Trends/Tendances, France
6 Mars 2014
S'ASSEOIR ET LIRE CHEZ BOGHOSSIAN
'ENTRE DEUX CHAISES, UN LIVRE' À LA VILLA EMPAIN
PHILIPPE CORNET
Jusque début septembre, une belle exposition aux trouvailles parfois
ludiques se tient à la Villa Empain. 'Entre deux chaises, un livre'.
Suivez le guide.
'THRONE', KRI TOF KINTERA, 2011'PITH', JONATHAN CALLAN,
2006ÉVANGÉLIAIRE ARMÉNIEN, MANUSCRIT SUR PARCHEMIN, 16e
SIÈCLE'TÉLÉVISION', DARREN FOOTE, 2008'ZA-A STATE OF TENSION', HIROKO
TSUCHIDA, 2009'CHICAGO (88-4-9)', KENNETH JOSEPHSON, 1988'BACK TO THE
ROOTS', BOB VERSCHUEREN, 2010
Le titre est un rien théorique parce que les 200 objets présentés par
la Fondation Boghossian dans son vaste écrin bruxellois de l'avenue
Franklin Roosevelt, à de rares exceptions près, ne sont ni propices à
la lecture ni à la position assise. A moins d'être contorsionniste.
L'usage pratique n'est pas leur destination première mais leur
présence à la Villa Empain est bien dans la ligne prônée par la
Fondation : tracer un dialogue entre Orient et Occident. 'La chaise
comme le livre, sont des objets d'échange entre les hommes, précise
Diane Hennebert, chargée de la direction du lieu, le livre est
évidemment transmetteur de savoir, de pensée et d'émotions ; la chaise
est tout au moins un objet de convivialité. Les hommes vivent ensemble
assis. Montrer les uns et les autres uniquement de manière
fonctionnelle serait un peu ennuyeux : comme le dit le Libanais Wajdi
Mouawad, le rôle des artistes est aussi de réenchanter le monde.' Une
grande partie des objets installés sur les trois niveaux de la Villa
provient de la collection Galila, de la dame du même nom, propriétaire
de plus de 3.000 oeuvres dans sa large demeure du Brabant wallon, 'un
vaste corps vivant, proliférant à la manière d'un organisme', décrit
Diane Hennebert. La configuration chez Boghossian est plus détendue et
espacée quoiqu'un chouia martienne : nombre de chaises ou de livres,
compactés, compressés ou réimaginés, pourraient donner l'impression
qu'on est en visite chez Tim Burton. Diane Hennebert commente sept
objets que nous avons repérés.
'C'est le travail d'un artiste tchèque : la chaise bouge, tourne sur
elle-même et les ailes donnent l'impression qu'elle pourrait
s'envoler. Il y a aussi dans cette chaise un rêve de liberté, de
pouvoir s'échapper du travail. Elle évoque également une forme de
puissance puisque les ailes sont faites d'authentiques plumes de
vautour, d'où le côté prédateur qui pourrait également être angélique.
Beaucoup de lectures sont possibles...'
'Ce Londonien, né à Manchester et ayant étudié au Goldsmiths College,
est davantage sculpteur que designer : il a plusieurs oeuvres dans
cette expo, notamment cePithqui explore la dimension volumétrique du
livre. Il travaille sur la corporalité du livre et en tire des volumes
de sculptures. Ce n'est pas du tout une création détachée des autres :
Jonathan Callan a une persistance, il est depuis longtemps dans cet
univers-là.'
'Comme la plupart des livres anciens arméniens, il s'agit d'un livre
de prières. L'Arménie a été le premier pays à reconnaître le
christianisme comme religion d'Etat au 3e siècle. Les Arméniens ont
créé leur propre écriture, leur propre langue, disparues pendant
l'occupation soviétique. Les livres sont pour eux les objets sacrés
auxquels ils tiennent le plus : détruire le livre, c'est détruire la
culture arménienne et cela renvoie à la pratique de l'autodafé. La
première visite que l'on fait en arrivant à Erevan est celle du musée
des manuscrits.'
