Qu'entend-on par la reconnaissance du génocide arménien en Turquie ?
lundi 3 novembre 2014
Burçin Gerçek
Malgré de nombreuses initiatives sur la prise de conscience de la
société turque sur ce qui s'est passé en 1915 et les appels d'une
demande de pardon officielle, une réflexion plus approfondie sur
comment établir la justice cent ans après le génocide reste encore Ã
mener en Turquie.
A l'approche du centenaire du génocide arménien, les positions de la
société civile et des autorités en Turquie sont très loin des années
où le fait même de prononcer le mot génocide était un tabou. Nous ne
sommes plus dans la période où évoquer la reconnaissance du génocide
par Ankara relevait de l'utopie, même si les initiatives allant dans
ce sens sont effectuées et suivies par un cercle assez restreint en
Turquie. Cependant, le sens donné au terme « reconnaissance » par
différents milieux en Turquie reste très varié et peut paraître loin
de ce que les Arméniens entendent.
« Faire face à 1915 », la prise de conscience de la société civile turque
Lorsque les mots génocide arménien était encore un tabou de rares
initiatives avaient lieu pour le briser en Turquie, les seules sources
disponibles en turc étaient les travaux de Taner Akçam et les
publications de Ragip Zarakolu. La priorité de certains intellectuels
était d'abord de favoriser une prise de conscience de la société
turque ' laissée depuis des décennies dans l'ignorance ' sur ce qui
s'est passé en 1915. Ainsi, la « reconnaissance » attendue à cette
époque était celle de la société civile, sans forcément demander une
reconnaissance étatique, encore moins des réparations. A cette époque,
par de nombreux articles publiés et conférences données en Turquie et
à l'étranger, certains intellectuels soulignaient que l'utilisation du
mot génocide pouvait constituer un obstacle à la prise de conscience
de la société turque et que demander une reconnaissance officielle
était encore prématuré.
A la même époque, l'approche de Hrant Dink différait de ce courant.
Profondément convaincu que la prise de conscience de la société turque
était primordiale et qu'il fallait trouver un nouveau langage pour
s'adresser aux consciences, Hrant Dink ne mchait pas pour autant ses
mots et n'hésitait pas à employer le mot génocide. Il refusait
cependant de se focaliser sur les initiatives pour la reconnaissance
par les parlements des pays tiers, ou encore par la Turquie. « Votre
histoire sera-t-elle vraie lorsque les Turcs le reconnaitront ? Je
n'ai pas de doute sur mon histoire. Je n'ai pas non plus de problème
de reconnaissance ou non du génocide. C'est une question qui concerne
les Droits de l'homme et la conscience. Ce n'est pas mon problème, je
sais très bien ce qui nous est arrivé dans le passé », affirme-t-il
lors d'une interview donnée au magazine Nokta en 2004.
Après l'assassinat de Hrant Dink en 2007, les débats sur 1915 et la
reconnaissance du génocide prennent une autre tournure en Turquie.
L'ONG Dur De ! (« Dis stop au racisme et au nationalisme ») est créée
en mars 2007, trois ans plus tard, elle organisera la première
commémoration du 24 Avril sur la place Taksim, Ã Istanbul. Mais avant,
en 2008, la campagne de « Demande de pardon » est lancée par Ali
Bayramoglu, Cengiz Aktar et Ahmet Insel et soutenue par de nombreux
intellectuels turcs. Ayant permis de créer un large débat en Turquie,
la campagne s'inscrit néanmoins dans la lignée de ceux qui
privilégient d'abord une « prise de conscience de la société ». Le
texte d'appel se base sur une approche individuelle de demande de
pardon et de partage « des sentiments et des douleurs », sans évoquer
la nécessité d'une quelconque action de la part de l'État turc.
Brisant réellement un tabou, la première commémoration du 24 Avril sur
la place Taksim organisée en 2010 Ã l'initiative de Dur De ! ne sort
pas non plus de ce cadre. Le texte d'appel parle essentiellement de la
« grande catastrophe » et de « ressentir la grande douleur », sans
référence a une demande de reconnaissance.
