LEUR MORALE ET LA NôTRE, PAR ARA TORANIAN
Ainsi, le gouvernement turc et les Kurdes du PKK se seraient-ils
entendus ces derniers jours sur un accord qui entrainerait quelques
réformes, la libération de prisonniers politiques et un arrêt
des hostilités. Même en faisant abstraction des considérations
géostratégiques ayant conduit a ce résultat, toute évolution
de la situation en Turquie, en particulier si elle se traduit par
une plus grande prise en compte de la diversité culturelle de ce
pays, ne peut laisser les Arméniens indifférents. Pour autant ces
progrès soulignent également, par contraste, l'inexistence de toute
avancée officielle sur la reconnaissance du génocide des Arméniens
et d'une manière générale de tout pas en direction d'une initiative
de justice a l'égard de ce peuple annihilé. Physiquement absent du
paysage démographique ( ils ne représentent plus que 0,01% de la
population de la Turquie), ils le sont aussi de la scène politique. Et
hormis quelques bonnes volontés turques et kurdes qui ont pris le
risque, de-ci de-la, de s'exprimer en leur faveur, ils ne disposent
d'aucun relais pour s'inscrire dans les mécanismes politiques internes
de ce pays. Et d'y défendre leurs droits les plus élémentaires.
Les morts sont la proie des vivants disait Sartre, et les descendants
des victimes doivent s'en remettre a d'autres pour protéger
leur mémoire a l'intérieur de la Turquie. Leur propre parole,
venue de diaspora ou d'Arménie, est percue comme une pression
extérieure. Elle provoque d'abord un réflexe de résistance,
avant que de pouvoir seulement songer a recueillir quelque chance
d'être entendue. Effacés de la terre qui a vu naître leur peuple,
devenue pour elle des étrangers, les fils des rescapés du génocide
le sont aussi encore un peu dans leur pays d'accueil. N'était-ce pas
ce que sous-entendait Maître Robert Badinter quand il se demandait
en substance, au moment de la loi pénalisant le négationnisme du
génocide arménien, Â" en quoi ce problème qui s'est produit loin
dans le temps et l'espace regarde-t-il la France Â" ? â~@~I Comme
si le principe de fraternité n'induisait pas que ce qui touche une
partie de la population concerne aussi le reste. Comme si la notion
de crime contre l'humanité devait s'arrêter la où commencent les
frontières de l'Hexagone. Et comme si le négationnisme n'était
pas en soi un fléau.
Inexistant sur la terre de leurs ancêtres, devant encore essuyer
90 ans après leur arrivée en France ce genre de remarques des Â"
autorités morales Â" de leur nouvelle patrie, assis sur un volcan
géopolitique dans leur petite république du Caucase, les Arméniens
font-ils partie des peuples maudits des temps modernes ? Une population
gênante, errante et surtout qui crée des problèmes avec un Etat
réputé important : la Turquie. Un Etat certes génocidaire et
négationniste, mais a propos duquel Shimon Perès, en baisant la
main du Sultan Erdogan, vient de déclarer qu'IsraÃ"l avait mille
raisons d'être l'ami... oubliant ainsi sans doute les mots malheureux
prononcés par ce dernier il y a 3 ans a Davos, ainsi bien sÃ"r que le
génocide arménien. Comme si ce type de considérations ne revêtait
aucune espèce d'importance ni de signification d'aucune sorte.
Quel est donc l'étrange message sous-jacent a cette situation globale
? S'agit-il de dire que les peuples exterminés feraient mieux de
prendre leur perte, comme a la Bourse, et de passer a autre chose ?
Qu'une bonne fois pour toutes ils devraient faire leur deuil de leurs
droits et de leurs idéaux de liberté ? Qu'ils comprennent enfin
que la raison du plus fort est toujours la meilleure ? Et qu'ils se
résignent a l'idée que, oui, décidément, le crime est payant ?
Si les choses ne sont pas dites avec autant de brutalité, n'est-ce
pas tout de même l'enseignement qu'il convient d'en tirer ? A
cette morale, nous en opposons une autre. La nôtre. Un peuple qui a
survécu a 1915 survivra a tout. Il le doit a lui même. Et surtout,
il le doit a une certaine idée de la justice et de l'humanité dont le
combat qu'il mène au nom de tous les siens pave la route et magnifie
la portée.