'Celle-là est installée dans une salle qui conteste la modernité :
cette petite télé avec son antenne évoque la colère des artistes face
à la prolifération d'objets de consommation pas chers, lisses,
anonymes. L'artiste cherche la singularité, Ikea cherche la
standardisation : voilà comment une chaise peut devenir autre chose.
Cette expo est sans doute moins palais des découvertes' que notre expo
Turbulences (de février à septembre 2013, Ndlr) mais c'est quand même
une grande fête de l'imagination, par des gens qui ont créé des choses
enchantées.'
'Cette jeune Japonaise est venue monter sa chaise elle-même : elle dit
avoir employé 80 millions d'épingles à nourrice, cela me paraît
énorme. La chaise a un effet très soyeux qu'on n'imaginerait pas et
j'aime le décalage entre cette jeune femme et le côté monumental du
siège, qui est une sorte de trône, trapu, bizarre, magique. Fait d'une
matière qui n'est pas noble mais qui scintille de façon très soyeuse,
très curieuse.'
'Cette photo raconte comment le livre est né du pli, du fait que la
feuille de papier a été conditionnée, manipulée pour créer l'objet :
le livre est donc l'enfant du pli. Cette image de Kenneth Josephson
(né à Detroit en 1932, Ndlr) fait penser à un arbre de vie : à partir
de cela, on peut imaginer et faire beaucoup de choses...'
'J'aime beaucoup celle-ci. La chaise est un objet éminemment culturel,
déterminé par sa grandeur, son usage. Il existe une hiérarchie de
chaises et aussi un enracinement : on appartient à une culture comme
on appartient à la terre. La façon dont Bob Verschueren (né à
Bruxelles en 1945, Ndlr) a imaginé une chaise avec des ramifications
rappelle que les hommes sont passés de la position accroupie à la
position assise. On peut prendre racine dans un territoire et cette
chaise raconte cela.'
'Entre deux chaises, un livre' à la Fondation Boghossian à Bruxelles
jusqu'au 7 septembre, www.villaempain.com
Chaque dimanche à 11 h, Sam Touzani et Zidani interprètent un texte de
Jean-Claude Grumberg dans le cadre de la Villa Empain.
From: Baghdasarian
6 Mars 2014
S'ASSEOIR ET LIRE CHEZ BOGHOSSIAN
'ENTRE DEUX CHAISES, UN LIVRE' À LA VILLA EMPAIN
PHILIPPE CORNET
Jusque début septembre, une belle exposition aux trouvailles parfois
ludiques se tient à la Villa Empain. 'Entre deux chaises, un livre'.
Suivez le guide.
'THRONE', KRI TOF KINTERA, 2011'PITH', JONATHAN CALLAN,
2006ÉVANGÉLIAIRE ARMÉNIEN, MANUSCRIT SUR PARCHEMIN, 16e
SIÈCLE'TÉLÉVISION', DARREN FOOTE, 2008'ZA-A STATE OF TENSION', HIROKO
TSUCHIDA, 2009'CHICAGO (88-4-9)', KENNETH JOSEPHSON, 1988'BACK TO THE
ROOTS', BOB VERSCHUEREN, 2010
Le titre est un rien théorique parce que les 200 objets présentés par
la Fondation Boghossian dans son vaste écrin bruxellois de l'avenue
Franklin Roosevelt, à de rares exceptions près, ne sont ni propices à
la lecture ni à la position assise. A moins d'être contorsionniste.
L'usage pratique n'est pas leur destination première mais leur
présence à la Villa Empain est bien dans la ligne prônée par la
Fondation : tracer un dialogue entre Orient et Occident. 'La chaise
comme le livre, sont des objets d'échange entre les hommes, précise
Diane Hennebert, chargée de la direction du lieu, le livre est
évidemment transmetteur de savoir, de pensée et d'émotions ; la chaise
est tout au moins un objet de convivialité. Les hommes vivent ensemble
assis. Montrer les uns et les autres uniquement de manière
fonctionnelle serait un peu ennuyeux : comme le dit le Libanais Wajdi
Mouawad, le rôle des artistes est aussi de réenchanter le monde.' Une
grande partie des objets installés sur les trois niveaux de la Villa
provient de la collection Galila, de la dame du même nom, propriétaire
de plus de 3.000 oeuvres dans sa large demeure du Brabant wallon, 'un
vaste corps vivant, proliférant à la manière d'un organisme', décrit
Diane Hennebert. La configuration chez Boghossian est plus détendue et
espacée quoiqu'un chouia martienne : nombre de chaises ou de livres,
compactés, compressés ou réimaginés, pourraient donner l'impression
qu'on est en visite chez Tim Burton. Diane Hennebert commente sept
objets que nous avons repérés.
