L'Express, France
20 oct 2013
Portraits de Syriens: "Pourquoi aller en Arménie alors qu'on est chez nous ici?"
Par Hala Kodmani, envoyée spéciale à Raqqa, publié le 20/10/2013 à 09:38
Araxi, 52 ans, pharmacienne arménienne de Raqqa où sa famille est
établie depuis un siècle, résiste à l'idée de devoir quitter la ville
sous pression.
Raqqa, grande ville du nord de la Syrie, est administrée depuis le
mois de mars par la rébellion. Notre envoyée spéciale a rencontré
quelques-uns de ses habitants qui témoignent sur leur vie quotidienne
à l'heure du pouvoir djihadiste. Pendant une semaine, L'Express vous
livre ces tranches de vie. Aujourd'hui, une Arménienne.
Araxi reçoit ses invités en fin d'après-midi sur sa belle terrasse au
deuxième étage d'une maison en plein centre de Raqqa. Ses deux jeunes
filles se relaient avec les plateaux de café, de thé puis de sirop de
grenade. Elles sont rentrées toutes les trois, il y a quelques jours
de Lattaquié. "J'espère rester cette fois-ci," dit, sans avoir l'air
de se plaindre, l'élégante veuve quinquagénaire aux cheveux teints en
blond. Elle a fait plusieurs aller retours ces six derniers mois entre
la grande ville côtière, à moins de 200 km, bien contrôlée par les
forces de Bachar el-Assad et son Raqqa natal, tombée aux mains de la
rébellion en mars dernier. Comme la plupart des Arméniens, qui
figurent parmi les premiers habitants de cette ancienne bourgade,
devenue capitale provinciale, elle s'est repliée par précaution avec
sa famille "en attendant de voir... c'est le sort de tous les Syriens
aujourd'hui."
Elle n'a pas encore eu le temps de passer à la pharmacie qu'elle
tenait avec son fils ainé de 27 ans, resté à Lattaquié. L'affaire
familiale, ouverte par son beau-père dans les années 1960, est
maintenant gérée par un employé. "Il y fait ce qu'il veut, de toute
façon, avec la pénurie de médicaments et l'appauvrissement des
clients, on ne peut plus compter sur les revenus de l'officine",
observe la dame que les problèmes de survie matérielle ne semblent pas
inquiéter. Elle peut compter sur les économies amassées pendant des
années de travail au côté de son mari d'abord, puis seule en attendant
que son fils soit diplômé de l'Université d'Alep.
"Les Arméniens ont été les premiers et longtemps les seuls commerçants
et artisans à Raqqa", rappelle Araxi dont la famille, comme des
centaines d'autres, s'est réfugiée dans la ville au lendemain des
massacres de 1915 en Turquie. Elle se lance dans le récit familier des
souvenirs de coexistence harmonieuse entre communautés depuis un
siècle. "Quand j'étais enfant, notre maison communiquait avec celle de
nos voisins musulmans par une fenêtre de la terrasse. Comme nous
avions une vraie salle de bain avec chauffe-eau à mazout, ma mère nous
lavait à la chaîne avec les cinq enfants des voisins qui passaient par
la fenêtre. Pendant le Ramadan, nous mangions léger dans la journée
pour pouvoir partager avec nos amis le repas de rupture du jeûne
tandis que pendant la période de notre carême, on leur passait les
plats de nos spécialités maigres par la fenêtre."
Araxi écarte encore l'idée de quitter Raqqa: "Beaucoup de nos amis
sont partis en Arménie. Il suffit d'aller se présenter à l'ambassade à
Beyrouth pour obtenir un passeport. Mais pourquoi aller là-bas alors
qu'on est chez nous ici. D'autant que le niveau de vie y est encore
plus bas qu'en Syrie après deux ans de guerre."
Quelques jours plus tard, la principale église de Raqqa était attaquée
par les extrémistes de l'Etat islamique d'Irak et du Levant qui
tiennent la ville. Araxi et ses filles ont dû repartir à Lataquié. "En
attendant..."