Demandes de reconnaissance étatique
Bien avant les commémorations sur les places publiques, l'Association
des Droits de l'Homme (IHD - Insan Hakları DerneÄ?i) organise, dès
2005, des commémorations dans des cercles plus restreints. « Nous
avons appelé Ã une reconnaissance étatique dès le début de notre
action en 2005 », rappelle Ayse Günaysu, de l'Association des Droits
de l'Homme. En 2014, les commémorations de Dur De et de l'IHD, jusque
là organisées de manière séparée, se sont unifiées et la demande d'une
reconnaissance étatique a ainsi été formulée dans le texte d'appel.
Parallèlement à ce processus, de nombreuses associations et
fondations, dont Anadolu Kültür, Heinrich Böll et Helsinki Citizens
Assembly ' pour ne citer que les principales d'entre elles ' élaborent
des projets pour la normalisation des relations entre la Turquie et
l'Arménie, pour accroitre la sensibilité de l'opinion publique au
sujet des droits des minorités et favoriser une meilleure connaissance
du génocide arménien par la société turque. De nombreuses activités
culturelles, conférences, expositions ou ateliers avec les jeunes sont
ainsi organisés par ces ONG travaillant dans ce domaine. La fondation
Hrant Dink devient aussi un des acteurs incontournables qui organise
des activités visant à une meilleure compréhension de 1915. Le
principal objectif de ces activités est de contribuer à la
démocratisation de la Turquie, qui ne pourrait avancer sans briser le
tabou du génocide arménien. Pour certains acteurs, faire connaitre
1915 auprès d'un plus large public en Turquie permet aussi de
questionner les fondements d'un système étatique, basé sur l'absence
de responsabilité et de jugement pour les crimes commis envers ceux
qui sont définis comme « les ennemis intérieurs » et qui désigne,
selon les époques, les Kurdes, les Alévis, les communautés
non-musulmanes, mais aussi toute forme d'opposition.
Ainsi, considérant que la violence étatique s'est tournée contre lui
après avoir ciblé les Arméniens, le mouvement kurde, avec le parti
BDP-HDP et les mairies dirigées par le parti, organisent aussi
plusieurs actions où des appels à faire face au passé et plaidant pour
une reconnaissance étatique du génocide arménien. La mairie du
district de Sur, Ã Diyarbakir, a inauguré un monument de « conscience
commune ». Une commémoration historique a même été organisée le 24
avril 2014avec l'exposition « 99 Portraits de l'exil ` 99 photos de
survivants du Génocide des Arméniens » par l'ONG franco-arménienne,
Yerkir Europe en partenariat avec la mairie de Diyarbakir. De nombreux
intellectuels, universitaires, chercheurs ou activistes, se
définissant politiquement à gauche ou comme libéral, écrivent sur la
nécessité d'une reconnaissance étatique et d'une demande de pardon qui
devrait être affirmée au nom de l'État. Mais peu d'entre eux évoquent
la signification d'une telle reconnaissance et surtout quelles
réponses apporter aux demandes de justice des descendants des victimes
du génocide. La question des réparations ' et sous quelle forme elles
peuvent avoir lieu ' n'est traitée que par une poignée d'activistes ou
d'intellectuels.
