COMMENT J'AI FAIT FACE AU GENOCIDE ARMENIEN
Témoignage
Un autre 24 avril approche. Un repère dans l'histoire du Moyen-Orient,
cette date marquera cette année le 99ème anniversaire de la
catastrophe de 1915. Il y a quatre-vingt dix neuf ans, l'un des peuples
chrétiens de la région, les Arméniens, tombèrent, victimes d'une
grande tragédie queux-mêmes appellent Medz Yeghern, génocide.
Une profonde, insurmontable inimitié hante Turcs et Arméniens depuis
lors, dont la tension atteindra forcément un sommet l'an prochain,
année du centenaire du Génocide. Cette année, comme avant, les
porte-parole de divers pays répéteront leur cliché. Le non-sens
désolant sera continué.
Un écrivain turc dit comment il a affronté les massacres d'Arméniens
des mains des Turcs et comment apprendre la vérité a bousculé son
monde intérieur.
Rasim Ozan Kutahyali
22 avril 2014
Aujourd'hui, je raconte mon propre voyage mental et le changement
de perception dont j'ai fait l'expérience comme Turc. Je parle
de la facon dont j'ai fait face aux massacres d'Arméniens et
de Chrétiens et de la facon dont la vérité m'a effrayé dans
mon être intérieur. La route de l'acceptation a été dure, il
n'y a pas de doute, mais je me suis finalement mis en accord avec
la vérité. Les Arméniens ont été déracinés des terres sur
lesquelles je vivais. Par centaines de milliers, ils ont été tués,
sauvagement, sur les ordres du gouvernement Jeune turc de Talaat
Pacha. Dans l'ère kémaliste qui a suivi, Chrétiens et Juifs ont
de nouveau été chassés de leur patrie.
C'était un acte caractérisé de nettoyage ethnique, nié par l'état
auquel j'appartenais. Une telle négation, avant tout le reste,
est honteuse.
J'étais au lycée lorsque pour la première fois, je me posais
des questions sur 1915. Nos professeurs kémalistes parlaient
d' " allégations arméniennes " et de " mensonges arméniens
". L'éducation kémaliste que nous avions recue dans les classes
précédentes avaient déja instillé en moi et en mes camarades un
sentiment anti-arménien.
On nous montra ensuite un documentaire produit par le gouvernement,
d'après lequel les Turcs, en fait, étaient les victimes d'un
génocide perpétré par les Arméniens.
Ce documentaire était une création ridicule, dépourvue de tout
enseignement intellectuel de qualité. Je n'étais pas convaincu. D'un
autre côté, étant enfant d'une famille turque, je ne voulais pas
croire que " nous " avions massacré les Arméniens. La position
officielle turque - ce n'était pas un massacre mais des tueries
mutuelles - a pris forme dans les années 1990. Pour ménager ma
propre conscience, j'ai fait mienne cette thèse comme étant la
plus crédible.
J'ai commencé a lire des études qui soutenaient la version du
gouvernement sur ces événements. Chaque fois que le sujet était
abordé, j'insistais : ce n'était pas un massacre, seulement des
tueries mutuelles. Au cours de mes années d'université, je continuais
mes lectures sur ce sujet ; il revenait de temps a autres au centre de
discussions et aiguisait mon appétit d'en savoir plus. Pour être tout
a fait franc, cependant, il m'importait peu de lire les écrits d'un
bord ou de l'autre, d'essayer d'être objectif ou rechercher vraiment
la vérité. Pour moi, la vérité était déja dans mon esprit :
Un Génocide arménien n'a jamais eu lieu. Les deux peuples se sont
massacrés l'un l'autre. Ainsi, mon unique but était de renforcer la
" vérité " que j'avais déja acceptée.