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/portraits-de-syriens-pourquoi-aller-en-armenie-alors-qu-on-est-chez-nous-ici_1291922.html
20 oct 2013
Portraits de Syriens: "Pourquoi aller en Arménie alors qu'on est chez nous ici?"
Par Hala Kodmani, envoyée spéciale à Raqqa, publié le 20/10/2013 à 09:38
Araxi, 52 ans, pharmacienne arménienne de Raqqa où sa famille est
établie depuis un siècle, résiste à l'idée de devoir quitter la ville
sous pression.
Raqqa, grande ville du nord de la Syrie, est administrée depuis le
mois de mars par la rébellion. Notre envoyée spéciale a rencontré
quelques-uns de ses habitants qui témoignent sur leur vie quotidienne
à l'heure du pouvoir djihadiste. Pendant une semaine, L'Express vous
livre ces tranches de vie. Aujourd'hui, une Arménienne.
Araxi reçoit ses invités en fin d'après-midi sur sa belle terrasse au
deuxième étage d'une maison en plein centre de Raqqa. Ses deux jeunes
filles se relaient avec les plateaux de café, de thé puis de sirop de
grenade. Elles sont rentrées toutes les trois, il y a quelques jours
de Lattaquié. "J'espère rester cette fois-ci," dit, sans avoir l'air
de se plaindre, l'élégante veuve quinquagénaire aux cheveux teints en
blond. Elle a fait plusieurs aller retours ces six derniers mois entre
la grande ville côtière, à moins de 200 km, bien contrôlée par les
forces de Bachar el-Assad et son Raqqa natal, tombée aux mains de la
rébellion en mars dernier. Comme la plupart des Arméniens, qui
figurent parmi les premiers habitants de cette ancienne bourgade,
devenue capitale provinciale, elle s'est repliée par précaution avec
sa famille "en attendant de voir... c'est le sort de tous les Syriens
aujourd'hui."
Elle n'a pas encore eu le temps de passer à la pharmacie qu'elle
tenait avec son fils ainé de 27 ans, resté à Lattaquié. L'affaire
familiale, ouverte par son beau-père dans les années 1960, est
maintenant gérée par un employé. "Il y fait ce qu'il veut, de toute
façon, avec la pénurie de médicaments et l'appauvrissement des
clients, on ne peut plus compter sur les revenus de l'officine",
observe la dame que les problèmes de survie matérielle ne semblent pas
inquiéter. Elle peut compter sur les économies amassées pendant des
années de travail au côté de son mari d'abord, puis seule en attendant
que son fils soit diplômé de l'Université d'Alep.
"Les Arméniens ont été les premiers et longtemps les seuls commerçants
et artisans à Raqqa", rappelle Araxi dont la famille, comme des
centaines d'autres, s'est réfugiée dans la ville au lendemain des
massacres de 1915 en Turquie. Elle se lance dans le récit familier des
souvenirs de coexistence harmonieuse entre communautés depuis un
siècle. "Quand j'étais enfant, notre maison communiquait avec celle de
nos voisins musulmans par une fenêtre de la terrasse. Comme nous
avions une vraie salle de bain avec chauffe-eau à mazout, ma mère nous
lavait à la chaîne avec les cinq enfants des voisins qui passaient par
la fenêtre. Pendant le Ramadan, nous mangions léger dans la journée
pour pouvoir partager avec nos amis le repas de rupture du jeûne
tandis que pendant la période de notre carême, on leur passait les
plats de nos spécialités maigres par la fenêtre."
Araxi écarte encore l'idée de quitter Raqqa: "Beaucoup de nos amis
sont partis en Arménie. Il suffit d'aller se présenter à l'ambassade à
Beyrouth pour obtenir un passeport. Mais pourquoi aller là-bas alors
qu'on est chez nous ici. D'autant que le niveau de vie y est encore
plus bas qu'en Syrie après deux ans de guerre."
Quelques jours plus tard, la principale église de Raqqa était attaquée
par les extrémistes de l'Etat islamique d'Irak et du Levant qui
tiennent la ville. Araxi et ses filles ont dû repartir à Lataquié. "En
attendant..."
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/portraits-de-syriens-pourquoi-aller-en-armenie-alors-qu-on-est-chez-nous-ici_1291922.html