Quant aux milieux réputés proches de l'AKP (Parti au pouvoir), les
approches sont diverses et comportent parfois des propositions très
différentes de la position du gouvernement. Comme le texte de «
condoléances » publié en avril 2014 par Erdogan le montre, le
gouvernement adopte depuis peu une approche basée sur la
reconnaissance des « douleurs communes » et « la mémoire juste »,
concept inventé par l'ex-ministre des Affaires étrangères et actuel
Premier ministre Ahmet Davutoglu. Il n'est, bien entendu, pas question
actuellement pour le gouvernement de prononcer le mot génocide, ni de
le reconnaitre. Les condoléances présentées par Erdogan le 24 avril
dernier sont ainsi présentées par des éditorialistes pro-AKP comme une
« révolution » et une réponse aux revendications des Arméniens. Mais
certains chroniqueurs pro-gouvernementaux, comme Hakan Albayrak ou
Rasim Ozan Kütahyalı, vont plus loin et écrivent sur la nécessité
d'une demande de pardon officielle pour « Les maux de ce qui parait
comme un génocide commis envers les arméniens innocents », et évoquent
même d'éventuelles réparations financières. Selon Albayrak, en payant
des indemnités d'une somme allant jusqu'Ã « peut-être 5 ou 10
milliards de dollars », « la Turquie serait allégée comme un oiseau »
et « l'industrie mondiale du génocide s'effondrerait ». En lisant ces
lignes, on ne peut s'empêcher de penser au refus d'Erdogan de
s'excuser pour les victimes de la bavure militaire qui a couté la vie
à 33 personnes dans le village kurde de Roboski, en 2011, et qui
affirmait, avec toute son arrogance : « Les indemnités, on les a
données. Qu'est-ce qu'ils veulent de plus ? ».
Une autre approche, ne niant pas les faits de 1915, mais tentant de
trouver une alternative à une reconnaissance ou à une demande de
pardon, a été élaborée par des milieux conservateurs : "HelalleÅ?me"
Être quitte en turc (Voir l'article de Yetvart Danzikyan sur cette
question « La demande de pardon, la confrontation, le deuil »).
Demandes de justice et de réparations
Malgré des avancées palpables sur la prise de conscience de la société
sur ce qui s'est passé en 1915 et les débats sur la nécessité d'une
reconnaissance et de demande de pardon de l'État, rares sont les
intellectuels qui traitent la question des réparations et de comment
répondre aux demandes de justice des descendants des victimes du
génocide. l'Association des Droits de l'Homme (IHD) a inclus la
demande de réparations dans ses revendications dès 2011. Taner Akçam,
Ã`mit Kurt, Mehmet Polatel, Sait Cetinoglu et Nevzat Onaran font
partie des rares chercheurs qui travaillent sur les biens appartenant
aux Arméniens et qui ont été confisqués pendant et après le génocide.
Du côté du gouvernement, la seule proposition de « réparation »
consiste à accorder un droit de retour au pays et à la citoyenneté aux
descendants des victimes du génocide.
Lors de la commémoration du 24 avril 2014, organisée a Ankara par
l'Initiative pour la liberté de pensée, l'IHD, Dur De, l'Association
des Juristes modernes, les partis politiques HDP et Ã-SP, des demandes
plus précises ont été formulées, y compris à propos des réparations.
Le texte d'appel, dont le chercheur Sait Cetinoglu et l'écrivain Temel
Demirer font partie des signataires, formulait les demandes suivantes
:
- La fin de la négation du génocide.
- Une demande de pardon de la part de l'état.
- L'attribution des droits de citoyenneté aux victimes du génocide et
la remise ou l'indemnisation de toutes leurs richesses matérielles
confisquées
- La suppression des noms des génocidaires des écoles, boulevards,
places et rues
- L'attribution des noms des victimes du génocide aux places publiques
- L'arrêt des opérations de désinformation par le biais des
institutions publiques, les médias de masse et les programmes
scolaires
- La pénalisation de la négation du génocide comme « crime de haine ».
La nécessité d'une reconnaissance officielle et des réparations
devrait aussi être formulées lors des commémorations du 24 Avril qui
seront organisées de manière séparée par l'IHD et Dur De en 2015.
Malgré ces actions et un débat embryonnaire sur les formes de
réparations pouvant être mises en place, une réflexion plus
approfondie sur la manière d'établir la justice cent ans après le
génocide reste encore à être menée en Turquie.
http://repairfuture.net/index.php/fr/genocide-armenien-reconnaissance-et-reparations-point-de-vue-de-turquie/qu-entend-on-par-la-reconnaissance-du-genocide-armenien-en-turquie
lundi 3 novembre 2014
Burçin Gerçek
Malgré de nombreuses initiatives sur la prise de conscience de la
société turque sur ce qui s'est passé en 1915 et les appels d'une
demande de pardon officielle, une réflexion plus approfondie sur
comment établir la justice cent ans après le génocide reste encore Ã
mener en Turquie.