'C'est le travail d'un artiste tchèque : la chaise bouge, tourne sur
elle-même et les ailes donnent l'impression qu'elle pourrait
s'envoler. Il y a aussi dans cette chaise un rêve de liberté, de
pouvoir s'échapper du travail. Elle évoque également une forme de
puissance puisque les ailes sont faites d'authentiques plumes de
vautour, d'où le côté prédateur qui pourrait également être angélique.
Beaucoup de lectures sont possibles...'
'Ce Londonien, né à Manchester et ayant étudié au Goldsmiths College,
est davantage sculpteur que designer : il a plusieurs oeuvres dans
cette expo, notamment cePithqui explore la dimension volumétrique du
livre. Il travaille sur la corporalité du livre et en tire des volumes
de sculptures. Ce n'est pas du tout une création détachée des autres :
Jonathan Callan a une persistance, il est depuis longtemps dans cet
univers-là.'
'Comme la plupart des livres anciens arméniens, il s'agit d'un livre
de prières. L'Arménie a été le premier pays à reconnaître le
christianisme comme religion d'Etat au 3e siècle. Les Arméniens ont
créé leur propre écriture, leur propre langue, disparues pendant
l'occupation soviétique. Les livres sont pour eux les objets sacrés
auxquels ils tiennent le plus : détruire le livre, c'est détruire la
culture arménienne et cela renvoie à la pratique de l'autodafé. La
première visite que l'on fait en arrivant à Erevan est celle du musée
des manuscrits.'
'Celle-là est installée dans une salle qui conteste la modernité :
cette petite télé avec son antenne évoque la colère des artistes face
à la prolifération d'objets de consommation pas chers, lisses,
anonymes. L'artiste cherche la singularité, Ikea cherche la
standardisation : voilà comment une chaise peut devenir autre chose.
Cette expo est sans doute moins palais des découvertes' que notre expo
Turbulences (de février à septembre 2013, Ndlr) mais c'est quand même
une grande fête de l'imagination, par des gens qui ont créé des choses
enchantées.'
'Cette jeune Japonaise est venue monter sa chaise elle-même : elle dit
avoir employé 80 millions d'épingles à nourrice, cela me paraît
énorme. La chaise a un effet très soyeux qu'on n'imaginerait pas et
j'aime le décalage entre cette jeune femme et le côté monumental du
siège, qui est une sorte de trône, trapu, bizarre, magique. Fait d'une
matière qui n'est pas noble mais qui scintille de façon très soyeuse,
très curieuse.'
'Cette photo raconte comment le livre est né du pli, du fait que la
feuille de papier a été conditionnée, manipulée pour créer l'objet :
le livre est donc l'enfant du pli. Cette image de Kenneth Josephson
(né à Detroit en 1932, Ndlr) fait penser à un arbre de vie : à partir
de cela, on peut imaginer et faire beaucoup de choses...'
'J'aime beaucoup celle-ci. La chaise est un objet éminemment culturel,
déterminé par sa grandeur, son usage. Il existe une hiérarchie de
chaises et aussi un enracinement : on appartient à une culture comme
on appartient à la terre. La façon dont Bob Verschueren (né à
Bruxelles en 1945, Ndlr) a imaginé une chaise avec des ramifications
rappelle que les hommes sont passés de la position accroupie à la
position assise. On peut prendre racine dans un territoire et cette
chaise raconte cela.'
'Entre deux chaises, un livre' à la Fondation Boghossian à Bruxelles
jusqu'au 7 septembre, www.villaempain.com
Chaque dimanche à 11 h, Sam Touzani et Zidani interprètent un texte de
Jean-Claude Grumberg dans le cadre de la Villa Empain.
From: Baghdasarian