Comme ce superbe Arménien disparu, Hrant Dink, le répétait souvent,
étant Turc, j'étais tout simplement incapable d'accepter quoique ce
soit, relativement a un génocide. Je ne pouvais pas dire " Oui, les
Turcs ont massacré les Arméniens ". Dink soutenait que le recours a
la négation était en fait une réaction humaine naturelle. Tandis
que sur d'autres questions, mon esprit était formé a la pensée
libérale et démocratique, sur la question arménienne, je restais
conditionné pour rester sur l'idée que " c'était mutuel ", que "
le pardon devait être demandé de part et d'autre ", " que " c'était
la guerre et il n'y a pas eu de massacre mais des tueries mutuelles ".
Bien que n'ayant jamais lu d'études affirmant le génocide, j'ai
progressivement commencé a ressentir que quelque chose n'allait pas
dans la position pro-turque. La littérature turque sur le sujet varie
depuis " il ne s'est rien passé " et " les tueries étaient mutuelles
" jusqu'a finalement " oui, cela a eu lieu, mais c'était nécessaire
".
C'est alors que j'ai dÃ" changer d'idée. Comme Turc, j'aurais dÃ"
m'en tenir au recours aux illusions, mais faire sien un argument qui
dit plus ou moins " oui, nous l'avons fait, et nous avions raison de
le faire " me semblait cruel et tout simplement immoral.
L'universitaire américain Justin McCarthy, dont j'ai lu tous les
travaux a l'époque, était a la tête des partisans de la version
turque. Il avait le fort soutien de l'état turc et avait souvent
rendu visite a la Turquie, a l'invitation d'Ankara, pour y faire ici
et la des discours.
MacCarthy ne niait pas le nombre énorme d'atrocités qui découlèrent
des déportations, il concluait que si les déportations n'avaient
pas eu lieu, les Turcs auraient perdu l'est de l'Anatolie. Leurs
actes étaient par conséquent motivés. Cet argument offrait une
justification facile aux Turcs, dont la plupart pouvaient être
soulagés de penser que c'était ce qu'il fallait faire, après tout.
Comme Dink l'a dit aussi, nier ce qui s'est passé ou ne pas le
croire, est en un sens une noble réaction. La plupart des Turcs ont
aujourd'hui ce sentiment. Et cependant, nombreuses sont les personnes
qui tendent a adopter la théorie selon laquelle les Turcs étaient
dans leur droit. C'est terrible et réellement honteux, parce que
cela dénote un esprit cruel et immoral qui légitime l'assassinat
et les tueries a grande échelle.
Pour ce qui me concerne, même les écrits pro-turcs que j'ai lus pour
entretenir mes illusions et soulager ma conscience ont contribué a ma
conclusion finale que ce qui s'était passé était un crime contre
l'humanité. En même temps, je réalisais que désigner une nation
entière comme le boucher d'une autre, ou voir un ennemi dans chaque
membre d'une autre nation sont autant de non-sens intellectuels. Cela
reste vrai non seulement dans le contexte turc et arménien, mais
aussi dans celui de l'Allemagne envers les Juifs ou de la Serbie avec
la Bosnie.
Le vrai meurtrier c'est l'état d'esprit - pas une nation - qui
justifie l'extermination de groupes religieux ou ethniques pour
des raisons soi-disant supérieures. Ce n'est qu'un état d'esprit
révoltant, tout entier dirigé vers le résultat, qui a rendu possible
tous les massacres et les génocides, considérant comme légitimes
tous les moyens employés pour obtenir un résultat réputé sacré. Au
regard des événements de 1915, cet état d'esprit vide de moralité
et de conscience est un avatar né de l'idéologie jeune-turque,
concue par un Talaat qui ne voyait en les gens que de simples objets
pour ses projets d'ingénierie de population.
Telle est mon histoire personnelle. J'ai fini de me duper moi-même. Ce
qui s'est passé sur ces terres en 1915 était une grande tragédie,
un génocide contre les Arméniens, un crime contre l'humanité. Tous
les arguments "mais..." a propos de ce crime me donnent la nausée.