A l'approche du centenaire du génocide arménien, les positions de la
société civile et des autorités en Turquie sont très loin des années
où le fait même de prononcer le mot génocide était un tabou. Nous ne
sommes plus dans la période où évoquer la reconnaissance du génocide
par Ankara relevait de l'utopie, même si les initiatives allant dans
ce sens sont effectuées et suivies par un cercle assez restreint en
Turquie. Cependant, le sens donné au terme « reconnaissance » par
différents milieux en Turquie reste très varié et peut paraître loin
de ce que les Arméniens entendent.
« Faire face à 1915 », la prise de conscience de la société civile turque
Lorsque les mots génocide arménien était encore un tabou de rares
initiatives avaient lieu pour le briser en Turquie, les seules sources
disponibles en turc étaient les travaux de Taner Akçam et les
publications de Ragip Zarakolu. La priorité de certains intellectuels
était d'abord de favoriser une prise de conscience de la société
turque ' laissée depuis des décennies dans l'ignorance ' sur ce qui
s'est passé en 1915. Ainsi, la « reconnaissance » attendue à cette
époque était celle de la société civile, sans forcément demander une
reconnaissance étatique, encore moins des réparations. A cette époque,
par de nombreux articles publiés et conférences données en Turquie et
à l'étranger, certains intellectuels soulignaient que l'utilisation du
mot génocide pouvait constituer un obstacle à la prise de conscience
de la société turque et que demander une reconnaissance officielle
était encore prématuré.
A la même époque, l'approche de Hrant Dink différait de ce courant.
Profondément convaincu que la prise de conscience de la société turque
était primordiale et qu'il fallait trouver un nouveau langage pour
s'adresser aux consciences, Hrant Dink ne mchait pas pour autant ses
mots et n'hésitait pas à employer le mot génocide. Il refusait
cependant de se focaliser sur les initiatives pour la reconnaissance
par les parlements des pays tiers, ou encore par la Turquie. « Votre
histoire sera-t-elle vraie lorsque les Turcs le reconnaitront ? Je
n'ai pas de doute sur mon histoire. Je n'ai pas non plus de problème
de reconnaissance ou non du génocide. C'est une question qui concerne
les Droits de l'homme et la conscience. Ce n'est pas mon problème, je
sais très bien ce qui nous est arrivé dans le passé », affirme-t-il
lors d'une interview donnée au magazine Nokta en 2004.
Après l'assassinat de Hrant Dink en 2007, les débats sur 1915 et la
reconnaissance du génocide prennent une autre tournure en Turquie.
L'ONG Dur De ! (« Dis stop au racisme et au nationalisme ») est créée
en mars 2007, trois ans plus tard, elle organisera la première
commémoration du 24 Avril sur la place Taksim, Ã Istanbul. Mais avant,
en 2008, la campagne de « Demande de pardon » est lancée par Ali
Bayramoglu, Cengiz Aktar et Ahmet Insel et soutenue par de nombreux
intellectuels turcs. Ayant permis de créer un large débat en Turquie,
la campagne s'inscrit néanmoins dans la lignée de ceux qui
privilégient d'abord une « prise de conscience de la société ». Le
texte d'appel se base sur une approche individuelle de demande de
pardon et de partage « des sentiments et des douleurs », sans évoquer
la nécessité d'une quelconque action de la part de l'État turc.
Brisant réellement un tabou, la première commémoration du 24 Avril sur
la place Taksim organisée en 2010 Ã l'initiative de Dur De ! ne sort
pas non plus de ce cadre. Le texte d'appel parle essentiellement de la
« grande catastrophe » et de « ressentir la grande douleur », sans
référence a une demande de reconnaissance.
