REVUE DE PRESSE
L' Histoire de Sara par Orhan Kemal Cengiz
Les journalistes politiques que nous sommes sont des esclaves de la
politique publique. Ce que nous voudrions dire à nos lecteurs n'a
aucune importance, en quelque sorte ; nous ne pouvons nous soustraire
aux développements ` importants ` et nos écrits doivent toujours être
à jour. Tandis que naturellement, nous nous efforçons d'être en phase
avec tous les développements frénétiques, dans un pays comme la
Turquie, il arrive quelquefois que nous laissons de côté des choses
très importantes dont nos lecteurs devraient être informés.
Je viens juste de me rendre compte, pris par les développements
récents en Turquie, que j'ai omis de vous parler d'une histoire
importante. Le mois passé, la Fondation Hrant Dink avait organisé une
conférence extraordinaire sur les ` Arméniens islamisés `. En soi, cet
événement était déjà considérable. Cette conférence avait lieu à
l'Université Bogazici, où la première conférence arménienne en 2005 ne
put se dérouler face à de nombreuses provocations et protestations.
Mais cette fois, il n'y a pas eu de contestations ; tout s'est déroulé
dans le calme et beaucoup d'interventions intéressantes, aptes à faire
réfléchir ont été présentées.
Quoiqu'il en soit, je voudrais partager avec vous une histoire en
particulier qu'a racontée Nevin Yildiz Tahincioglu, universitaire et
intervenante à la conférence.
C'est l'histoire de Sara :
` Sara avait quinze ans ; elle vivait dans le village arménien du
district de Viransehir de la province de Sanliurfa. Eyup Agha - ou
comme on l'appelait dans le dialecte local, ' Ayip Agha ' - faisait
partie des notables de la région. C'était au temps où les corps
hamidiés étaient constitués. Les aghas étaient encouragés à piller les
villages arméniens et en chasser les habitants. Un jour, un groupe
dont faisait partie Ayip Agha fit un raid dans le village de Sara. Ils
réunirent les hommes du village et les éloignèrent par force. Un mois
après, Sara lavait du linge dans un ruisseau proche lorsqu'elle vit un
bras arraché. Elle eut le temps de reconnaître la montre sur le bras
comme étant celle de son oncle avant qu'un chien ne se jette sur le
membre. Sara suivit le chien dans une grotte, que les gens du coin
appellent encore ' la grotte arménienne '. Elle y découvrit que des
cadavres des hommes du village s'y trouvaient, dépecés par les chiens.
` Les survivants décidèrent alors de quitter le village, mais ils
étaient toujours groupés par Ayip Agha. Il les enferma dans un endroit
qui servait plus ou moins de dépôt, sans manger et sans eau pendant
des jours. Puis, parmi les captifs, il aperçu Sara, qui était connue
pour sa beauté, et il en ' tomba amoureux '. Ayip Agha, qui avait déjà
deux épouses, annonça à Sara qu'il voulait l'épouser, mais elle
refusa. Il menaça de tuer la mère de Sara, ce que finalement il fit.
Mais Sara resta inflexible. Ayip menaça alors de tuer son père, et il
le fit. Sara refusait toujours de se marier avec lui. Il lui dit qu'il
tuerait aussi son frère. Tandis que le garçon s'accrochait à sa jupe,
elle accepta mais à deux conditions : ' d'abord, mon frère ne sera pas
tué. Deuxièmement, tu ne changeras pas mon nom, qui m'a été donné par
mon père '. Le nom de Sara devait la hanter pendant toute sa vie.
` Même si Ayip Agha accepta les souhaits de Sara, son frère mourut
dans des circonstances douteuses un an plus tard. Ayip Agha commença
alors à torturer Sara, cette femme qui avait refusé de changer son nom
et dont une rumeur disait qu'elle n'avait jamais accepté de se
convertir à l'Islam, et elle continua à porter une croix. Il aurait
incisé des croix dans la peau de Sara avec le poignard dont il s'était
servi pour tuer des douzaines d'Arméniens. Il l'aurait violée à chaque
foi qu'il voulait avoir des rapports sexuels, parce que Sara refusait
de coucher avec lui. D'après ce que disaient les témoins, les cris de
Sara pendant ces viols s'entendaient depuis le jardin de la maison `.
Et le récit continuait ainsi. La surprise, cependant, était pour la
fin, lorsque Tahincioglu prononça la phrase ` les méchants, dans cette
histoire, sont ceux de ma famille `.
Elle a constitué cette histoire à partir des récits de quatre témoins
recueillis dans le cadre d'une recherche sur l'histoire orale. Elle a
étudié le passé de sa propre famille. Ayip Agha et les narrateurs
étaient ses parents. Elle conclut :
` Ce n'est pas [seulement] la victime qui devrait parler et dire ' Je
suis une victime '. Le passé ne peut se reconnaître que si le coupable
parle et dit, ' je suis celui qui a commis le crime ' `.