Taduction Gilbert Béguian pour Armenews.com
vendredi 25 avril 2014, Jean Eckian ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=99318
Témoignage
Un autre 24 avril approche. Un repère dans l'histoire du Moyen-Orient,
cette date marquera cette année le 99ème anniversaire de la
catastrophe de 1915. Il y a quatre-vingt dix neuf ans, l'un des peuples
chrétiens de la région, les Arméniens, tombèrent, victimes d'une
grande tragédie queux-mêmes appellent Medz Yeghern, génocide.
Une profonde, insurmontable inimitié hante Turcs et Arméniens depuis
lors, dont la tension atteindra forcément un sommet l'an prochain,
année du centenaire du Génocide. Cette année, comme avant, les
porte-parole de divers pays répéteront leur cliché. Le non-sens
désolant sera continué.
Un écrivain turc dit comment il a affronté les massacres d'Arméniens
des mains des Turcs et comment apprendre la vérité a bousculé son
monde intérieur.
Rasim Ozan Kutahyali
22 avril 2014
Aujourd'hui, je raconte mon propre voyage mental et le changement
de perception dont j'ai fait l'expérience comme Turc. Je parle
de la facon dont j'ai fait face aux massacres d'Arméniens et
de Chrétiens et de la facon dont la vérité m'a effrayé dans
mon être intérieur. La route de l'acceptation a été dure, il
n'y a pas de doute, mais je me suis finalement mis en accord avec
la vérité. Les Arméniens ont été déracinés des terres sur
lesquelles je vivais. Par centaines de milliers, ils ont été tués,
sauvagement, sur les ordres du gouvernement Jeune turc de Talaat
Pacha. Dans l'ère kémaliste qui a suivi, Chrétiens et Juifs ont
de nouveau été chassés de leur patrie.
C'était un acte caractérisé de nettoyage ethnique, nié par l'état
auquel j'appartenais. Une telle négation, avant tout le reste,
est honteuse.
J'étais au lycée lorsque pour la première fois, je me posais
des questions sur 1915. Nos professeurs kémalistes parlaient
d' " allégations arméniennes " et de " mensonges arméniens
". L'éducation kémaliste que nous avions recue dans les classes
précédentes avaient déja instillé en moi et en mes camarades un
sentiment anti-arménien.
On nous montra ensuite un documentaire produit par le gouvernement,
d'après lequel les Turcs, en fait, étaient les victimes d'un
génocide perpétré par les Arméniens.
Ce documentaire était une création ridicule, dépourvue de tout
enseignement intellectuel de qualité. Je n'étais pas convaincu. D'un
autre côté, étant enfant d'une famille turque, je ne voulais pas
croire que " nous " avions massacré les Arméniens. La position
officielle turque - ce n'était pas un massacre mais des tueries
mutuelles - a pris forme dans les années 1990. Pour ménager ma
propre conscience, j'ai fait mienne cette thèse comme étant la
plus crédible.
J'ai commencé a lire des études qui soutenaient la version du
gouvernement sur ces événements. Chaque fois que le sujet était
abordé, j'insistais : ce n'était pas un massacre, seulement des
tueries mutuelles. Au cours de mes années d'université, je continuais
mes lectures sur ce sujet ; il revenait de temps a autres au centre de
discussions et aiguisait mon appétit d'en savoir plus. Pour être tout
a fait franc, cependant, il m'importait peu de lire les écrits d'un
bord ou de l'autre, d'essayer d'être objectif ou rechercher vraiment
la vérité. Pour moi, la vérité était déja dans mon esprit :
Un Génocide arménien n'a jamais eu lieu. Les deux peuples se sont
massacrés l'un l'autre. Ainsi, mon unique but était de renforcer la
" vérité " que j'avais déja acceptée.