Demandes de reconnaissance étatique
Bien avant les commémorations sur les places publiques, l'Association
des Droits de l'Homme (IHD - Insan Hakları DerneÄ?i) organise, dès
2005, des commémorations dans des cercles plus restreints. « Nous
avons appelé Ã une reconnaissance étatique dès le début de notre
action en 2005 », rappelle Ayse Günaysu, de l'Association des Droits
de l'Homme. En 2014, les commémorations de Dur De et de l'IHD, jusque
là organisées de manière séparée, se sont unifiées et la demande d'une
reconnaissance étatique a ainsi été formulée dans le texte d'appel.
Parallèlement à ce processus, de nombreuses associations et
fondations, dont Anadolu Kültür, Heinrich Böll et Helsinki Citizens
Assembly ' pour ne citer que les principales d'entre elles ' élaborent
des projets pour la normalisation des relations entre la Turquie et
l'Arménie, pour accroitre la sensibilité de l'opinion publique au
sujet des droits des minorités et favoriser une meilleure connaissance
du génocide arménien par la société turque. De nombreuses activités
culturelles, conférences, expositions ou ateliers avec les jeunes sont
ainsi organisés par ces ONG travaillant dans ce domaine. La fondation
Hrant Dink devient aussi un des acteurs incontournables qui organise
des activités visant à une meilleure compréhension de 1915. Le
principal objectif de ces activités est de contribuer à la
démocratisation de la Turquie, qui ne pourrait avancer sans briser le
tabou du génocide arménien. Pour certains acteurs, faire connaitre
1915 auprès d'un plus large public en Turquie permet aussi de
questionner les fondements d'un système étatique, basé sur l'absence
de responsabilité et de jugement pour les crimes commis envers ceux
qui sont définis comme « les ennemis intérieurs » et qui désigne,
selon les époques, les Kurdes, les Alévis, les communautés
non-musulmanes, mais aussi toute forme d'opposition.
Ainsi, considérant que la violence étatique s'est tournée contre lui
après avoir ciblé les Arméniens, le mouvement kurde, avec le parti
BDP-HDP et les mairies dirigées par le parti, organisent aussi
plusieurs actions où des appels à faire face au passé et plaidant pour
une reconnaissance étatique du génocide arménien. La mairie du
district de Sur, Ã Diyarbakir, a inauguré un monument de « conscience
commune ». Une commémoration historique a même été organisée le 24
avril 2014avec l'exposition « 99 Portraits de l'exil ` 99 photos de
survivants du Génocide des Arméniens » par l'ONG franco-arménienne,
Yerkir Europe en partenariat avec la mairie de Diyarbakir. De nombreux
intellectuels, universitaires, chercheurs ou activistes, se
définissant politiquement à gauche ou comme libéral, écrivent sur la
nécessité d'une reconnaissance étatique et d'une demande de pardon qui
devrait être affirmée au nom de l'État. Mais peu d'entre eux évoquent
la signification d'une telle reconnaissance et surtout quelles
réponses apporter aux demandes de justice des descendants des victimes
du génocide. La question des réparations ' et sous quelle forme elles
peuvent avoir lieu ' n'est traitée que par une poignée d'activistes ou
d'intellectuels.
