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Témoignage sur les Empreintes Politiques et Culturelles du Génocide

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  • Témoignage sur les Empreintes Politiques et Culturelles du Génocide

    Témoignage sur les Empreintes Politiques et Culturelles du Génocide :
    le cas de Dersim par Erdem ÖZGÜL


    La rédaction d'Armenews vous propose un discours prononcé lors d'un
    colloque préparé par des Kurdes de Berlin qui avait pour thème les
    Kurdes et le Génocide Arménien. Vilma Kouyoumdjian a traduit le
    discours de l'un des participants qui est du Dersim. Il est kurde
    alévi mais sa grand mère est arménienne. Il livre ici son propre
    témoignage vis à vis négationnisme d'état.

    Nous avons laissé derrière nous le 99ème anniversaire du Génocide.
    Nous autres, nous avons d'abord fait connaissance avec le Génocide
    Arménien. Les intellectuels et les révolutionnaires de la Diaspora ont
    travaillé d'arrache-pied avec leurs plumes et leurs armes, et ils ont
    réussi à nous laisser face à face avec le crime du siècle. Nous
    découvrons actuellement une autre dimension du génocide ; les
    syriaques assyriens nous parlent du Seyfo (nom donné au Génocide des
    Syriaques). Seyfo signifie épée. Mais le génocide comprend également
    l'anéantissement des Yézidis qui ont pratiquement disparu de la
    surface de la Terre. On les a anéantis, ils n'ont aucune institution,
    aucune association pour pouvoir s'exprimer et il leur manque également
    des descendants instruits pour porter leur parole.

    Il y a un autre peuple qui a tantôt pris part dans le génocide et qui
    a tantôt été victime, je fais partie de ce peuple, je parle des
    Kurdes, des Kurdes qui ont tantôt pris part dans les opérations
    d'anéantissement tantôt ils ont subi eux-mêmes l'anéantissement. Ils
    nous ont séparés les uns des autres et nous n'avons pas pu nous réunir
    encore. Cette séparation est celle de notre union qui durait depuis
    des millénaires. Nous vivions ensemble depuis la nuit des temps,
    depuis la légende de Gilgamesh, Herodot...

    Qu'allons-nous faire maintenant ? Il y a une grande malédiction, c'est
    un grand aghed comme on l'appelle en arménien qui tourne au-dessus de
    l'Arménie Occidentale, de Tur Abdin (nom donné à la région où habitent
    les syriaques), des millions de personnes ont été condamnés à payer
    pour les crimes commis par les envahisseurs. Privés de leur langue
    maternelle, des millions d'arméniens ne parlent plus l'arménien
    occidental, privés d'écoles des centaines de milliers de syriaques ne
    peuvent pas transmettre leur langue à leurs enfants. Notre monde est
    sans pitié, de plus il est si calculateur qu'il ne parvient pas à
    maintenir sur pied une culture qui n'a pas de marché.

    De quelle manière allons-nous protester contre cela ? Nous avons
    plusieurs moyens. Marchons vers le désert de Der Zor, mais c'est la
    Mésopotamie qui va d'abord nous accueillir, nous allons traverser les
    montagnes et les plaines et nous allons nous diriger vers le désert.
    Le désert ce n'est qu'une métaphore, Robert Fisk est allé à Der Zor et
    en grattant la terre juste un peu il s'est trouvé face à face avec des
    ossements. Tout comme Sait Çetinoglu qui n'a pas pu abandonner les
    ossements qu'il a trouvés dans le désert, il les a emmenés avec lui à
    Ankara, la capitale actuelle de la barbarie, il les a pendant un
    moment hébergés chez lui et après il a fait ce qu'il devait faire : il
    les a inhumés.

    C'est à notre tour d'aller vers notre désert à nous. De nos jours, des
    charniers innombrables surgissent de Diyarbakir, de Dersim, d'Elazig,
    de Bitlis, de Sirnak, de Hakkari..., ils sont tellement abondants
    qu'on ne voudrait même pas connaître leur nombre exact. Tous ces
    ossements se trouvent dans le Kurdistan actuel. Les moulins, les
    églises, les ravins, sont tous des charniers. Cependant il est très
    intéressant la manière dont on traite le sujet de ces ossements qui
    surgissent de l'Arménie autochtone et de Tur Abdîn. On dit que ces
    trente dernières années la Turquie est gouvernée par des gangs et ce
    sont eux qui ont tué les habitants kurdes en les jetant dans des
    fausses communes et c'est ainsi qu'on enterre une fois de plus dans le
    silence de l'histoire ces nombreux charniers.