Comme ce superbe Arménien disparu, Hrant Dink, le répétait souvent,
étant Turc, j'étais tout simplement incapable d'accepter quoique ce
soit, relativement a un génocide. Je ne pouvais pas dire " Oui, les
Turcs ont massacré les Arméniens ". Dink soutenait que le recours a
la négation était en fait une réaction humaine naturelle. Tandis
que sur d'autres questions, mon esprit était formé a la pensée
libérale et démocratique, sur la question arménienne, je restais
conditionné pour rester sur l'idée que " c'était mutuel ", que "
le pardon devait être demandé de part et d'autre ", " que " c'était
la guerre et il n'y a pas eu de massacre mais des tueries mutuelles ".
Bien que n'ayant jamais lu d'études affirmant le génocide, j'ai
progressivement commencé a ressentir que quelque chose n'allait pas
dans la position pro-turque. La littérature turque sur le sujet varie
depuis " il ne s'est rien passé " et " les tueries étaient mutuelles
" jusqu'a finalement " oui, cela a eu lieu, mais c'était nécessaire
".
C'est alors que j'ai dÃ" changer d'idée. Comme Turc, j'aurais dÃ"
m'en tenir au recours aux illusions, mais faire sien un argument qui
dit plus ou moins " oui, nous l'avons fait, et nous avions raison de
le faire " me semblait cruel et tout simplement immoral.
L'universitaire américain Justin McCarthy, dont j'ai lu tous les
travaux a l'époque, était a la tête des partisans de la version
turque. Il avait le fort soutien de l'état turc et avait souvent
rendu visite a la Turquie, a l'invitation d'Ankara, pour y faire ici
et la des discours.
MacCarthy ne niait pas le nombre énorme d'atrocités qui découlèrent
des déportations, il concluait que si les déportations n'avaient
pas eu lieu, les Turcs auraient perdu l'est de l'Anatolie. Leurs
actes étaient par conséquent motivés. Cet argument offrait une
justification facile aux Turcs, dont la plupart pouvaient être
soulagés de penser que c'était ce qu'il fallait faire, après tout.
Comme Dink l'a dit aussi, nier ce qui s'est passé ou ne pas le
croire, est en un sens une noble réaction. La plupart des Turcs ont
aujourd'hui ce sentiment. Et cependant, nombreuses sont les personnes
qui tendent a adopter la théorie selon laquelle les Turcs étaient
dans leur droit. C'est terrible et réellement honteux, parce que
cela dénote un esprit cruel et immoral qui légitime l'assassinat
et les tueries a grande échelle.
Pour ce qui me concerne, même les écrits pro-turcs que j'ai lus pour
entretenir mes illusions et soulager ma conscience ont contribué a ma
conclusion finale que ce qui s'était passé était un crime contre
l'humanité. En même temps, je réalisais que désigner une nation
entière comme le boucher d'une autre, ou voir un ennemi dans chaque
membre d'une autre nation sont autant de non-sens intellectuels. Cela
reste vrai non seulement dans le contexte turc et arménien, mais
aussi dans celui de l'Allemagne envers les Juifs ou de la Serbie avec
la Bosnie.
Le vrai meurtrier c'est l'état d'esprit - pas une nation - qui
justifie l'extermination de groupes religieux ou ethniques pour
des raisons soi-disant supérieures. Ce n'est qu'un état d'esprit
révoltant, tout entier dirigé vers le résultat, qui a rendu possible
tous les massacres et les génocides, considérant comme légitimes
tous les moyens employés pour obtenir un résultat réputé sacré. Au
regard des événements de 1915, cet état d'esprit vide de moralité
et de conscience est un avatar né de l'idéologie jeune-turque,
concue par un Talaat qui ne voyait en les gens que de simples objets
pour ses projets d'ingénierie de population.
Telle est mon histoire personnelle. J'ai fini de me duper moi-même. Ce
qui s'est passé sur ces terres en 1915 était une grande tragédie,
un génocide contre les Arméniens, un crime contre l'humanité. Tous
les arguments "mais..." a propos de ce crime me donnent la nausée.
Taduction Gilbert Béguian pour Armenews.com
vendredi 25 avril 2014, Jean Eckian ©armenews.com
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=99318