Orhan Kemal Cengiz
ToDay'sZaman
12 décembre 2013
Traduction Gilbert Béguian
http://www.todayszaman.com/columnists/orhan-kemal-cengiz_333821-saras-story.html
vendredi 3 janvier 2014,
Stéphane ©armenews.com
L' Histoire de Sara par Orhan Kemal Cengiz
Les journalistes politiques que nous sommes sont des esclaves de la
politique publique. Ce que nous voudrions dire à nos lecteurs n'a
aucune importance, en quelque sorte ; nous ne pouvons nous soustraire
aux développements ` importants ` et nos écrits doivent toujours être
à jour. Tandis que naturellement, nous nous efforçons d'être en phase
avec tous les développements frénétiques, dans un pays comme la
Turquie, il arrive quelquefois que nous laissons de côté des choses
très importantes dont nos lecteurs devraient être informés.
Je viens juste de me rendre compte, pris par les développements
récents en Turquie, que j'ai omis de vous parler d'une histoire
importante. Le mois passé, la Fondation Hrant Dink avait organisé une
conférence extraordinaire sur les ` Arméniens islamisés `. En soi, cet
événement était déjà considérable. Cette conférence avait lieu à
l'Université Bogazici, où la première conférence arménienne en 2005 ne
put se dérouler face à de nombreuses provocations et protestations.
Mais cette fois, il n'y a pas eu de contestations ; tout s'est déroulé
dans le calme et beaucoup d'interventions intéressantes, aptes à faire
réfléchir ont été présentées.
Quoiqu'il en soit, je voudrais partager avec vous une histoire en
particulier qu'a racontée Nevin Yildiz Tahincioglu, universitaire et
intervenante à la conférence.
C'est l'histoire de Sara :
` Sara avait quinze ans ; elle vivait dans le village arménien du
district de Viransehir de la province de Sanliurfa. Eyup Agha - ou
comme on l'appelait dans le dialecte local, ' Ayip Agha ' - faisait
partie des notables de la région. C'était au temps où les corps
hamidiés étaient constitués. Les aghas étaient encouragés à piller les
villages arméniens et en chasser les habitants. Un jour, un groupe
dont faisait partie Ayip Agha fit un raid dans le village de Sara. Ils
réunirent les hommes du village et les éloignèrent par force. Un mois
après, Sara lavait du linge dans un ruisseau proche lorsqu'elle vit un
bras arraché. Elle eut le temps de reconnaître la montre sur le bras
comme étant celle de son oncle avant qu'un chien ne se jette sur le
membre. Sara suivit le chien dans une grotte, que les gens du coin
appellent encore ' la grotte arménienne '. Elle y découvrit que des
cadavres des hommes du village s'y trouvaient, dépecés par les chiens.
` Les survivants décidèrent alors de quitter le village, mais ils
étaient toujours groupés par Ayip Agha. Il les enferma dans un endroit
qui servait plus ou moins de dépôt, sans manger et sans eau pendant
des jours. Puis, parmi les captifs, il aperçu Sara, qui était connue
pour sa beauté, et il en ' tomba amoureux '. Ayip Agha, qui avait déjà
deux épouses, annonça à Sara qu'il voulait l'épouser, mais elle
refusa. Il menaça de tuer la mère de Sara, ce que finalement il fit.
Mais Sara resta inflexible. Ayip menaça alors de tuer son père, et il
le fit. Sara refusait toujours de se marier avec lui. Il lui dit qu'il
tuerait aussi son frère. Tandis que le garçon s'accrochait à sa jupe,
elle accepta mais à deux conditions : ' d'abord, mon frère ne sera pas
tué. Deuxièmement, tu ne changeras pas mon nom, qui m'a été donné par
mon père '. Le nom de Sara devait la hanter pendant toute sa vie.
` Même si Ayip Agha accepta les souhaits de Sara, son frère mourut
dans des circonstances douteuses un an plus tard. Ayip Agha commença
alors à torturer Sara, cette femme qui avait refusé de changer son nom
et dont une rumeur disait qu'elle n'avait jamais accepté de se
convertir à l'Islam, et elle continua à porter une croix. Il aurait
incisé des croix dans la peau de Sara avec le poignard dont il s'était
servi pour tuer des douzaines d'Arméniens. Il l'aurait violée à chaque
foi qu'il voulait avoir des rapports sexuels, parce que Sara refusait
de coucher avec lui. D'après ce que disaient les témoins, les cris de
Sara pendant ces viols s'entendaient depuis le jardin de la maison `.
Et le récit continuait ainsi. La surprise, cependant, était pour la
fin, lorsque Tahincioglu prononça la phrase ` les méchants, dans cette
histoire, sont ceux de ma famille `.
Elle a constitué cette histoire à partir des récits de quatre témoins
recueillis dans le cadre d'une recherche sur l'histoire orale. Elle a
étudié le passé de sa propre famille. Ayip Agha et les narrateurs
étaient ses parents. Elle conclut :
` Ce n'est pas [seulement] la victime qui devrait parler et dire ' Je
suis une victime '. Le passé ne peut se reconnaître que si le coupable
parle et dit, ' je suis celui qui a commis le crime ' `.
Orhan Kemal Cengiz
ToDay'sZaman
12 décembre 2013
Traduction Gilbert Béguian
http://www.todayszaman.com/columnists/orhan-kemal-cengiz_333821-saras-story.html
vendredi 3 janvier 2014,
Stéphane ©armenews.com