourd'hui. Un sujet encore largement
tabou, enfoui sous des strates de silences et de mensonges. Un
sujet qui, pourtant, determine largement l'identite de la Turquie
et sa capacite a integrer la diversite et la tolerance, conditions
essentielles de la modernite et de la democratie avancee.
A deux ans du centenaire des massacres qui emportèrent plus d'un
million d'Armeniens, ils rappellent d'abord sans detours les faits,
qu'aucun historien digne de ce nom aujourd'hui ne conteste. "
Les sources documentaires et les archives, que ce soient celles de
l'Empire ottoman, de plus en plus librement accessibles, ou celles
de l'Allemagne, ecrivent-ils, suffisent amplement a demontrer
l'intention genocidaire du Comite Union et Progrès, le c~\ur du
pouvoir nationaliste turc pendant la Première Guerre mondiale...La
negation des faits relève, a l'evidence de la nevrose collective ".
D'Istanbul a Sivas, de Diyarbakir a Van, bourlinguant sur ces terres
anatoliennes balafrees par l'histoire, ils retrouvent les traces des
communautes armeniennes dans les souvenirs des villageois, dans des
pierres d'anciennes eglises melees a des constructions profanes, dans
des coutumes religieuses ou culinaires pratiquees dans la discretion.
L'histoire du genocide, avec ses lieux de morts comme " la falaise
des Armeniens, dans la region d'Ordu, " où les malheureux avaient ete
jetes dans vide ", avec ses villages armeniens rayes de la carte, se
telescope constamment avec les observations du reportage, dessinant
un pays hante par un passe qui ne passe pas. Presque partout encore,
la peur de se dire armenien règne, " un reflexe de survie dans ces
contrees anatoliennes où l'identite non turque ne se crie pas sur
les toits ".
Des anecdotes touchantes et dechirantes emaillent ce periple a la
fois memoriel et actuel. Comme celles des " restes de l'epee ", ces
milliers d'enfants et de femmes qui echappèrent au massacre en etant
incorpores dans des familles turques ou kurdes et dont le souvenir
resurgit peu a peu aujourd'hui. A l'image de Sabiha Gokcen, heroïne
de l'aviation militaire turque, dont le journaliste turco-armenien
Hrant Dink, assassine en 2007, revela qu'elle avait ete adoptee par
Mustapha Kemal Ataturk, le fondateur de la Turquie moderne. Ou de
Fethiye Cetin, militante des droits de l'homme et l'avocate de la
famille Dink, dont l'aïeule etait armenienne, une histoire qu'elle
raconte dans Le Livre de ma grand-mère (Editions de l'Aube, 2006).
Assumer l'heritage armenien
Comment assumer cet heritage dans un pays encore marque par la
haine de l'Armenien ? " Au-dela de la peur, il y avait la honte ",
ecrivent Laure Marchand et Guillaume Perrier. " Ces petits-enfants
ont du sang mele, celui de la victime et de son sauveur parfois,
celui de la victime et de son bourreau le plus souvent ". Mais cette
" micro-histoire " familiale contribue aussi a combattre l'ideologie
d'exclusion officielle. " Si vous commencez a vous poser des questions
sur vous-meme et votre famille, naturellement 'l'autre' ne peut plus
etre 'l'autre' ", ecrit Fethiye Cetin.
Le livre offre des rencontres avec des personnages hauts en
couleur, a l'image de Sevan Nisanyan, le " Don Quichotte armenien ",
denonciateur tapageur de l'Histoire officielle, mais aussi avec des
" Armeniens convertis ", tentes d'etre " plus turcs que les Turcs "
et qui continuent, malgre tout, a etre victimes de discrimination,
car leurs noms et leur origine armenienne sont repertories dans les
registres officiels.
L'industrie du negationnisme
Les auteurs abordent frontalement le negationnisme officiel, " une
veritable industrie ", ecrit Taner Aksam, dotee de moyens colossaux
et fondee sur un racisme agressif qui nie l'histoire complexe et
plurielle de la Turquie et entache sa reputation internationale. "
Imaginons Faurisson ministre, Faurisson general ", ecrivent les
auteurs, en se referant au pseudo-historien Robert Faurisson, negateur
de la Shoah. A l'etranger, seuls quelques piètres historiens relaient
l'argumentaire d'Ankara. Seuls des dirigeants opportunistes ou timores
evoquent encore les " doutes " sur la realite du genocide. " Nous
n'avons pas une seule publication qui soit prise au serieux dans les
cercles academiques a l'etranger ", notait Murat Bardakci, dans une
chronique du quotidien Haber Turk.