    Ils ont nié et détruit ce qui avait eu lieu avant et maintenant ils
    continuent à les détruire en nus mettant devant le fait accompli.

    Aujourd'hui, Der-Zor c'est toute la Mésopotamie ; c'est en y allant
    qu'on s'en rend compte. A Dersim la plaine commence à partir d'Ovacik
    à Dersim d'où le fleuve Munzur prend sa source. Moi, je suis né dans
    cette plaine. Une plaine qui offre des terres très propices pour
    l'agriculture et elles font partie de ces biens en déshérence qui
    appartiennent à l'Etat. Des terres qui appartenaient jadis aux
    Arméniens. La Vallée de Munzur (Dersim) est célèbre par la grande
    variété de végétation qu'elle propose. C'est sur ce terrain que mon
    oncle avait l'habitude de cultiver un champ et un jour d'été avec mes
    cousins où nous étions allés pour arroser ce champ, nous avons vu de
    loin des lueurs. Mon cousin a accouru vers cette lueur en pensant
    qu'il avait trouvé de l'or mais tremblant, il est revenu très vite
    vers nous pour qu'on ne voie pas ce qu'il avait vu, lui. Mais il en
    était tellement affecté que nous y sommes allés et avons vu de nos
    propres yeux des corps nus, des squelettes et des crnes mais c'est
    l'un d'entre eux qui m'a profondément impressionné, le plus petit des
    crnes qui avait été touché par le front, il avait été fissuré par un
    objet pointu. C'est là que j'ai vu pour la première fois le Génocide,
    le Seyfo. J'ai creusé inconsciemment la terre, j'ai vu des bras, des
    mains, j'étais si petit que je ne connaissais pas encore la mort, je
    n'allais pas encore à l'école. D'ailleurs en Turquie si vous n'allez
    pas encore à l'école c'est que vous n'avez pas encore appris ce qu'est
    la perversité. Les corps étaient nus, les jambes découpées, j'ai pris
    conscience pour la première fois que des individus avaient massacré
    d'autres personnes. C'est ce dont on essayait donc de me cacher à la
    maison, c'est ce qu'on on murmurait dans la famille en secret.

    Vous savez que les Kurdes de Dersim sont des barbares, des traîtres à
    la nation, sournois et c'est pourquoi il y a un nombre important de
    commissariats, d'écoles et d'institutions d'Etat. Et avec le mouvement
    agrandissant de la guérilla (NDT :PKK), il fallait absolument que
    l'Etat nous emmène sa civilisation. Où est-ce qu'on allait nous
    imposer cette civilisation ? Bien sûr que dans les internats que
    l'Etat avait préparés pour nous. En hiver, il neigeait beaucoup sur
    Ovacik (un village de Dersim), de 3 à 5 mètres de neige. On allait à
    l'internat avec un transport d'école car l'école était assez loin
    d'Ovacik. Dans ce bus d'école des militaires gradés nous obligeaient à
    chanter des hymnes, des chants patriotiques. Ils nous appelaient
    toujours btards. Des btards d'arméniens. Btards d'Aram, btards de
    Khatchig. Lors de l'un de ces voyages, les militaires ont reçu un
    appel, il y avait probablement eu une attaque de guérilla. On nous a
    alors fait descendre du bus, les militaires nous ont donné l'ordre de
    retirer nos chaussures, les pieds nus dans la neige ils ont insulté
    les Arméniens et nous avons répété derrière eux et ils nous ont fait
    courir dans la neige, pieds nus. Cela a duré une demi heure jusqu'à ce
    qu'on arrive à l'école. On nous a réunis dans une salle et on nous a
    dit que c'est ainsi qu'ils nous éduquaient et qu'on ne devait pas
    écouter les conspirations inculquées par nos pères arméniens.
    Réfléchissons un moment : l'agression est faite par les rebelles
    kurdes et nous sommes des Kizilbach parlant le kurde mais pourquoi
    est-ce qu'on accuse les Arméniens qui n'y sont plus, pourquoi est-ce
    qu'on les insulte ?