Quant aux milieux réputés proches de l'AKP (Parti au pouvoir), les
approches sont diverses et comportent parfois des propositions très
différentes de la position du gouvernement. Comme le texte de «
condoléances » publié en avril 2014 par Erdogan le montre, le
gouvernement adopte depuis peu une approche basée sur la
reconnaissance des « douleurs communes » et « la mémoire juste »,
concept inventé par l'ex-ministre des Affaires étrangères et actuel
Premier ministre Ahmet Davutoglu. Il n'est, bien entendu, pas question
actuellement pour le gouvernement de prononcer le mot génocide, ni de
le reconnaitre. Les condoléances présentées par Erdogan le 24 avril
dernier sont ainsi présentées par des éditorialistes pro-AKP comme une
« révolution » et une réponse aux revendications des Arméniens. Mais
certains chroniqueurs pro-gouvernementaux, comme Hakan Albayrak ou
Rasim Ozan Kütahyalı, vont plus loin et écrivent sur la nécessité
d'une demande de pardon officielle pour « Les maux de ce qui parait
comme un génocide commis envers les arméniens innocents », et évoquent
même d'éventuelles réparations financières. Selon Albayrak, en payant
des indemnités d'une somme allant jusqu'Ã « peut-être 5 ou 10
milliards de dollars », « la Turquie serait allégée comme un oiseau »
et « l'industrie mondiale du génocide s'effondrerait ». En lisant ces
lignes, on ne peut s'empêcher de penser au refus d'Erdogan de
s'excuser pour les victimes de la bavure militaire qui a couté la vie
à 33 personnes dans le village kurde de Roboski, en 2011, et qui
affirmait, avec toute son arrogance : « Les indemnités, on les a
données. Qu'est-ce qu'ils veulent de plus ? ».
Une autre approche, ne niant pas les faits de 1915, mais tentant de
trouver une alternative à une reconnaissance ou à une demande de
pardon, a été élaborée par des milieux conservateurs : "HelalleÅ?me"
Être quitte en turc (Voir l'article de Yetvart Danzikyan sur cette
question « La demande de pardon, la confrontation, le deuil »).
Demandes de justice et de réparations
Malgré des avancées palpables sur la prise de conscience de la société
sur ce qui s'est passé en 1915 et les débats sur la nécessité d'une
reconnaissance et de demande de pardon de l'État, rares sont les
intellectuels qui traitent la question des réparations et de comment
répondre aux demandes de justice des descendants des victimes du
génocide. l'Association des Droits de l'Homme (IHD) a inclus la
demande de réparations dans ses revendications dès 2011. Taner Akçam,
Ã`mit Kurt, Mehmet Polatel, Sait Cetinoglu et Nevzat Onaran font
partie des rares chercheurs qui travaillent sur les biens appartenant
aux Arméniens et qui ont été confisqués pendant et après le génocide.
Du côté du gouvernement, la seule proposition de « réparation »
consiste à accorder un droit de retour au pays et à la citoyenneté aux
descendants des victimes du génocide.
Lors de la commémoration du 24 avril 2014, organisée a Ankara par
l'Initiative pour la liberté de pensée, l'IHD, Dur De, l'Association
des Juristes modernes, les partis politiques HDP et Ã-SP, des demandes
plus précises ont été formulées, y compris à propos des réparations.
Le texte d'appel, dont le chercheur Sait Cetinoglu et l'écrivain Temel
Demirer font partie des signataires, formulait les demandes suivantes
:
- La fin de la négation du génocide.
- Une demande de pardon de la part de l'état.
- L'attribution des droits de citoyenneté aux victimes du génocide et
la remise ou l'indemnisation de toutes leurs richesses matérielles
confisquées
- La suppression des noms des génocidaires des écoles, boulevards,
places et rues
- L'attribution des noms des victimes du génocide aux places publiques
- L'arrêt des opérations de désinformation par le biais des
institutions publiques, les médias de masse et les programmes
scolaires
- La pénalisation de la négation du génocide comme « crime de haine ».
La nécessité d'une reconnaissance officielle et des réparations
devrait aussi être formulées lors des commémorations du 24 Avril qui
seront organisées de manière séparée par l'IHD et Dur De en 2015.
Malgré ces actions et un débat embryonnaire sur les formes de
réparations pouvant être mises en place, une réflexion plus
approfondie sur la manière d'établir la justice cent ans après le
génocide reste encore à être menée en Turquie.
http://repairfuture.net/index.php/fr/genocide-armenien-reconnaissance-et-reparations-point-de-vue-de-turquie/qu-entend-on-par-la-reconnaissance-du-genocide-armenien-en-turquie