La Tribune de Geneve, Suisse
18 mai 2013 samedi
Édition Tribune de Genève
«Des musulmans turcs s'affichent Arméniens»
par Andrés Allemand; Deharbe
Convertis pour échapper au génocide, ils revendiquent leurs racines.
Une enquête-choc de Laure Marchand et Guillaume Perrier
«Une nouvelle catégorie de population plutôt étonnante fait son
apparition en Turquie: les Arméniens musulmans. Des jeunes découvrent
que leurs grands-mères étaient chrétiennes et qu'elles avaient été
prises en charge, petites, par des couples turcs. Des familles
d'Arméniens convertis pour échapper augénocide de 1915 se mettent à
revendiquer leurs racines. C'était impensable il y a seulement dix
ans!»
Laure Marchand semble encore bouleversée par sa découverte.
Correspondante à Istanbul du quotidien français Le Figaro, elle
cosigne avec Guillaume Perrier, son confrère du Monde, une vaste
enquête publiée chez Actes Sud:La Turquie et le fantôme arménien. Ils
étaient hier de passage dans la Cité de Calvin pour une conférence à
l'invitation du Centre arménien de Genève.
«Il y a quatre ans, quand nous avons commencé à chercher ces familles
de convertis, c'était très difficile. Certaines sont tellement
assimilées qu'elles comptent en leur sein des imams carrément
prosélytes. D'autres vivaient dans la peur, perpétuant en cachette
leur culture arménienne, leur foi chrétienne ou simplement des
traditions comme les oeufs peints pour Pques», raconte Laure
Marchand. «Mais depuis 2008, on en voit qui commencent à s'afficher.
Certains reprennentleur nom d'origine ou même se reconvertissent au
christianisme. Mais d'autres, sans renoncer à l'islam, affichent leurs
racines», note Guillaume Perrier.
Le phénomène doit sans doutebeaucoup à l'ouvrage-choc de Fethiye
Çetin,Le livre de ma grand-mère. Publié en 2006, il raconte comment
son aïeule lui a récemment dévoilé qu'elle avait été arrachée à ses
parents arméniens par un officier turc. Elevée en bonne musulmane,
elle avait toujours tu son passé. Or, depuis la publication et la
réédition de ce document, l'auteur a reçu de nombreux messages de
Turcs disant avoir vécu lamême expérience. «Certains croientqu'il y
aurait ainsi en Turquieplus d'un million d'Arméniens cachés»,note une
Laure Marchand circonspecte.
Officiellement, il n'y a que 60 000 Arméniens déclarés, vivant
principalement à Istanbul et Izmir. «Il y en a certainement beaucoup
plus, mais la plupart se taisent par peur. L'Etat nie toujours le
génocide. Et même s'il n'est plus tabou d'en parler en Turquie,
l'hostilité et l'impunité sont encore bien réelles, cent ans après. En
2007, l'intellectuel arménien Hrant Dink a été assassiné. Et en 2011,
un jeune soldat a été tué par un camarade. La justice a conclu à une
négligence coupable. »
18 mai 2013 samedi
Édition Tribune de Genève
«Des musulmans turcs s'affichent Arméniens»
par Andrés Allemand; Deharbe
Convertis pour échapper au génocide, ils revendiquent leurs racines.
Une enquête-choc de Laure Marchand et Guillaume Perrier
«Une nouvelle catégorie de population plutôt étonnante fait son
apparition en Turquie: les Arméniens musulmans. Des jeunes découvrent
que leurs grands-mères étaient chrétiennes et qu'elles avaient été
prises en charge, petites, par des couples turcs. Des familles
d'Arméniens convertis pour échapper augénocide de 1915 se mettent à
revendiquer leurs racines. C'était impensable il y a seulement dix
ans!»
Laure Marchand semble encore bouleversée par sa découverte.
Correspondante à Istanbul du quotidien français Le Figaro, elle
cosigne avec Guillaume Perrier, son confrère du Monde, une vaste
enquête publiée chez Actes Sud:La Turquie et le fantôme arménien. Ils
étaient hier de passage dans la Cité de Calvin pour une conférence à
l'invitation du Centre arménien de Genève.
«Il y a quatre ans, quand nous avons commencé à chercher ces familles
de convertis, c'était très difficile. Certaines sont tellement
assimilées qu'elles comptent en leur sein des imams carrément
prosélytes. D'autres vivaient dans la peur, perpétuant en cachette
leur culture arménienne, leur foi chrétienne ou simplement des
traditions comme les oeufs peints pour Pques», raconte Laure
Marchand. «Mais depuis 2008, on en voit qui commencent à s'afficher.
Certains reprennentleur nom d'origine ou même se reconvertissent au
christianisme. Mais d'autres, sans renoncer à l'islam, affichent leurs
racines», note Guillaume Perrier.
Le phénomène doit sans doutebeaucoup à l'ouvrage-choc de Fethiye
Çetin,Le livre de ma grand-mère. Publié en 2006, il raconte comment
son aïeule lui a récemment dévoilé qu'elle avait été arrachée à ses
parents arméniens par un officier turc. Elevée en bonne musulmane,
elle avait toujours tu son passé. Or, depuis la publication et la
réédition de ce document, l'auteur a reçu de nombreux messages de
Turcs disant avoir vécu lamême expérience. «Certains croientqu'il y
aurait ainsi en Turquieplus d'un million d'Arméniens cachés»,note une
Laure Marchand circonspecte.
Officiellement, il n'y a que 60 000 Arméniens déclarés, vivant
principalement à Istanbul et Izmir. «Il y en a certainement beaucoup
plus, mais la plupart se taisent par peur. L'Etat nie toujours le
génocide. Et même s'il n'est plus tabou d'en parler en Turquie,
l'hostilité et l'impunité sont encore bien réelles, cent ans après. En
2007, l'intellectuel arménien Hrant Dink a été assassiné. Et en 2011,
un jeune soldat a été tué par un camarade. La justice a conclu à une
négligence coupable. »