La Turquie a encore un long chemin a parcourir avant de se debarrasser
de ses vieux demons. La faute a ete trop immense. L'eradication de
la presence armenienne a ete totale et totalitaire. La population a
ete exterminee ou expulsee. Ses biens ont ete voles et accapares. Son
patrimoine culturel a ete detruit. Et l'Etat a impose une histoire
faussee, qu'elle repète et repète a l'ecole, a l'armee.
Aujourd'hui encore, les prejuges contre les Armeniens restent tenaces.
Le discours ultranationaliste persiste. La crainte d'une demande
de reparations des prejudices subis hante les esprits. Alors que le
sujet du genocide est aujourd'hui discute ouvertement dans les cercles
liberaux de Turquie et que des livres, naguère tabous, sont en vente
dans les librairies d'Istanbul, le premier ministre Erdogan se montre
incapable d'aborder avec justesse et justice la " question armenienne
". En 2011, a Kars, il a meme fait raser le Monument de l'Humanite,
une statue qui devait symboliser la reconciliation entre la Turquie
et l'Armenie.
Une " nouvelle Turquie "
Toutefois, si la majorite de la population nie ou ignore, une nouvelle
generation se lève, qui exige la verite. Elle est descendue dans la
rue a Istanbul en 2007 pour crier, a l'annonce de l'assassinat de
Hrant Dink, " nous sommes tous des Armeniens ". Elle a signe l'Appel
au Pardon qui reconnaît la Grande Catastrophe, sans, toutefois, oser
encore prononcer le mot de genocide. " Bien sûr que c'est un genocide
", s'exclame l'un de ses initiateurs, Cengiz Aktar, " mais le mot ne
passerait jamais ". Elle se reclame des milliers de Justes, turcs
et kurdes, qui, lors du genocide, refusèrent d'etre complices. Et
elle ecoute ces Turcs courageux, intègres, qui brisent les tabous,
reviennent sur l'Histoire et sur leur propre histoire. A l'exemple
de Hasan Cemal, auteur fin 2012 d'un ouvrage intitule sobrement,
fortement, " 1915, le genocide armenien ". " Hasan Cemal est l'un
des journalistes les plus en vue de Turquie ", notent les auteurs, "
un homme repute pour sa droiture d'esprit ", mais aussi le petit-fils
de Djemal Pacha, l'un des hauts responsables du genocide.
Le livre de Laure Marchand et Guillaume Perrier, d'une extraordinaire
richesse, peut etre lu comme une plongee au sein d'un sujet singulier,
la Turquie et de sa memoire armenienne, mais il ouvre en fait sur
une reflexion universelle. Non seulement parce que tout genocide
concerne l'humanite tout entière, mais aussi parce que d'autres
peuples, victimes ou bourreaux, ont souffert ou souffrent encore
des affres de la " memoire du silence ". Tout au long de ce livre,
les auteurs nous lancent indirectement des questions essentielles,
existentielles : qu'aurions-nous fait en 1915 ? Que ferions-nous
aujourd'hui pour que prevalent la verite et la justice ? Comment
assurer que la justice accompagne la reconciliation ?
Que va-t-il se passer en 2015, a l'occasion de la commemoration du
centenaire du genocide ? " Le centenaire pourrait constituer une
etape clef sur la voie de la conscience et de la reconnaissance du
crime, ecrivent Laure Marchand et Guillaume Perrier. Le dialogue des
societes civiles turque et armenienne -d'Armenie et de la diaspora -
engage depuis quelques annees a ouvert des brèches inedites (...). Mais
comme un reflexe, l'Etat turc prepare sa riposte et promet d'inonder le
monde de brochures negationnistes ". Meme si le ministre des Affaires
etrangères Ahmet Davutoglu semble reconnaître que cet effort est de
plus en plus futile...
" La reconnaissance n'est pas au programme de 2015, concluent les
auteurs. Mais au moins, une autre lecture de l'histoire pourrait
trouver sa place ". Ce livre, qui sera bientôt traduit en turc, aura
sans aucun doute contribue a ce long cheminement de la memoire et de
la verite dans lequel se sont engages ces citoyens, ces intellectuels
turcs, qui incarnent le meilleur de leur pays, en osant affronter ce
passe qui determine tellement l'avenir.
Laure Marchand et Guillaume Perrier, La Turquie et le fantôme
armenien. Sur les traces du genocide, Preface de Taner Aksam,
Solin/Actes Sud, 2013, 218 pages.
http://blog.lesoir.be/lalibertesinonrien/2013/07/19/laure-marchand-et-guillaume-perrier-sur-les-traces-du-genocide-armenien/
From: Baghdasarian