    Ces réunions dans la grande salle de l'école où l'on nous tenait des
    discours anti-arméniens ont pris une tournure de routine. Apo était
    désormais devenu btard d'arménien, on a commencé à l'insulter aussi.
    D'autre arméniens ont émergé dans le langage de l'Etat, le soulèvement
    des guérillas kurdes était désormais devenu à leurs yeux celui des
    arméniens.

    Un de ces jours alors qu'on était dans l'internat, les militaires sont
    arrivés avec une liste dans la main. Ils ont cité des noms et ont
    emmené avec eux 50 des enfants. On essayait de comprendre pourquoi on
    les avait emmenés eux et pas nous et c'est à ce moment qu'on a entendu
    des pleurs qui nous arrivaient depuis les douches. Les enfants sont
    revenus dans des robes blanches, ils avaient été circoncis, le bas de
    leur ventre trempé de sang. C'étaient à leurs yeux des enfants
    d'arméniens. C'est comme ça qu'ils leur ont dit qu'ils étaient
    arméniens, on les a circoncis sans leur demander leur avis.

    Dans un pays où l'habitude de gouverner est aussi problématique, les
    écoles n'ont pas qu'on rôle d'école, ce sont des camps de
    concentration où l'on vous dégoûte de votre identité, où punir et
    éduquer deviennent synonymes.

    Mes amis, je rêve qu'un jour on démolisse l'internat d'Ovacik, qu'on
    rase cet endroit et qu'on examine les fondations. Ce n'est pas
    seulement l'intérieur de cette école qui était problématique mais
    encore sa fondation. Le sol recouvert de béton cache le péché de ceux
    qui ont construit cette école. Lorsque j'étais élève, on construisait
    une annexe à cette école. Pour cela on a creusé une fondation
    exagérément profonde, une curiosité s'est alors éprise de nous,
    enfants. Un jour lorsque nous étions en récréation, des camions sont
    arrivés, des camions remplis de squelettes non recouverts. En
    regardant de près, on a vu que ce n'étaient pas des carcasses
    d'animaux, des carcasses de chevaux, d'nes ou de vaches. C'étaient
    des crnes humains et ces squelettes ont été déchargés dans cette
    fondation : des ouvriers déversent les squelettes d'en haut et
    d'autres ouvriers en bas les uniformisent et versent du ciment par
    dessus et on assemble ainsi le béton avec des squelettes. Et lorsque
    tu dévisages les gens un par un, pas un seul ne se pose de question,
    ça n'étonne personne, ça ne révolte personne. Le cuisinier de l'école
    dit à son apprenti : >. C'est leur seul réconfort, les ossements ce ne
    sont pas ceux des massacres de 1938 et comme ce ne sont pas les nôtres
    on peut dormir en paix.

    C'est ça le génocide, ici c'est le désert. C'est le désert dans les
    esprits, le désert dans les mes. Nous l'avons vu de nos propres yeux
    et je pense qu'on l'a montré à tous les enfants kurdes et kizilbaches.
    Ils nous ont montré exprès ce qu'ils étaient capables de faire,
    jusqu'où ils pouvaient aller, c'est pourquoi je propose qu'on retourne
    à nos propres identités, nous autres dont les pères ne sont pas des
    arméniens, syriaques, grecs d'Anatolie ou yézidis mais dont les mères,
    les grands-mères appartiennent à l'un de ces peuples et l'image du
    génocide est gravée sur les torses de leurs corps poignardés,
    regardons vers cette image et ne restons pas indifférents.

    Nous sommes des êtres dont les pères sont des assassins et les mères
    des victimes, nous avons notre responsabilité dans ce 1er génocide du
    20ème siècle, ne disons pas que nous ne sommes pas responsables, bien
    au contraire confrontons-nous, dépassons le désert, et c'est alors que
    nous pourrons >.

    Note : Discours prononcé le 10 mai dernier à Berlin lors de la
    conférence sur le Génocide de 1915 et les relations entre Kurdes,
    Arméniens et Syriaques-Assyriens.

    Traduction Vilma Kouyoumdjian

    dimanche 8 juin 2014,
    Stéphane (c)armenews.com
    http://www.armenews.com/article.php3?id_article=100600

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