Ara Toranian
mardi 26 mars 2013, Ara ©armenews.com
Ainsi, le gouvernement turc et les Kurdes du PKK se seraient-ils
entendus ces derniers jours sur un accord qui entrainerait quelques
réformes, la libération de prisonniers politiques et un arrêt
des hostilités. Même en faisant abstraction des considérations
géostratégiques ayant conduit a ce résultat, toute évolution
de la situation en Turquie, en particulier si elle se traduit par
une plus grande prise en compte de la diversité culturelle de ce
pays, ne peut laisser les Arméniens indifférents. Pour autant ces
progrès soulignent également, par contraste, l'inexistence de toute
avancée officielle sur la reconnaissance du génocide des Arméniens
et d'une manière générale de tout pas en direction d'une initiative
de justice a l'égard de ce peuple annihilé. Physiquement absent du
paysage démographique ( ils ne représentent plus que 0,01% de la
population de la Turquie), ils le sont aussi de la scène politique. Et
hormis quelques bonnes volontés turques et kurdes qui ont pris le
risque, de-ci de-la, de s'exprimer en leur faveur, ils ne disposent
d'aucun relais pour s'inscrire dans les mécanismes politiques internes
de ce pays. Et d'y défendre leurs droits les plus élémentaires.
Les morts sont la proie des vivants disait Sartre, et les descendants
des victimes doivent s'en remettre a d'autres pour protéger
leur mémoire a l'intérieur de la Turquie. Leur propre parole,
venue de diaspora ou d'Arménie, est percue comme une pression
extérieure. Elle provoque d'abord un réflexe de résistance,
avant que de pouvoir seulement songer a recueillir quelque chance
d'être entendue. Effacés de la terre qui a vu naître leur peuple,
devenue pour elle des étrangers, les fils des rescapés du génocide
le sont aussi encore un peu dans leur pays d'accueil. N'était-ce pas
ce que sous-entendait Maître Robert Badinter quand il se demandait
en substance, au moment de la loi pénalisant le négationnisme du
génocide arménien, Â" en quoi ce problème qui s'est produit loin
dans le temps et l'espace regarde-t-il la France Â" ? â~@~I Comme
si le principe de fraternité n'induisait pas que ce qui touche une
partie de la population concerne aussi le reste. Comme si la notion
de crime contre l'humanité devait s'arrêter la où commencent les
frontières de l'Hexagone. Et comme si le négationnisme n'était
pas en soi un fléau.
Inexistant sur la terre de leurs ancêtres, devant encore essuyer
90 ans après leur arrivée en France ce genre de remarques des Â"
autorités morales Â" de leur nouvelle patrie, assis sur un volcan
géopolitique dans leur petite république du Caucase, les Arméniens
font-ils partie des peuples maudits des temps modernes ? Une population
gênante, errante et surtout qui crée des problèmes avec un Etat
réputé important : la Turquie. Un Etat certes génocidaire et
négationniste, mais a propos duquel Shimon Perès, en baisant la
main du Sultan Erdogan, vient de déclarer qu'IsraÃ"l avait mille
raisons d'être l'ami... oubliant ainsi sans doute les mots malheureux
prononcés par ce dernier il y a 3 ans a Davos, ainsi bien sÃ"r que le
génocide arménien. Comme si ce type de considérations ne revêtait
aucune espèce d'importance ni de signification d'aucune sorte.
Quel est donc l'étrange message sous-jacent a cette situation globale
? S'agit-il de dire que les peuples exterminés feraient mieux de
prendre leur perte, comme a la Bourse, et de passer a autre chose ?
Qu'une bonne fois pour toutes ils devraient faire leur deuil de leurs
droits et de leurs idéaux de liberté ? Qu'ils comprennent enfin
que la raison du plus fort est toujours la meilleure ? Et qu'ils se
résignent a l'idée que, oui, décidément, le crime est payant ?
Si les choses ne sont pas dites avec autant de brutalité, n'est-ce
pas tout de même l'enseignement qu'il convient d'en tirer ? A
cette morale, nous en opposons une autre. La nôtre. Un peuple qui a
survécu a 1915 survivra a tout. Il le doit a lui même. Et surtout,
il le doit a une certaine idée de la justice et de l'humanité dont le
combat qu'il mène au nom de tous les siens pave la route et magnifie
la portée.
Ara Toranian
mardi 26 mars 2013, Ara ©armenews.com